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A.Bouteflika - ARticle Benjamin Stora/L'Obs (France)

Date de création: 12-04-2019 15:47
Dernière mise à jour: 12-04-2019 15:47
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VIE POLITIQUE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- A. BOUTEFLIKA- ARTICLE BENJAMIN STORA/L’OBS (FRANCE)

 

(c) Benjamin Stora/L'Obs, 9 avril 2019

 

Grandeur et chute de Bouteflika, par Benjamin Stora

 

Plusieurs épisodes se superposent et s’enchevêtrent dans le long parcours d’Abdelaziz Bouteflika. Le grand historien commente pour « l’Obs » l’album photo du président déchu.

 

Benjamin Stora rencontre Abdelaziz Bouteflika en 2012 au cours d’un voyage officiel avec François Hollande. C’était un an avant son attaque vasculaire cérébrale. « Il était érudit et curieux, nous avons discuté de l’histoire longue de l’Algérie, depuis les Carthaginois », se souvient l’historien. Difficile d’imaginer aujourd’hui que ce vieillard grabataire, s’accrochant avec une cécité sénile au pouvoir, a été ce beau jeune homme ambitieux, qui, à 26 ans, deviendra le plus jeune ministre des Affaires étrangères de son temps. Parce qu’il a participé activement au combat indépendantiste et s’est engagé contre la présence coloniale française, mais aussi parce qu’il était un politique retors qui savait intriguer, Bouteflika occupera pendant trente-six ans les plus hautes fonctions de la vie politique algérienne. Il y a eu un temps où il a su se tenir éloigné du pouvoir quand il était incertain : il a ainsi refusé la présidence que lui offraient les militaires en janvier 1994, en pleine guerre contre les maquis islamistes. Mais il accepte une nouvelle offre des généraux en 1999, et organise la concorde civile après la décennie noire qui a ensanglanté l’Algérie. Enfin, c’est le naufrage que l’on sait. La corruption, le marasme social, la déroute d’un homme qui sera maintenu au pouvoir par son clan faute de vision et faute d’alternative. L’homme issu d’une génération qui a fait l’histoire de l’Algérie ratera son dernier rendez-vous avec elle en se faisant « dégager » par un peuple qui a vécu son maintien au pouvoir comme un affront à sa fierté.

 

Alors que le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, a été nommé mardi 9 avril président de la République par intérim, Benjamin Stora commente pour « l’Obs » l’album photo d’Abdelaziz Bouteflika.

 

Bouteflika entretient un rapport particulier avec le peuple algérien. Malgré sa chute finale, il restera dans l’histoire comme une figure importante de l’Algérie contemporaine, ayant exercé le pouvoir dans des registres divers, comme ministre ou président de la République, pendant trente-six ans. On le voit ici, acclamé par la foule dans la ville de Khenchela, dans les Aurès, berceau historique du nationalisme algérien, dans l’est du pays, en avril 2004. Près de quinze ans plus tard, c’est de cette ville et de cette région que partiront les grandes manifestations qui vont aboutir à sa destitution.

 

Bouteflika est né au… Maroc, le 2 mars 1937, à Oujda, ville frontalière avec l’Algérie. En fait, comme de nombreux Algériens de l’Ouest, il appartient à une famille qui a longtemps ignoré les frontières entre les deux pays. Ses parents étaient originaires de Tlemcen. Il a grandi dans un milieu modeste. Oujda est aussi la ville où se sont rassemblés, pendant la guerre d’indépendance, les hommes clés de la direction du pays qui joueront un rôle important après le coup d’Etat de Boumediene contre Ben Bella en 1965.

 

Membre du bureau politique du FLN en avril 1964 et appartenant au cercle restreint des intimes du futur président Boumediene, Bouteflika est directement à l’origine du processus qui a conduit au coup d’Etat militaire du 19 juin 1965 : en voulant le limoger, le président Ben Bella précipite sa propre chute. Houari Boumediene est son modèle et son mentor. Ils partagent le même nationalisme intransigeant et le même patriotisme sourcilleux. Comme lui, c’est un nationaliste adossé à la croyance du peuple forcément uni, en particulier contre la France coloniale. Le populisme est au cœur de son expérience politique, combiné avec les héritages des révolutions nassérienne ou kémaliste. La guerre d’indépendance contre la France reste la séquence centrale de légitimation de la nation en Algérie.

 

Alors ministre des Affaires étrangères, Bouteflika est reçu au mois d’octobre 1965 par le général de Gaulle. Bouteflika déclare qu’« il est légitime que l’Algérie rende un hommage mérité à celui qui, le premier, a permis l’accomplissement d’une mutation historique ». Il est pourtant celui qui prononcera les plus violentes diatribes antifrançaises au moment de la présidence Boumediene dans les années 1970. Tout en gardant pour le personnage de De Gaulle, distant à l’égard des partis, une estime particulière.

 

Sous Boumediene, Bouteflika, ministre des Affaires étrangères depuis le 4 septembre 1963, incarne le visage de l’Algérie « révolutionnaire » dans le monde. L’Afrique est sa première expérience de politique étrangère. En 1961, pendant la guerre d’Algérie, il avait été chargé d’élargir la lutte armée en ouvrant le « front malien » au sud de l’Algérie. De cet homme, on dira qu’il représente une « diplomatie de maquisards » très engagée aux côtés des peuples du tiers-monde.

 

En décembre 1975, le chef de la diplomatie algérienne s’entretient dans un des salons de l’aéroport d’Alger avec Ilitch Ramirez Sanchez, alias « Carlos ». Il a accepté que l’avion, qui transporte le terroriste et les ministres pris en otage au siège de l’Opep à Vienne, fasse une escale à Alger. Cette photo de lui avec Carlos montre la force obscure du tiers-mondisme. La capitale algérienne devient alors, pour un temps, la « Mecque des mouvements anticoloniaux » et l’épicentre des actions violentes que préparent ces groupes dans le monde. Mais, dès 1972, l’Algérie, par souci de respectabilité sur la scène internationale, fermera progressivement les sièges de beaucoup de ces organisations.

 

Devant la tombe du président Houari Boumediene, décédé le 9 décembre 1978, celui qui avait été son principal collaborateur jure que la marche vers la révolution socialiste sera poursuivie. La promesse ne semblait pas déplacée. L’homme, pensait-on, allait succéder au chef de l’Etat défunt, dont il avait été le confident. Las, l’armée – toujours elle – en décide autrement et lui préfère l’un des siens, Chadli Bendjedid. Le 13 janvier 1980, le dauphin présumé est évincé du gouvernement. Sa disgrâce est confirmée en 1982. C’est le temps de l’humiliation et de la solitude. Comme de nombreux autres hommes politiques, Abdelaziz Bouteflika quitte le pays pour rejoindre l’« Algérie des exilés ». Il partage son temps entre la Suisse, la France et les Emirats arabes unis.

 

A la fin de la guerre civile des années 1990 qui a fait plus de cent mille morts en sept ans, l’armée va chercher Bouteflika. A la mi-décembre 1998, le « candidat privilégié », comme le surnomment ses adversaires, se veut un homme de « rassemblement ». Avançant à petits pas, il préconise, pour sortir de la crise, le « dialogue » avec tous ceux, islamistes compris, qui n’ont pas appelé à l’action violente. Il est facilement élu président de la République, le 15 avril 1999. Il entretiendra toujours des rapports compliqués avec l’armée qui l’a installé au pouvoir mais dont il cherchera, par moments, à se distancier. A sa prise de fonctions, Bouteflika se trouve confronté à une série de dossiers délicats : retour à la paix civile et question de l’amnistie, crise sociale et gestion du passage à la privatisation économique, relations politiques à l’échelle internationale, notamment avec le voisin marocain pour la construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA).

 

Sous la présidence de Jacques Chirac, qu’il accueille ici à Alger en avril 2004, Bouteflika veut lever l’hypothèque mémorielle coloniale et se rapprocher de la France. Mais, en 2005, l’Assemblée nationale française vote une loi reconnaissant les mérites positifs de la colonisation. Cela fait capoter la signature du traité d’amitié. Le rapprochement se fait au moment du déplacement de François Hollande à Alger en 2012, puis se poursuit avec Emmanuel Macron lorsque ce dernier reconnaît la responsabilité de la France dans l’assassinat de Maurice Audin en septembre 2018. Avec les manifestations populaires qui secouent l’Algérie à partir de février 2019, Macron soutiendra maladroitement le processus de transition voulu par le régime. Pendant notre entretien lors du grand débat, je lui avais recommandé de soutenir le mouvement démocratique du peuple algérien, et il m’avait répondu : « Je suis d’accord avec vous personnellement, mais je ne peux pas le dire en tant que président de la République. »

 

J’étais en Algérie un mois avant les manifestations. Malgré les réticences perceptibles d’une jeunesse humiliée d’être représentée par un président muet et invisible, jamais je n’aurais imaginé l’ampleur du mouvement qui allait embraser l’Algérie en février 2019.

 

Photos d’accompagnement : Lors de sa démission, le 2 avril, à Alger, avec Tayeb Belaiz, le président du Conseil constitutionnel (à droite), et Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la nation qui a été nommé mardi 9 avril président par intérim. (Chine Nouvelle/SIPA)

Lors de sa démission, le 2 avril, à Alger, avec Tayeb Belaiz, le président du Conseil constitutionnel (à droite), et Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la nation qui a été nommé mardi 9 avril président par intérim. (Chine Nouvelle/SIPA)

Sur cette photo où on le voit annoncer sa démission, revêtu d’une gandoura, il a l’air perdu. Il n’a pas réussi sa sortie. Abdelaziz Bouteflika sera vraisemblablement le dernier chef d’Etat algérien issu de la séquence de la guerre d’indépendance. La fin de cette tradition politique n’est pas seulement une question « biologique » avec la disparition progressive des générations issues de la guerre. Elle ne correspond plus au soubassement sociologique et idéologique de l’Algérie du XXIe siècle.

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