FINANCES- ETUDES ET ANALYSES- CORRUPTION ALGERIE/ETUDE
AHCENE DJABALLAH B. (III/IV)
Le jeudi 27 décembre
1990, les membres de l'Assemblée populaire nationale adoptaient, par 91 voix
contre 8 et 10 abstentions, le rapport de la commission d'enquête parlementaire
sur "la soi-disant affaire des 26 milliards de dollars" pour
reprendre l'expression malheureuse, "utilisée" en français par les
traducteurs du service presse de l'Apn, lors de la
distribution du document, et ont décidé de la transmettre à la justice.
En six mois, 40 hauts
responsables (de la police, de la gendarmerie, de la Sécurité militaire, de la
Justice, de la Cour des comptes, de l'Inspection générale des finances, du
gouvernement... et un seul wali, Merazi - Oran - qui
se serait présenté volontairement, ont été auditionnés (le seul refus a été
enregistré, par 3 fois, de la part du président du Conseil constitutionnel,
ex-ministre de la Justice et ex-Secrétaire général de la Présidence de la
République, Abdelmalek Benhabylès), 120 lettres de
citoyens ont été étudiées (au mois d'août, le parlement avait invité "les
Algériens détenteurs d'informations ou documents "en relation avec les
révélations de A. Brahimi à les adresser aux commissions d'enquête), et des
milliers de dossiers ont été traités (le plus brûlant aurait été celui de la
construction en préfabriqué destinée à la ville de Chlef après le séisme
d'octobre 1980, et dont l'ex-wali avait été "expédié" dans une
ambassade africaine, dès la fin de l'opération).
"... La
commission a souligné que le chiffre de 26 milliards de dollars avancé par
Monsieur Abdelhamid Brahimi a profondément atterré l'opinion publique d'autant
qu'il était presque l'équivalent de la dette extérieure de l'Algérie dont les
citoyens ne comprennent pas l'origine.
A l'écoute des
multiples intervenants au cours de l'enquête, la commission estime que ce qui caractérise
l'ensemble des thèses est l'absence de distinction précise entre la corruption
au sens juridique du terme (art. 126 à 134 du code pénal) et les cas de
détournement, de surcoûts, de réévaluation découlant de retards de réalisation
et l'absence de maîtrise dans la gestion. En d'autres termes, estime la
commission, et au-delà de la définition juridique de la corruption, les thèses
avancées prennent pour base "les signes extérieurs de richesse non
conformes aux revenus personnels". L'accent a été mis, les personnes interrogées,
"sur une classe qui a exploité différentes positions dans le
pouvoir pour renforcer des privilèges" et qui se manifeste par des
constructions somptuaires, l'acquisition de voitures de luxe, la multiplication
des résidences et des voyages à l'étranger. Relevant la difficulté de qualifier
la corruption "en raison des précautions prises par le corrupteur et le
corrompu", la commission, indique le rapport, a pris en compte "les
cas de mauvaise gestion et les comportements irrationnels qui relèvent d'arrière-pensées
ne pouvant être expliquées que par de la corruption".
Certaines affaires
évoquées au cours des auditions, remontant à plus de vingt ans, "ont été
tranchées par justice et bénéficient par conséquent de l'autorité de la chose
jugée", indique le rapport qui relève que la majorité des personnes
auditionnées avaient une approche personnelle visant à se faire connaître et
éviter l'oubli, à défendre les positions qu'ils avaient prises afin de lever le
doute les entourant, à disculper leur gestion passée, à revenir de nouveau sur
la scène en exploitant le nouveau contexte politique et même pour des mobiles
de vengeance politique. Certaines des affaires citées, ajoute le rapport de la
commission d'enquête, sont au niveau de la justice ou font l'objet
d'enquêtes judiciaires. La commission rappelle que la pratique des
intermédiaires et l'octroi de commissions étaient des activités légales au
regard du droit. Jusqu'à la promulgation de la loi 02/78 du 19 février 1978
portant sur le monopole sur le commerce extérieur. Ce monopole, indique le
rapport, qui cite certains analystes, "a permis au monopole, à
l'extérieur, et aux intermédiaires à l'intérieur, et même au niveau des
structures officielles relevant des différentes sociétés nationales à prendre
un aspect organisé et à faciliter la corruption des responsables".
La commission relève
que les services chargés du contrôle ont indiqué "que tout dossier examiné
et relevant une atteinte à l'économie nationale on
une infraction de la loi comportant des preuves et des documents étaient
transmis à la justice". Ces services, ajoute le rapport, demandent à
Monsieur Brahimi à donner des preuves que des dossiers n'ont pas été transmis à
la justice et affirment que ce responsable n'a jamais déposé de plainte ou
transmis de dossiers au cours de la période où il exerçait des responsabilités.
La commission
d'enquête note avec regret que cette affaire a porté atteinte à "la
réputation du pays et a entaché sa crédibilité au niveau interne et
externe" et souligne qu'il y a des "entreprises et des cadres et des
travailleurs qui ont fait des efforts sincères et gigantesques" pour le
bien du pays. Si la corruption, ajoute le rapport, a touché des individus,
"on ne peut, en aucun cas, la généraliser avec cette simplicité et semer
le doute dans l'esprit de tous les Algériens…"
La commission a cité
un grand nombre de dossiers qui mériteraient une enquête approfondie en raison
de la suspicion qui les entoure. Il s'agit de nombreux contrats conclus par des
entreprises nationales, du dossier du préfabriqué en référence au programme mis
en place après le séisme de Chlef, le dossier des céréales, du café, du sucre,
des tomates, des épices, du dossier Bouygues, l'achat de 3 Airbus, le dossier
de l'Institut Pasteur, l'Enafec, l'Enapharm, El Hamma, Sntf,
textiles, silos de céréales, Cnan, Oncv, l'Université, et d'autres comme le cas d'annulation
d'impôts et le dossier des biens vacants, dossiers derrière desquels les
observateurs de la scène politique nationale depuis 1965 devinent aisément les
personnalités ou les personnages impliqués ou soupçonnés… Le rapport de la
commission d'enquête relève que les noms de personnes se rapportant à ces
dossiers ne sont pas cités car les informations recueillies sont partielles et
qu'il faut des enquêtes approfondies avant de porter des accusations.
Dans ses conclusions,
la commission d'enquête relève que la loi 04/80 portant sur la fonction de
contrôle de l'Apn est très restrictive et qu'elle a
été élaborée dans le cadre d'un système ne connaissant pas la séparation des
pouvoirs et où le gouvernement n'était pas responsable devant l'Assemblée. En
outre, indique le rapport, le délai de 6 mois fixé par cette loi est très
insuffisant et que la prescription sur les affaires est fixé
à 10 ans, "alors que l'atteinte aux intérêts supérieurs du pays et la
corruption n doivent pas connaître de prescription".
La commission estime,
également, que la faiblesse de la prise en charge matérielle des fonctionnaires
et des opérateurs facilite les déviations de ceux-ci face aux sollicitations
des étrangers et des multinationales. Enfin, l'absence d'application du
principe "d'où tiens-tu cela ?" a permis "à des éléments
parasitaires à profiter de la faiblesse de la dissuasion et d'étaler leur
richesse".
Après avoir souligné
la nécessité d'approfondir l'étude des dossiers en recourant à des experts
spécialisés, la commission a proposé de maintenir le dossier ouvert afin qu'il
soit examiné par la future Assemblée ou de la transmettre à la justice..."
(Aps).
Si pour l'affaire de
la Cnc, les masques ne sont pas tombés, pour
l'affaire des 26 milliards, le titre d'Alger Républicain est aussi
catégorique : "La montagne et la souris : rien de bien spectaculaire dans
le rapport..."
Pression ou impasse
naturelle, s'interrogeait le journaliste dès le "chapô" de l'article.
Les deux, certainement : sans doute se souvenait-il que, début octobre, le
Président Chadli Bendjedid réagissait, pour la première fois, lors d'une
émission télévisée, en qualifiant de "fantaisistes" et de
"salonnards" les propos de A. Brahimi, et en ajoutant que son ancien
Premier ministre "devait apporter des preuves". A Brahimi montait au
créneau, deux semaines plus tard, démissionnant du Comité central du Fln, tout
en maintenant ses révélations. Dans une interview au quotidien El
Moudjahid, il affirmait sans ambages que "le Chef de l'Etat était au
courant de tout". Il ajoutait même que le Premier ministre Mouloud Hamrouche avait déclaré, lors d'une session du Comité
central du Fln, que "des dossiers sur la corruption existent bel et bien,
mais qu'il n'en déterrerait aucun". Dans une interview publiée le 24
novembre 1991 par le Quotidien d'Algérie, il est plus précis : les dossiers existent... et ils sont
à la Présidence.
26 milliards de
dollars selon Brahimi, 37 milliards selon un bureau d'études suisse, une
cinquantaine selon le New-York Times, 2 milliards tout au plus
selon Hamrouche, 1,5 selon Mahfoud Nahnah, le chiffre, en fait importe peu.
Surtout lorsqu'on sait
que le peuple a surtout condamné, une première fois, par la très forte sanction
négative du Fln, lors des élections locales du 12 Juin 1990, les faits
eux-mêmes qui n'avaient rien à voir avec la
morale la plus élémentaire et, surtout, avec les principes de la politique
socialiste ou de justice sociale tant prônée depuis près de 28 années. Les
citoyens auraient voulu non des bilans mais une véritable enquête, avec des
noms, non ceux des exécutants mais des commanditaires ce qui, objectivement, ne
pouvait être fait par les tenants du pouvoir du moment, tant la corruption a
éclaboussé, peu ou prou, tout le monde..., certains députés de l'Assemblée
nationale y compris.