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Covid 19/Dr Houria Ahcene Djaballah, Psychologue clinicienne

Date de création: 01-02-2022 19:16
Dernière mise à jour: 01-02-2022 19:16
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SANTE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- COVID 19/DR. AHCENE DJABALLAH HOURIA, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE

 

© Entretien Liberté/Karim Benamar, mardi 1er février 2022

L’on mesure peut-être mal les séquelles psychologiques de la pandémie. Professeure  de psychologie, Houria Djaballah décortique, dans cette interview, les différentes formes de traumatismes autant sur le plan affectif, émotionnel et social causées par coronavirus. La Covid-19 vient rappeler à l’homme “certaines vérités élémentaires, mais c'est l'idée de mort proche qui est la plus insoutenable”, explique Houria Djaballah. “En revenir, c'est comme Orphée revenant de l'enfer”, compare-t-elle. 

Liberté : L'Algérie vit sa quatrième vague épidémique du coronavirus. Au plan psychologique, comment est ressentie cette crise sanitaire ?
Houria Djaballah : La pandémie de Covid-19 a été un événement traumatique pour l'ensemble de l'humanité dont l'Algérie. Les vagues successives sont autant de répétitions de cet événement traumatique, des répliques en quelque sorte, de la première secousse. Cette crise sanitaire est vécue diversement par les individus en fonction des ressources psychologiques de chacun, de leur fonctionnement, de la conscience qu'il ont de la situation et du niveau de leurs connaissances sur la question. Pour tout le monde, il y a un changement que la nature nous impose. Schématiquement, si on adopte le critère de la réaction au changement, nous avons deux grandes catégories, chacune se déclinant à son tour en plusieurs types. Ces deux catégories sont la résistance au changement et l'adaptation au changement. C'est dans la catégorie de "la résistance au changement" que l'on va rencontrer le type "extrême" de personnes qui mettent en œuvre le mécanisme de "déni", conforté par la diffusion via les réseaux sociaux d'informations niant l'existence même de la Covid-19.  Dans la catégorie de "l'adaptation au changement" nous allons trouver le type "extrême" de personnes qui mettent en œuvre les stratégies de "recadrage" de l'ensemble de leurs activités et comportements. 
Ce qui reste commun à tous, quelle que soit la vague, c'est l'anxiété et le stress générés par l'événement, avec plus ou moins d'intensité, plus ou moins de gravité selon les personnes, mais peut-être aussi pour certains hélas, de la lassitude, voire du découragement, de l'abandon fataliste au sort.

Épargnés au début de la pandémie, les enfants sont de plus en plus contaminés. Cela laisse-t-il des séquelles ?
Si les enfants ont été grandement épargnés par la maladie lors de la première vague, ils n'ont toutefois pas été épargnés par l'événement traumatique. Ils l'ont subi pleinement par le bouleversement de leur vie, la perturbation de leurs activités sociales, la fermeture des écoles, garderies, crèches, espaces de loisirs, l’interdiction des visites familiales, la suspension des voyages, sans compter le ressenti qu'ils n'ont pas tous eu l'opportunité de pouvoir exprimer. Une "vie en sursis", génératrice d’angoisse, à un âge précoce, cela risque de laisser des séquelles chez ceux qui, en sus de leur vulnérabilité, n’ont pu communiquer leur ressenti.

Comment les parents doivent-ils gérer cette situation exceptionnelle ?
Ce n'est pas facile pour les parents qui doivent gérer à la fois leurs propres difficultés et celles de leurs enfants. Ils ne doivent surtout pas communiquer un sentiment d'impuissance à leurs enfants, mais seulement expliquer que c'est une épreuve qu'ils doivent surmonter. Ils doivent aider les enfants à apprendre à surmonter les épreuves, en respectant les règles de protection de soi et d'autrui. L'enfant a besoin d'être rassuré, de se sentir protégé. 

La scolarité des élèves vient d'être une nouvelle fois perturbée par la suspension des cours. Comment cela est-il ressenti par les élèves ? Quelles sont les conséquences de cette suspension ?
Tant qu'elle ne dure pas trop longtemps, la fermeture de l'école peut être vécue comme un supplément de vacances par beaucoup d'enfants, mais elle peut être génératrice d'angoisse chez les plus fragiles. Mais la scolarité est très importante pour l'enfant, que ce soit pour l'apprentissage, pour les relations sociales ou pour le développement neuropsychique. Lorsque l'école ferme, ce n'est pas seulement l'apprentissage qui ralentit, c'est aussi le lien social extérieur et surtout, si la fermeture est prolongée, et c'est le plus difficile à récupérer pour certains, le développement neuropsychique, car il y a des phases à respecter et des périodes critiques à ne pas dépasser. 
L'autre aspect qu'il ne faut surtout pas négliger c'est qu'il faut absolument expliquer à l'enfant que la fermeture de l’école c’est mal, mais c’est un mal nécessaire pour protéger sa santé et celle d'autrui, pour combattre l’épidémie, un peu comme celui que l'on doit supporter pour soigner une dent ou une blessure, mais à une échelle beaucoup plus grande. Fermer l'école sans explication signifierait que "l'école n'est pas importante" ou, pire, que l'on n'a pas de respect pour l'enfant. Le respect que l'on doit à l'enfant passe par le respect de sa scolarité. Lorsqu'on touche à sa scolarité, on doit bien expliquer à l'enfant que c'est dans son intérêt, que c'est une mesure de protection nécessaire.

Beaucoup parmi les personnes contaminées  se plaignent de traumatismes. A quel niveau situez-vous ces traumatismes ? Comment se manifestent-ils ?
Les personnes contaminées par la Covid-19 ont été confrontées à leur "mort" possiblement très prochaine. L'être humain ne réalise pas vraiment qu'il est mortel ni qu'il est vulnérable ni qu'il n'est pas le plus puissant "vivant" sur terre. La Covid-19 vient lui rappeler certaines vérités élémentaires, mais c'est l'idée de mort proche qui est la plus insoutenable. En revenir, c'est comme Orphée revenant de l'enfer. Certains récupèrent vite grâce au soutien social, à leur capacité d’adaptation, à leur projection dans l'avenir. D'autres sombrent dans la fatigue intense, voire la dépression, et ne trouvent pas à quoi ou à qui se raccrocher pour remonter la pente, certains auront recours à la prise toxique pour échapper à la douleur. D'autres encore vont développer des maladies "connexes" dites psychosomatiques. Le risque suicidaire n'est pas à écarter dans quelques cas. En tout état de cause, il faut rester vigilant.

A partir de quel moment faut-il s'inquiéter ?
Il faut s'inquiéter dès que le résultat est "positif" et apporter son soutien et sa solidarité, en plus des soins à prodiguer. Le lien social à renforcer et à entretenir, même par écran ou combiné interposé, est très important. Il faut aider à réorienter la personne vers des objectifs intéressants pour elle pour qu’elle se projette dans l'avenir, réinvestisse des domaines et reprenne son élan vital.

Que préconisez-vous pour une meilleure gestion de cette crise ?
C'est la responsabilité de chacun qui pourrait aider à gérer cette crise. Force est de constater l'irrespect des mesures de prévention dans les institutions et espaces publics et privés. Que pouvons-nous penser des parents qui envoient leur enfant à l’école, bien que testé positif ou confirmé "cas contact" ? Que penser, sinon que nous pouvons envisager des solutions en commençant par le respect que nous devons à soi, à autrui, à la loi, à un animal, à une plante, à la terre et même à une machine ou à un objet, car il a coûté du temps, de l'énergie et aussi de l'argent. En principe, les psychologues interviennent en amont, mais face à l'événement traumatique, l'intervention est toujours en aval.