HISTOIRE- PERSONNALITES- LES
AVOCATS ET LA GUERRE D’ALGERIE (I/II)
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« Avec les confrères qui
acceptaient comme nous cette tâche, nous avons voulu, sans souci des menaces
précises, réitérées, anonymes, officieuses ou officielles, malgré les préjugés,
les intérêts et l’horreur de cette guerre, que les accusés quels que soient la
qualification appliquée à leurs actes et le mépris dans lequel certains
voudraient tenir leur idéal, puisse trouver, en face d’eux, des visages qui ne
soient pas seulement ceux des juges, des procureurs, des policiers, des soldats
et des bourreaux ». C’est ainsi que maîtres Vergès, Courrège et Zavrian expliquaient au président du Comité international
de la Croix-Rouge, leur engagement aux côtés du Front de Libération Nationale
algérien.
Ils furent plus d’une centaine d’avocats
durant la guerre d’Algérie et les années qui la précédèrent à assurer la
défense des militants nationalistes algériens face à la répression du
gouvernement français, mise en place de manière systématique à partir de
1947 et intensifiée en raison de la guerre à partir du 1er novembre
1954.
Lorsque l’on parle de la défense des
militants algériens, c’est en premier lieu la personne de Jacques Vergès et la
« stratégie de rupture » qui viennent à l’esprit. Celui-ci sera en
effet l’emblème du collectif mis en place par le FLN à partir de 1958. Pourtant
la défense des militants nationalistes fut très tôt prise en charge par des
avocats en opposition au colonialisme et à la guerre menée par la France aux
indépendantistes algériens, mais aussi malgaches ou africains.
Il est donc important de revenir sur
l’histoire de ces différents défenseurs des militants algériens avant de
présenter comment fut structuré le « collectif des avocats du FLN »
et quel fut son impact sur la défense et la médiatisation de la lutte pour
l’indépendance.
C’est bien avant le début de la guerre
d’Algérie et la Toussaint rouge que se posa la question de la défense des
militants nationalistes algériens. Dans les années qui suivirent les révoltes
de Sétif et Guelma, les militants du PPA de Messali Hadj (qui devient à cette
époque le MTLD) seront fortement poursuivis. Des futurs dirigeants du FLN comme
Krim Belkacem, Ahmed Ben Bella, Ribah Bitat ou Ahmed Khider furent
notamment condamnés pour leurs activités clandestines au sein du PPA-MTLD.
Ce fut à ce moment qu’un certain nombre
d’avocats français que nous retrouverons par la suite initièrent la défense des
militants nationalistes algériens. C’est notamment le cas de Pierre Braun,
Henri Douzon ou encore Yves Dechézelles
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Les avocats algériens
Les avocats Chawki Mostefaï,
Saad Dahlab, Sid Ali Abdelhamid et Abdelkader Ougouag furent en effet chargés par la direction du MTLD de
mettre sur place « un organisme, distinct du parti, pour venir en aide et
soutenir les nombreuses victimes et leurs familles ». Ce comité fut le
C.S.V.R. (Comité de Soutien aux Victimes de la Répression). Au-delà des
activités de soutien aux victimes de la répression et à leur famille
(approvisionnement en nourriture aux détenus et aux familles, soutien moral aux
détenus, passage de communications entre les prisons et l’extérieur…), le CSVR
eut aussi à défendre de nombreux condamnés dans les procès qui se multiplièrent
après l’interdiction du MTLD.
Bien qu’ils demeurèrent différenciés,
notamment en raison de leurs origines et de leur direction politique, ces deux
comités ne cessèrent de collaborer et suite à l’adhésion de nouveaux avocats
comme Amar Bentoumi (futur ministre de la justice
algérien), Auguste Thuveny (assassiné par la Main
Rouge en Novembre 1958), Mohamed-Seghir Benbegra (militant du MTLD), Louis Grange, … ce réseau
d’avocats compta plus de 30 membres en 1956 (en France et en Algérie) et assura
la défense de nombreux accusés dans toutes sortes de procès, petits ou grands.
Ce sont généralement les avocats des
barreaux français qui assurèrent la défense dans les procès importants, où de
lourdes peines étaient encourues.
Ce fut notamment le cas lors du procès
de quatre dirigeant du MTLD poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’État
suite à la parution d’articles dans L’Algérie libre. À cette
occasion, les dirigeants Lahouel Hocine, Abderrahmane
Kiouane, Ahmed Mezerna et
Moulay Merbah furent défendus par Maîtres Stibbe, Bentoumi, Narboni et Nordmann. Ce dernier permit entre autres la
participation de Maître Pritt, avocat britannique et
député à la chambre des Communes qui s’était fait notamment connaître dans la
défense des chefs du mouvement indépendantiste Mau-Mau au Kenya.
Mais la scission du « groupe des
6 » au sein du MTLD qui allait donner naissance au FLN après les attentats
du 1er novembre
1954 ne tarda pas à entraîner une différenciation dans la défense entre les
avocats qui suivirent le FLN et ceux qui demeurèrent proches du MTLD.
C’est dès les premiers jours de la guerre
que vont être posées les fondations de ce qui restera par la suite connu sous
le nom de « collectif des avocats du FLN ».
Le « Collectif des avocats du
FLN »
Il semble que cette création se soit
faite en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, l’initiative
revint à l’avocat parisien Amokrane Ould Aoudia. Selon Amar Bentoumi qui
s’était rallié au FLN dès le lendemain de la Toussaint Rouge, Me Ould Aoudia se rendit
spontanément à Alger dans les deux semaines qui suivirent le déclenchement de
l’insurrection afin de s’informer sur l’avenir de la défense des militants FLN
qui ne manqueraient pas d’être poursuivis. Il fut convenu avec A. Bentoumi qu’après avoir obtenu l’accord de la direction du
FLN, celui-ci aurait pour tâche la mise en place d’un collectif d’avocats en
France.
Toutefois c’est à leurs anciens
défenseurs (Stibbe, Douzon,
…) que les militants nationalistes continuent à faire appel dans les premiers
temps suivant l’insurrection. Les difficultés concernant la continuation de la
défense par les avocats historiques du mouvement nationaliste vont naître du
fait que le FLN va, comme le dit Ali Haroun, rejeter les anciennes
« règles du jeu » et proclamer d’emblée « qu’il ne jouera plus
avec les cartes françaises »[13].
La loi française étant la loi d’un pays étranger occupant l’Algérie, le FLN est
en guerre contre la France et les militants doivent donc « se comporter en
belligérants ».
Ce changement d’optique du détenu et de
l’accusé ne pouvait qu’entrainer un changement dans la façon d’appréhender la
défense des nationalistes qui étaient dorénavant des « combattants »,
au même titre que les soldats d’une armée étrangère. Il devenait donc
impossible de défendre les militants au regard de la loi française et ainsi il
devenait difficile pour les avocats de ne plus être assimilés à des militants
et non plus à de simples défenseurs. Comme le souligne Ali Haroun, « il
était nécessaire de considérer tous les avocats du FLN comme des militants
d’une cause dont les principes sont universellement admis (…) ils ont eux-mêmes
choisi [les avocats français du FLN] entre la loi de l’époque et le droit
permanent, la légalité coloniale et la justice intrinsèque ».
Les anciens avocats du MTLD tels que Stibbe n’avaient jusqu’alors pas eu à s’aventurer sur ce
terrain, du rejet de la légalité française que choisissait alors le FLN. C’est
certainement une des raisons à l’origine des divergences qui survinrent entre
le FLN et les défenseurs traditionnels du FLN. Mais ce n’est certainement pas
l’unique. La volonté d’une mainmise totale du FLN sur son système de défense et
d’une certaine allégeance des avocats à sa politique peut aussi expliquer la
séparation qui intervint entre le Front nouvellement né et les avocats
historiques du mouvement nationaliste, qui de plus appartenaient souvent par
ailleurs au mouvement communiste (PCF ou PCA).
Ainsi Haroun relate à titre d’exemple
les incidents et différents qui ont mené à la séparation de Stibbe
et du FLN. En premier, ce dernier refusa en 1957 de faire sortir de la prison
de la Santé un rapport sur l’opportunité de la constitution d’un gouvernement
provisoire algérien, rédigé par les Cinq dirigeants du FLN incarcérés et dont Stibbe était le défenseur. Ensuite, il fut reprocher à Pierre Stibbe de
refuser de défendre le fidaï ayant
assassiné Bekhat, le secrétaire de l’USTA (Union
Syndicale des Travailleurs Algériens), d’obédience messaliste et enfin l’avocat
s’éleva contre l’assassinat par le FLN du bras droit de Messali Hadj, Lekhtif Embarek Filali. Le
divorce semblait donc inévitable entre le nouveau parti nationaliste et
l’avocat historique du mouvement national algérien.
Comme Stibbe
le déclara lui-même à Omar Boudaoud responsable de la fédération de France du
FLN : « Je suis avocat du FLN et non pas militant de votre
organisation ».
Le FLN avait besoin d’un collectif
d’avocats qui soit un instrument au service de sa lutte, de laquelle les
avocats se considéreraient donc comme des militants et surtout
n’appartiendraient à aucune autre organisation (surtout au Parti Commmuniste).