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Journalisme/ A. Cheniki

Date de création: 18-11-2022 12:46
Dernière mise à jour: 18-11-2022 12:46
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COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE- JOURNALISME/A.CHENIKI

 

LE JOURNALISME, LE PRÊT A ECRIRE ET L'ABSENCE DU TERRAIN

© Ahmed CHeniki, fb, m-novembre 2022

 

Je suis journaliste. Je le suis depuis l’âge de 20 ans. J’aime ce métier tout en étant paradoxalement mal à l’aise. J’ai peut-être la chance d’avoir exercé ce métier ici et à l’étranger et d’avoir librement choisi de ne plus intervenir, peut-être temporairement, dans ces espaces. J’essaie aussi d’observer ce métier avec l’œil du chercheur, tentant d’objectiver le sujet et le sens pratique. Il y a chez beaucoup de journalistes une sorte d’inconscient et de présupposés qui les amène à ignorer le terrain, reproduisant le plus souvent la parole dominante, péjorant ainsi les attitudes trop peu conformistes. Ou usant de slogans, de clichés et de stéréotypes. Ce qui est aussi le cas sur les réseaux sociaux où beaucoup usent de slogans, de clichés et de stéréotypes, sans chercher à interroger leur propre parole, reproduisant inconsciemment des mots et des « vérités » inconsciemment intériorisées, construites à partir de présupposés et de jugements préalables, locuteurs prêts à lyncher l’autre, qu’il soit intellectuel, artiste, sportif ou homme politique. La paresse permet justement la mise en œuvre de jugements aussi hâtifs, souvent injustes, parce que non informés. Ces attitudes caractérisent le discours de la grande partie des locuteurs provenant de tous les segments de la société et de différentes catégories politiques et idéologiques.

Je n’ai jamais compris pourquoi se met-on à construire consciemment des sermons au lieu de reprendre des faits, les interroger, les faits ne parlent jamais d’eux-mêmes. Pas uniquement durant la période des années 1970 où des journalistes se substituaient à des paysans qu’ils n’étaient pas, pensant faire plaisir à leurs mentors. Souvent, ils savaient qu’ils ne savaient pas. Le journaliste est assimilé à un militant et à un propagandiste, le terrain est souvent marqué du sceau de l’absence. De nombreux journalistes célébraient les « mesures » (Révolution agraire, Gestion Socialiste des Entreprises et Médecine gratuite) prises par le gouvernement de l’époque en faisant souvent abstraction du terrain, usant d’un langage stéréotypé et de commentaires, taisant certaines « vérités » que seule l’investigation pouvait mettre en relief. Les choses n’ont pas réellement changé. Une sorte d’héritage paradoxalement partagé par les journaux de gouvernement, d’opposition et les réseaux sociaux. Une sorte d’inconscient. Le commentaire a souvent pour fonction d’illustrer l’information tout en la rendant le plus souvent obscure ou de taire des faits. Même l’enquête et le reportage sont souvent truffés de commentaires, de clichés et de stéréotypes, confondant ainsi enquêteur/reporter et commentateur. Cette confusion est l’expression de la pauvreté de l’écriture journalistique.

Certes, d’autres, extrêmement sincères, marqués par une confusion active du militant et du journaliste disaient des choses tout en taisant, en connaissance de cause, beaucoup d’autres. Bien entendu, même dans ce moment un peu terne, il y avait parfois une ou deux émissions à la télévision, de très rares journalistes dans la presse écrite qui apportaient une certaine information, préférant l’exploration du terrain, Al Ardh wal Fellah d’Ahmed Wahid par exemple. Je ne sais pas, mais je ne crois pas avoir été en présence d’une presse saisie comme un service public. Il n’y avait pas à la tête des médias ce que certains appellent des « commis de l’Etat », ils n’étaient souvent pas au service de l’Etat, mais de ceux qui les avaient désignés. C’est vrai que le journal, la télévision ou la radio fonctionnaient comme des reproducteurs de la voix du « maître ». Le discours était souvent mièvre, monologique, sans densité, même si quelques journalistes, courageux, sortaient du lot et savaient qu’ils pouvaient subir les foudres de l’arbitraire.

A la télévision, les choses sont pires, pas uniquement chez nous, même à l’étranger. Il y a eu d’ailleurs un très bon travail du sociologue Pierre Bourdieu sur la télévision française. Je parle essentiellement du JT et des émissions dites d’information politique ou culturelle. Des sermons. Une parole monologique. Comme si le présentateur écoutait sa propre voix, son propre écho. Des propos redondants. Absence de contradiction. Le journal télévisé est l’expression d’un vide, d’une absence. La redondance de mots vagues, le cortège d’activités trop officielles faisant défiler des mots valises, répétitifs et l’usage d’images presque similaires désarticulent la relation avec le public et neutralisent le sens qui donne à lire une situation statique. Le sens se perd dans les méandres de la répétition (défilé sans fin des mêmes images, prises de vue similaires, reprise des mêmes lexèmes et expressions). Un présentateur du journal télévisé avait, il y a une trentaine d’années, été suspendu d’antenne après avoir employé l’expression « passons aux choses sérieuses » au moment de la présentation des informations internationales, après avoir lu les informations nationales faites de la lecture de longs communiqués et de coupures de rubans. Cette propension à user de formules toutes faites et de paroles creuses s’expliquerait par l’absence d‘un projet clair et cohérent et d’une multiplication des interventions parlées à la télévision qui désarticulent le langage et lui enlèvent sa force locutrice. La télévision emploie la langue arabe dite classique, excluant les langues populaires considérées comme vulgaires, approfondissant encore davantage le fossé séparant la télévision et la société profonde qui utilise l’arabe populaire. Le choix de l’arabe « littéraire » ou scolaire permettrait peut-être d’apporter une supposée respectabilité et de donner à voir une attitude policée. L’usage des langues « populaires » désacraliserait, selon la direction de l’information, le locuteur et l’appareil qu’il est censé incarné. Dans des situations de crise (attentats, événements de Constantine ou d’octobre 1988 par exemple), la télévision passe continuellement des documentaires sur les espèces animale et marine, les rédactions étaient privées du fil des agences de presse fermées, on interdisait aux journalistes la consultation des télex des différentes agences de presse. Ce qui donne à lire le peu de considération qu’on accordait au journaliste. L’absent de la télévision, c’est le terrain. Comme si l’objet de la télévision était le futur antérieur, excluant toute économie du langage dépouillé de signification et toute immersion dans une sorte de polyphonie. Ce qui d’ailleurs participe de sa rupture avec son public possible. L’inflation des commentaires expliquerait justement ce désir parler et de ne pas dire et d’user de généralités et d’une parole aphone. Comme si la télévision parlait du virtuel.