COMMUNICATION- FORMATION
CONTINUE - SIGNIFICATION D’UNE INFORMATION/ETUDE « THE CONVERSATION »,2023
Comment les
médias peuvent influencer la signification d’une information ?
© April 18, 2023/ www.theconversation.com
Quand le média en ligne The Conversation publie un article sur le revenu d’existence par création monétaire, il met en relation des chercheurs d’une université de province et des
lecteurs de toute la francophonie. The Conversation établit une
communication entre deux êtres qui ne sont pas dans le même espace. C’est ce
que l’on appelle une médiation. Mais la médiation n’est pas neutre, elle est
toujours active. Quand on fait appel à un médiateur pour régler un problème
entre voisins, on espère que celui-ci va déployer une activité diplomatique
suffisante pour permettre le rétablissement de bonnes relations.
Dans nos sociétés démocratiques, il existe une médiation singulière, celle
des médias de masse : presse, radio, télévision. Ces médias de masse relaient l’information
entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une
représentation d’elle-même.
Cette représentation n’est pas objective, elle est construite selon des
règles qui ont été étudiées par les sciences de l’information et de la
communication. Parmi toutes les notions explicatives, en voici trois.
« le message
c’est le médium »
La première notion est celle de médium. Marshall McLuhan,
philosophe canadien, a écrit un livre intitulé « Pour comprendre les médias » paru
dans les années 1960. Dans ce livre, il affirme que « le message
c’est le médium ». Cette affirmation signifie que le sens profond n’est
pas à rechercher dans les mots, les images ou les sons transmis par les médias
de masse, mais dans leur nature technique. Pour lui, les moyens de
communication déterminent la société et la font évoluer. Nous étions, toujours
selon ce penseur, dans les débuts de l’humanité, dans une civilisation dominée
par la communication orale. Nous sommes, dit-il, grâce à l’imprimerie, rentrés,
à la Renaissance, dans une civilisation de l’écrit qui au XXe siècle à laissé la place à une nouvelle civilisation, celle de
l’audiovisuelle.
Cette idée que les médias déterminent le monde est au cœur de ce que certains
nomment aujourd’hui la révolution Internet. Or, cette idée est fausse.
Elle ne repose sur aucune enquête de terrain. Elle ne rend pas compte de la
complexité des relations entre la technique, l’économie, le politique et les
croyances. Elle nie la réalité historique de la coexistence des différents
médiums (la télévision n’a pas tué le livre et n’a pas été tuée par Internet).
Elle confond le monde et l’Occident. Elle oublie le rôle des conflits dans
l’histoire humaine, etc.
Pourtant, cette théorie a eu le mérite de pousser à s’interroger sur un
fait que l’on négligeait jusqu’alors : le médium n’est pas neutre. Le
médium ne transmet pas le sens, il participe, de manière souvent invisible, à
la compréhension de la signification. Envoyé un « Je t’aime » ou un
« je te quitte » par SMS, le dire en vidéo ou l’exprimer en face à
face ne sera pas compris avec la même sensibilité, n’aura pas la même force, ne
provoquera pas le même effet.
Le médium n’est pas un support qui inscrit, sans la changer, la
signification dans sa matérialité (du papier, un écran, du son), ce n’est pas
davantage un moyen de communication qui fabrique, à lui tout seul, du sens,
c’est une médiation matérielle qui transforme la signification.
Pour bien comprendre un message médiatique, il faut donc comprendre la
nature de cette médiation singulière. Or, la plupart du temps, nous n’avons pas
conscience de l’importance du médium dans la signification.
L’importance du cadrage
La seconde notion importante pour comprendre une communication médiatique
est celle de cadrage. Dans le domaine des médias de masse, parler de
« cadrage », c’est s’intéresser à la façon
dont les médias représentent un sujet précis, en attirant l’attention sur tels
points qu’ils jugent pertinents au détriment de tels autres que le destinataire
pourrait pourtant juger tout aussi pertinents. Les médias ne se contentent pas
d’attirer l’attention sur telle question plutôt que telle autre, ils proposent
une définition particulière d’un problème qui est déjà une interprétation, une
orientation de la réponse. Parler de l’accueil des migrants comme un problème
politique, comme une nécessité morale ou comme un danger terroriste, c’est déjà
orienter la compréhension de l’actualité.
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Dans ces opérations de cadrage, le titre et les illustrations sont des
éléments clefs qui vont orienter la compréhension du message, même si celui-ci
est plus nuancé, plus rationnel que le titre ou l’illustration choisie. Ce
cadrage obéit à des logiques professionnelles (le spectaculaire plutôt que
l’ordinaire), des logiques éditoriales – la suppression de l’impôt sur la
fortune ne sera pas cadrée de la même façon dans L’Humanité que dans Le Figaro, puisque leur lectorat est
idéologiquement opposé –, des logiques économiques (ne pas trop déplaire à un
annonceur qui est sur la sellette), etc.
Ce cadrage obéit aussi à des logiques culturelles comme l’a montré Tourya Guaaybess, chercheure en
communication internationnalement reconnue, dans un
livre sur le cadrage médiatique des révolutions arabes. En
Ukraine, par exemple, ces révolutions étaient lues par certains médias
conservateurs comme des épisodes violents de foules en colère et menaçantes
pour l’ordre public, alors que d’autres médias, plus progressistes, y voyaient,
à l’image de la révolution orange, un peuple en train de se libérer de la
tyrannie.
Loin de ces deux manières de cadrer la réalité révolutionnaire, les médias
français insistaient plutôt sur le rôle des nouvelles technologies et faisaient
référence au « printemps des peuples de 1848 ».
Dans ces conditions, comprendre pleinement un message médiatique demande de
connaître le média qui a construit ce message afin de pouvoir décrypter le
cadrage qu’il a mis en œuvre. Cela demande aussi de s’exposer à des médias non
nationaux pour déconstruire le cadrage culturel de ce message. Autant de
conditions qui ne sont que rarement remplies.
Le rôle de l’énonciateur
La troisième et dernière notion qui permet d’expliquer la difficulté de
comprendre une communication médiatique est celle d’énonciateur. Les sciences
du langage distinguent ce qui relève de la langue (code structuré par un
ensemble de règles obligatoires comme l’accord du sujet et du verbe, par exemple)
et l’énonciation qui est le style expressif utilisé par un locuteur.
L’énonciation met en œuvre au moins trois instances, un énonciateur (celui
qui s’exprime, ici, le journaliste), un destinataire (l’auditeur, le lecteur,
le téléspectateur), un énoncé (le message médiatique). Or, pour comprendre
correctement un énoncé, il est souvent nécessaire d’identifier l’énonciateur.
Par exemple, la phrase entendue à la radio « Les Belges n’ont pas
d’humour » ne sera pas comprise de la même façon si elle est énoncée par
l’animatrice belge de l’émission humoristique « Par Jupiter » sur
France Inter que par un sondeur invité à commenter le rapport à l’humour de
plusieurs habitants de l’Europe.
Dans l’émission Par Jupiter, France Inter.
Or, le problème est qu’identifier un énonciateur dans les médias de masse
n’est pas chose aisée. En effet, ce n’est pas forcément celui qui parle qui est
le véritable énonciateur. Par exemple, le présentateur du journal de TF1 peut
lire un texte sur le prompteur qui est une dépêche d’agence, une information
rédigée par le rédacteur en chef ou une citation d’un homme politique. Dans ce
dernier cas, est-ce vraiment l’homme politique qui a tenu ce propos ? Un
adversaire qui déforme sciemment son propos, un conseil en communication de
l’homme politique ?
Ce qui est compliqué lorsqu’on s’efforce de comprendre un message d’un
média bien déterminé devient, de nos jours, encore plus complexe puisque les
nouvelles sont agrégées automatiquement, déformées et reformées par des
centaines de personnes sur les réseaux sociaux, si bien que l’on ne sait plus
qui est l’énonciateur du message. On ne peut plus alors le comprendre dans son
intégralité, le soumettre au jugement critique de son libre arbitre. Quand
l’énonciateur s’efface, la compréhension recule et la désinformation avance.