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Mouloud Hamrouche- Contribution 6 mai 2019

Date de création: 07-05-2019 09:14
Dernière mise à jour: 07-05-2019 09:14
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VIE POLITIQUE- DOCUMENTS POLITIQUES- MOULOUD HAMROUCHE- CONTRIBUTION 6 MAI 2019

 

Du régalien et du légitime

 

(c) MOULOUD HAMROUCHE (Ancien chef de gouvernement : 6 septembre 1989/3 juin 1991) /El Watan et EL Khabar, dimanche 5 MAI 2019

 Onze semaines de hirak et la situation ne s’améliore pas en termes de perspectives et de stabilité malgré l’ampleur et le pacifisme du mouvement unitaire du peuple tous ces vendredis.

Le peuple et l’armée sont seuls. Il ne faut pas qu’ils se tournent le dos ni se trouvent face à face. L’armée ne peut aller contre les aspirations du peuple.

Le peuple ne veut plus être gouverné comme par le passé à travers des façades «politiques» préfabriquées. Des façades investies de sans-scrupule, de sans-vergogne, de sans-responsabilité et de sans-éthique. Ce sont toutes ces façades et ces comportements illégitimes que le hirak a disqualifiés.

Le hirak est un mouvement historique né de cette crise majeure de gouvernance. Des semaines durant, il a maintenu son rejet sans ambiguïté du système et certaines de ses figures. Par ce rejet, le hirak récuse également une multitude d’omnipotences, de réseaux d’allégeances et d’obéissances qui opéraient par des violations des droits et des lois, et par la corruption et l’abus.

De ce fait, le peuple revendique son droit d’être gouverné par des instruments légaux de son choix, l’instauration d’un climat de liberté et une situation nationale de droit, de légitimité et de démocratie.

Pour cela, le hirak qui a délivré les Algériens des peurs, des prétendus et des préjugés ne peut être et ne doit pas être un facteur de blocage mais une source de restauration de la légitimité, de la légalité et de la responsabilité.

Il serait naïf de croire que le changement des hommes est la réponse et que leur remplacement par d’autres honnêtes et engagés garantirait les espérances du hirak. Le changement des hommes ne sera jamais déterminant. Ce ne sera jamais une garantie suffisante pour une bonne gouvernance et une bonne justice.

Dans cet ordre d’idées et pour une perspective légitime, la priorité doit aller à rétablir la norme légale et instaurer la vérification et le contrôle pour toute fonction, toute action et tout exercice de responsabilité. L’effort, la considération et la confiance doivent aller en priorité à substituer aux hommes une vraie Constitution, de vraies institutions exerçant de vrais pouvoirs d’autorisation, de régulation, d’habilitation, de contrôle et d’arbitrage.

Des hommes et des femmes élus peupleront demain ces institutions pour gouverner la société et l’Etat. Cela est la voie d’un vrai Etat démocratique de liberté et de droit. Cela est la solution et le schéma de contrôle de tout pouvoir par des institutions et non par des hommes.

A ce jour, l’omnipotence, la corruption, le passe-droit et l’abus pratiqués par et à travers des réseaux ont détruit toute forme de pouvoir légal et rationnel de gouvernement et de justice, et altéré les relations administrations-administrés, populations-autorités élues ou désignées.

La dimension des partis politiques, leurs structures et leurs organisations ne leur permettent pas de suppléer à autant de vides, de déficits en gouvernance, en contrôles et en vérifications, ni de suppléer à autant d’insuffisances en débat politique structurant, en culture de compromis et en discipline militante. C’est outrageant.

On peut crier, hurler, casser ou brûler, ça ne changera rien aux lacunes graves, aux fossés dangereux et aux absences mortelles de forces sociales et politiques organisées pour accompagner l’élaboration et la mise en place de nécessaires instruments, mécanismes et institutions ou à organiser des élections et à faire fonctionner une vraie justice.

Le hirak a heureusement, par son ampleur unitaire nationale et pacifique, réparé et retissé une partie importante de ces liens et rapports sociaux nationaux, mais pas ceux des légitimités gouvernantes.

Dès lors, il serait dangereux d’aggraver ces précarités et ces manques en légitimités, en gouvernances, en instruments, en régulations et en contrôles.

Il faut, de prime abord, en plus de la sécurité, une discipline légale, une forte adhésion sociale librement consentie et un effort sur soi et sur chacun.

Ces conditions permettront de maintenir la dynamique du hirak stable et pacifique durant les premières phases de tâtonnements, de prospections et de mise en place des instruments et mécanismes légaux, nécessaires à l’émergence des légitimités qui peupleront les institutions et occuperont les fonctions nationales pour gouverner la société, cheminer ses projets et concrétiser ses attentes.

Au risque de paraître un briseur d’enthousiasme, aucune solution ni aucune démarche ne peut être envisagée comme un kit à prendre ou à laisser pour un hirak pacifique et unitaire de cette ampleur et qui exige en plus un changement profond de mode de gouvernement.

Ce n’est pas au hirak de structurer les institutions et leurs schémas finaux, ni d’opérer de telles transformations. Nul ne peut également prédire, ni prétendre connaître, ni fixer à l’avance méthodes, processus et cheminements à lui seul ou imposer des a priori. Aucune partie, aucun parti ou groupe de partis, ne peut établir seul cette grande feuille de route.

Aucune partie, aucun parti politique ne peut suppléer seul à tant de failles et défaillances. Ce sont des déficits structurels et organiques évidents créés par un système de gouvernance fondé sur la peur, le mensonge, la dépolitisation et la déstructuration des liens sociaux il y a près d’un quart de siècle.

Il est plus que souhaitable que toute action, toute décision, toute mesure, toute attitude ou toute proposition soit observée et appréciée d’abord par rapport à la préservation de la dynamique unitaire du hirak et de la concrétisation de sa revendication principale. Ensuite, que toute démarche soit imprégnée de tous ces manques et ces défaillances.

Car beaucoup d’écueils guettent le hirak, l’armée, les élites, y compris celles qui font office de gouvernants. Le hirak ne doit pas s’estomper sans résultat ni déboucher sur de nouvelles impasses ou que des surenchères le mènent vers des récifs dangereux plus difficiles à maîtriser.

Ces écueils exigent la participation de tous à une élaboration collective des solutions sans a priori. Dans le concret, personne ne sait à l’avance quel cheminement prendre et quelle issue finale choisir.

Toute possibilité potentielle n’est qu’une chance qui aura besoin d’être vérifiée et confrontée aux dures réalités d’un dysfonctionnement politique grave du pays et de sa gouvernance.

C’est quoi une bonne solution politique ? C’est quoi une possible solution constitutionnelle ?

La Constitution ne recèle aucun instrument ni aucune mécanique de solution de crises ou de conflits. Des crises et des conflits de cette nature ont été, par le passé, solutionnés hors Constitution, chose que le hirak interdit aujourd’hui.

En quoi consiste une transition conduite par des personnalités honnêtes, compétentes et non impliquées ?

Toute instance de transition aura énormément de difficultés à embrayer sur des réalités et des pouvoirs, et à surmonter d’autres embûches et adversités.

En quoi une présidentielle avec un gouvernement d’union nationale ou un gouvernement qui gère les affaires courantes est elle différente ? Pourquoi prêter plus de compétences et de crédit à l’un ou inversement à l’autre ?

Pour quelles raisons une commission électorale ferait mieux que les précédentes ?

Toute élection ne débouchera jamais sur des garanties de sincérité et de fidélité tant que la structure chargée de toutes les opérations de préparation, des inscriptions, d’établissement de listes électorales locales et nationales, des registres de circonscriptions, de centres et de bureaux de vote ne soient pas revus, corrigés et certifiés par des autorités indépendantes croisées.

Toutes ces opérations sont des conditions sine qua non pour échapper au système qui a phagocyté la voie des urnes, nié toute représentation politique et dilué tout sens de responsabilité.

Toute autre garantie est éphémère. Tout autre engagement n’est que discours, sans nier pour autant des sincérités qui se sont exprimées. Le hirak a opéré des retraits de légitimités électorales et de confiances politiques.

Une vraie élection ne dépend pas d’un délai ni d’une date, mais de ces séries de travaux et de vérifications à faire réaliser. Autrement, toute élection sera une arme de déstabilisation massive à cause des confusions, des contestations ou de refus de reconnaissances de résultats.

Il y a une vraie entame et un vrai sujet à discuter. Il y a de fausses concertations pour de fausses pistes. Ne gâchons pas de vraies opportunités créées par le hirak, ne ratons pas de vrais rendez-vous avec de vraies chances pour notre pays.

Ces opportunités et ces chances résident dans le changement des pratiques et des habitudes mensongères que le système avait érigé en règles et en réflexes.

La question est et demeure : comment rendre le hirak, cette force de refus et d’opposition, une force de stabilité, de structuration et de contrôle ? Comment éviter que le hirak soit une force d’implosion et d’ambition ?

En délivrant un signal fort, un discours intelligible et concret sur des transformations profondes à opérer et à mettre en œuvre sous son regard vigilant, d’une justice libérée de toute tutelle, exceptée celle de la loi, des partis, de la presse et des organisations sociales civiles nationales et locales. Ainsi, le hirak ne sera pas nourri de radicalités, de clivages périlleux ni d’antagonismes primaires.

La revendication de l’application des articles 7 et 8 est pertinente. Il reste à obtenir un accord sur le comment, la forme, les méthodes de travail et le schéma final des institutions démocratiques, un avant-projet de Constitution et le mode de son approbation par une Constituante ou par un référendum.

En fait, l’article 7 comporte deux voies par lesquelles le peuple exerce sa souveraineté et demeure source de tout pouvoir. La voie électorale pour élire un Président et des élus et la voie référendaire pour l’adoption d’une Constitution et la création d’institutions (article 8).

Toutes ces questions ne peuvent être résolues par un pouvoir chargé du régalien dépouillé de sa légitimité électorale, ni par des partis, toutes obédiences confondues vu leur état organique et organisationnel.

La disposition relative au chef d’Etat intérimaire date de la Constitution de 1976 et a survécu à tous les amendements et modifications depuis pour une raison fondamentale, celle de faire garantir la pérennité et la régulation du régalien. Ne confondons pas la fonction d’un président de la République «élu» et celle de chef d’Etat intérimaire.

Ce dernier assure une mission régalienne institutionnelle. Il ne devrait assumer aucun pouvoir constitutionnel sur des institutions politiques souveraines. Celles en place et leurs composantes étaient déjà défaillantes et frappées d’illégitimité avant le 22 février.
Toute instance transitoire ou conférence nationale ne peut réellement exercer des missions régaliennes.

Le chef d’Etat intérimaire incarne et bénéficie de l’adhésion et de la discipline de tous les agents du régalien. Il assure des obligations de l’Etat algérien vis-à-vis des partenaires-clés et des puissances étrangères. Car, il ne peut y avoir de rupture dans ces missions, ces obligations et ces relations.

Tous les autres pouvoirs de gouvernement relèvent de la souveraineté citoyenne et restent tributaires d’une légitimation par voie électorale. Nul n’a le droit de contester l’exercice du régalien qui échoit au chef d’Etat intérimaire ; par contre, il n’a pas de pouvoir ni de légitimité pour mettre en œuvre les articles 7 et 8 de la Constitution.

Autrement dit, toute démarche ou toute élection restent tributaires de la participation et la contribution consensuelle de tous pour être et rester dans le sillage du hirak.
Une telle approche permet de ne pas contester le régalien, de bénéficier de forts engagements et contributions, d’obtenir une stabilité relative et de continuer à dire la volonté algérienne.

Personne n’a intérêt à agrandir toutes sortes de vides que connaît notre pays en termes de fonctionnement sociétal, politique et d’autorités publiques, ni de négliger toutes les chances, aussi minimes soient-elles.

Pondération, discernement et lucidité devraient être les maîtres-mots et le rester. Le réalisme s’impose à tous pour pouvoir surmonter tant de défaillances, tant de risques et tant de menaces.

La démocratie est la reine des compromis. Notre pays a cruellement besoin de compromis pour être gouverné, pour débattre, pour choisir et pour avancer.