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Essai Malika Rahal- "Algérie 62. Une histoire populaire"

Date de création: 11-09-2022 19:11
Dernière mise à jour: 11-09-2022 19:11
Lu: 384 fois


HISTOIRE- BIBLOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI MALIKA RAHAL- «  ALGERIE 1962.UNE HISTOIRE POPULAIRE »

Algérie 1962. Une histoire populaire. Essai de Malika Rahal, Editions  Barzakh,  Alger 2022 (Editions La Découverte, Paris 2022), 493 pages, 1500 dinars

On avait l’habitude de ne trouver dans nos librairies que des ouvrages (mémoires ou essais ou récits…) présentant la colonisation et ses effets néfastes ainsi que la lutte  de libération nationale sur des périodes  assez vastes , et liés directement et quasi-complètement aux combats. Il est vrai que le traumatisme colonial perdure encore et on a toujours cette volonté de  ne voir l’Autre qu’à la longue-vue et non au microscope. Il est vrai aussi, que de notre côté , la non-disponibilité , ici et là-bas, d’archives ayant trait à des événements et des moments précis, ne facilitent pas la recherche historique. Il est vrai , aussi , que les témoins encore vivants  ne se confient que difficilement , ou pas du tout , ou alors en esquivant les questions paraissant trop curieuses, aux interviewers nationaux et locaux.

Ce qui n’est pas le cas, curieusement,  pour les chercheurs étrangers (dont ceux ayant aussi une autre  nationalité  que celle algérienne ou la double nationalité ) presque toujours bien accueillis. Yves Courrière avait , le premier, récolté les « confidences ». Ce qui donne, au final , des œuvres historiques assez riches en informations (et  donc, en analyses, même si ,  souvent, nous ne sommes pas d’accord avec elles) . Il en est ainsi du dernier ouvrage de Malika Rahal qui s’est concentré sur  à la  seule année 1962 , aux  journées liées au « cessez-le-feu », aux mois annonçant l’Indépendance du pays, au 5 juillet  ….et ce qui a immédiatement suivi….tout particulièrement au niveau des populations ,  celle  des villes , celle des campagnes, les réfugiés et leurs retours,  le départ précipité des « pieds-noirs »….. 

1962  a été , donc, à la fois la fin d’une guerre et la difficile transition vers la paix et la reconstruction d’un pays moralement et physiquement détruit. Une guerre -seulement celle étalée sur les 7 années et demie qui a fait  , selon les chiffres avancés par les uns et les autres, entre un million et demi et 600 000  victimes algériennes (pour 26 614 soldats de l’armée française tués et un millier de prisonniers ou de disparus…..et 2788   civils européens victimes de l’Oas).Une guerre qui a fait plus de 320 000 réfugiés dans les pays voisins (Maroc et Tunisie surtout, les zones frontalières ayant été minées et transformées en « zones interdites ») .Une guerre qui a « déplacé « (dans des camps de concentration dits de « regroupement » plus de 3 520 000 personnes auxquels il fallait ajouter les 1 175 000  « recasés » ou « resserrés » (sic !) ayant peuplé les bidonvilles de villes ou villages ou  des habitations de fortune autour d’un « camp ». Une guerre, avec sa victoire finale laquelle  mal acceptée par une large majorité de la population pied-noir  a vu la « migration » vers la France (ou ailleurs) de plus de 650 000 personnes (dont 110 000 juifs sur les 120 000 qui vivaient , en 1962, en Algérie) .  Une guerre qui…..

C’est dire le contexte tragique et violent du moment….N’empêche ! 1962 ,avec l’Indépendance recouvrée, a remis l’Algérie , «  pays -continent », « pays - fourmilière » , « pays de l’avenir », et les Algériens, au centre , plutôt qu’à l’extrémité de tous les processus à venir……C‘est ce  qui est étudié et présenté par l’auteur qui a fouillé les archives et surtout les mémoires des témoins,  presque tout ce qui a été vu , vécu et fait concrètement  au niveau de : la violence, des corps ( collectifs et individuels) , de l’espace et du temps

L’Auteure : Née en 1974, agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie, chargée de recherche au Cnrs (France) . En 2007, elle avait soutenu une thèse d'histoire sous la direction de Benjamin Stora à l'Inalco, où elle a également fait des études d'arabe. Son travail portait sur l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), le parti de Ferhat Abbas..Elle dirige, depuis janvier 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (Ihtp) de l’Université Paris VIII.Auteure de « Ali Boumendjel.Une affaire française, une histoire algérienne » en 2011,  et de l’ouvrage (issu de sa thèse de doctorat, « l’Udma et les Udmistes.Contribution à l’histoire du nationalisme algérien » (Barzakh,   2017)….deux ouvrages déjà  présentés in Mediatic.

Table :Remerciements et avertissements/ Introduction/ I : Violences/ II : Corps/ III : Espaces/ IV :Le temps/ Conclusion/ Témoignages et sources primaires/ Bibliographie sélective/ Notes/ Index

Extraits « L’événement 1962 est connu d’abord par ses marges ou, pour mieux dire, par ses minorités, au profit d’une histoire tragique, une histoire de vaincus, alors que l’on s’attendrait à être submergé par une histoire de vainqueurs » (p15), « Dans l’Algérie de 1962, les rumeurs sont produites par la population coloniale elle-même, car c’est son monde qui se désagrège » (p33), « Le cessez-le-feu et l’indépendance ont un effet de révélation par la sortie de la clandestinité et de la guerre, de passage de l’invisible au visible et de découverte de soi, notamment lorsque les proches se retrouvent »  (p137), «(Juillet 62/Indépendance)  Images et descriptions révèlent le plaisir de se voir, comme une réaction au déni de la période coloniale et l’invisibilisation du corps des « indigènes »  aux yeux des « Européens » lorsqu’ils ne sont pas convenablement orientalisés, c’est-à-dire représentés selon un imaginaire européen et ainsi soumis à un rapport hégémonique. Ce renversement du regard est l’un des éléments essentiels de la révolution de 1962 » (p221), « La brèche entre les uns et les autres, les accapareurs (note : 1962, des biens « abandonnés »  par les pieds noirs) et les pondérés , ne cessera de croître au fil des années, au point d’être régulièrement convoquée pour expliquer les injustices du présent » (p283), « Le récit historique de 1962 mêle l’évocation d’un âge de la vie -pour les lycéens ou étudiants , leurs vingt ans- avec une période extraordinaire qui fera fatalement pâlir les époques qui suivront par comparaison » (p377)

Avis :Un livre qui se lit d’un seul trait (bien que surchargé de détails…..tous aussi intéressants les uns que les autres)….Un  roman de (re-)découvertes -pour les sexa et plus-  de moments extraordinaires de notre Histoire.Une phrase résume à elle seule    le sentiment final.Celle de Ouarda Tengour , évoquant les festivités d’alors : « Je peux tout supporter parce qu’une fois dans ma vie, j’ai vécu un moment comme celui-là » (p237). Certains diront « Comme pour le Hirak ». Pas la même chose !Juillet 62,juste avant et juste après , que j’ai très bien vécu,  c’est la libération de « l’Autre »…. « l’Etranger ». Février 2019, c’est….seulement ,  la libération de «  Soi ».

Citations : « Quitter la guerre peut se révéler douloureux et le « retour à l’intime » est, pour certains, source de déceptions » (p20), « Avant d’être un temps de la violence, 1962 est en effet le temps de l’effervescence » (55), « Dans le temps fluide de la fin de la guerre, il est encore possible de se faire passer pour ce que l’on n’a pas été ou de faire disparaître son passé en se réinventant » (p138), « (Indépendance/Juillet 62).Les festivités sont l’aboutissement victorieux de l’effervescence festive et émeutière qui s’est développée dans la dernière séquence de la guerre, depuis les manifestations de décembre 1960 (….).   La fièvre libère les corps, le plus souvent dans des transgressions festives » (236), « L’exode est l’histoire de ceux qui partent, le retournement de l’espaces, lui, est celle de ceux qui restent » (p274), « L’urgence et l’effervescence qu’elles nourrissent sont (donc) au cœur de la révolution de 1962 » (p359), « L’urgence crée l’impression d’être constamment en retard, mais elle est (note : en 1962) aussi un levier de mobilisation »  (p371), « (Je m’étais demandé si), parmi les films engagés, les films pour vieillissaient plus rapidement que les films de dénonciation » (p395), « Que 1962 soit un temps des possibles narratifs fait aussi de ce moment le berceau de mythologies durables, en même temps que le point focal d’une obsession du vrai et du faux, de la falsification, de l’oubli et de la commémoration » (p 410)