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Boukhobza M'hamed - El Watan/Benfodil Mustapha

Date de création: 25-06-2013 14:39
Dernière mise à jour: 25-06-2013 14:39
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ECONOMIE – PERSONNALITES – BOUKHOBZA M’HAMED – EL WATAN /BENFODIL MUSTAPHA

©  El Watan-Mustapha Benfodil, 25 juin 2013

Si l’identité culturelle d’une société ne peut être dissociée de la qualité de ses intellectuels, on peut donc affirmer que la marginalisation de ces derniers ne peut que miner les capacités de la société à se développer, à valoriser son patrimoine culturel et sa personnalité.

Phénomène aggravant, une telle situation joue un rôle majeur dans la fermeture de la société à l’égard de la modernité et du développement du progrès scientifique et technique (…). On peut affirmer que sans une promotion des élites, il ne saurait y avoir de réelle démocratie, parce qu’il n’y aura pas de compétition, donc pas de projets alternatifs porteurs d’émancipation et de liberté.» Ces mots sont de M’hamed Boukhobza. Ils sont tirés de son ouvrage majeur : Octobre 88 : évolution ou rupture (éditions Bouchène, 1991).
Que dire d’une société dont les intellectuels, les artistes, les poètes, les journalistes et autres éveilleurs de conscience n’ont pas été seulement marginalisés mais carrément réduits au silence de la manière la plus brutale ? Les Djilali Liabès (16 mars 1993), Laâdi Flici (17 mars 1993), Hafid Senhadri (18 mars 1993), Tahar Djaout (26 mai 1993), Mahfoud Boucebci (15 juin 1993), pour ne citer que les tout premiers. Un véritable «intellectocide» ! L’Algérie perdait littéralement, physiquement, sa «tête», et ce n’est pas une image. Le nom de M’hamed Boukhobza était le prochain sur la liste : il sera assassiné le 22 juin 1993 à son domicile, au Télemly (Alger-Centre). 20 ans, quasiment jour pour jour. Un chiffre qui ne nous fera guère oublier l’immense sociologue qu’était Boukhobza, lui qui connaissait sa société par cœur. Qu’il étudia patiemment, passionnément, dans ses moindres recoins, sans jamais perdre de vue l’Algérie pastorale où il avait ses racines.


D’El Bayadh à Pierre Bourdieu


M’hamed Boukhobza est né en 1941 à Brézina, dans la wilaya d’El Bayadh. Une biographie qui lui est consacrée dans un cahier spécial élaboré, en guise d’hommage, par l’Association algérienne pour le développement de la recherche en sciences sociales, et publié par El Watan (24 avril 2008), fournit de précieux éléments sur son parcours étonnant. L’on y apprend ainsi que M’hamed Boukhobza est issu d’une grande tente, une «grande famille d’éleveurs nomades de la tribu des Ouled Aïssa». Sa famille subit une forte répression pendant la guerre de Libération nationale, et lui-même sera arrêté et torturé en 1957. A l’indépendance, M’hamed Boukhobza part étudier à Rabat d’où il revient avec un diplôme d’ingénieur en statistiques et économie appliquée. Il participe à ce titre au premier recensement de la population en 1966. En 1967, il est nommé directeur de l’Association algérienne pour la recherche démographique, économique et sociale (AARDES) qu’il marquera de son empreinte. Ses anciens collaborateurs louent unanimement le «style» Boukhobza, alliant rigueur scientifique et humilité. Loin de se reposer sur ses lauriers, il décide de suivre une formation en sociologie. Sa licence en poche en 1969 (université d’Alger), il s’engage dans des études doctorales en France et soutient sa thèse le 22 avril 1976 à l’université Paris V.

Il avait comme directeur de thèse un certain… Pierre Bourdieu. Son sujet de recherche portait sur «Le nomadisme et la colonisation : analyse des mécanismes de déstructuration et de disparition de la société pastorale traditionnelle en Algérie». Un thème récurrent dans ses travaux. Pour lui, c’était un non-sens de se proclamer expert en sciences sociales et ne pas connaître la composante rurale et pastorale de la société algérienne. Chercheur boulimique, M’hamed Boukhobza est l’auteur d’un nombre foisonnant d’études, lui qui s’est intéressé quasiment à tout: la révolution agraire, les mutations de la structure familiale, les problématiques de l’emploi en milieu urbain, les phénomènes migratoires, la consommation des ménages, ou encore cette étude lumineuse sur le mariage en Algérie. Le professeur Boukhobza était, par ailleurs, l’auteur de plusieurs ouvrages : L’agropastoralisme traditionnel en Algérie (OPU, 1982), Ruptures et Transformations sociales en Algérie (OPU, 1989), sans oublier l’opus précédemment cité, Octobre 88 : évolution ou rupture ?


«Algérie 2005»


En 1981, M’hamed Boukhobza quitte l’AARDES et devient conseiller auprès du ministre de la Planification et de l’Aménagement du territoire. Il est alors sollicité pour monter une nouvelle structure : l’OSCIP, l’Office national pour le suivi et la coordination de l’investissement privé. De 1984 à 1990, il est chef de département à la présidence de la République chargé de l’organisation administrative et du développement local. Il intègre ensuite l’Institut national d’études de stratégies globales (INESG) où il retrouve son vieil ami Djilali Liabès. En mars 1992, il est choisi par le président Mohamed Boudiaf pour siéger au sein du Conseil consultatif national. Le 16 mars 1993, Djilali Liabès, qui occupait alors le poste de directeur de l’INESG, est assassiné en bas de chez lui, à Kouba. Trois mois plus tard, M’hamed Boukhobza, qui lui avait succédé à la tête de cet institut, subira le même sort. Peu avant son assassinat, M’hamed Boukhobza travaillait sur un rapport rédigé par une commission d’experts qu’il présidait, et intitulé «Algérie 2005». Commandé par la présidence de la République, ce rapport volumineux se voulait une étude prospective globale destiné à identifier les maux structurels de l’Algérie qui l’empêchait de se projeter dans la modernité.

Parmi ces plaies : la corruption d’Etat.  Dans Octobre 88 : évolution ou rupture ? Boukhobza écrit : «On a dit par le passé que le seul héros, c’est le peuple. C’est là un raccourci qui prive le peuple de son génie principal ; celui d’avoir généré des hommes et des femmes qui, à un moment donné, ont incarné sa volonté et ses aspirations et qui ont été suivis pour rompre les chaînes de la servitude. Il n’y a que la foule qui n’a pas de leader ; le peuple est le produit d’une histoire et d’une culture qui se projette nécessairement dans tous ceux qui en représentent une ambition, une fierté, un futur, une aspiration. La grandeur de ce peuple réside essentiellement dans sa capacité à "produire" continuellement des grands personnages que ce soit dans le domaine de l’action intellectuelle, culturelle, politique, religieuse ou militaire.» M’hamed Boukhobza faisait assurément partie de ces grands personnages. Il aura brillamment accompli sa mission. Et nous ?

 

Mustapha Benfodil