FINANCES- ETUDES ET ANALYSES- CORRUPTION ALGERIE/ETUDE
AHCENE DJABALLAH B. (I/IV)
CORRUPTION : 26 MILLIARDS DE DOLLARS
.QUI S’EN SOUVIENT ?*(CONTRIBUTION
in LE QUOTIDIEN D’ORAN, JEUDI 19 ET SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019)
Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH, ancien Professeur associé à l’Ecole nationale supérieure de journalisme
d’Alger, journaliste indépendant
« Une bande de
voleurs n'est forte que par la justice qui règne entre ses membres". Alain,
philosophe français.
Le 20 mars 1990 n'a
vraiment pas été un jour de chance pour Abdelhamid Brahimi (fils de Cheikh El
Mili, un des fondateurs du mouvement des Oulémas, ex-Premier ministre englouti
par la tempête d'Octobre, ex-ministre du Plan et de l'Aménagement du
territoire, Président, à partir de 1981, de la toute puissante Commission des
grands équilibres par laquelle transitaient les opérations financières à
l'étranger, ex-représentant de Sonatrach aux Etats-Unis d'Amérique, ex-Wali de
Constantine et il se serait alors opposé au "coup d'Etat" militaire
du 19 juin 1965 , ex-Officier de l'Aln, etc…). Une
journaliste du quotidien du soir El Massa était présente lors
d'une de ses conférences tenue à l'Institut des
sciences économiques du Caroubier (Alger). Et, pour répondre à l'attente d'un
public de plus en plus friand de "révélations", notre reporter n'a
saisi que ce qui lui a paru essentiel, et qui sera publié dans l'édition du 22
mars : L'ex-Chef du gouvernement a fait état de commissions de 20% versées à
des opérateurs sur les marchés contractés avec l'extérieur. En calculant sur
une base de 20 ans d'importations, cela donnait le chiffre effarant de 26
milliards de dollars, soit un peu plus que le niveau de la dette extérieure du
pays.
Devant l'esclandre,
une mise au point a été faite quelques jours après. Elle précisait que le
chiffre a été le fruit d'une gymnastique intellectuelle se basant… sur la
déclaration d'un haut responsable… en l'occurrence Monsieur Mouloud Hamrouche qui, lors de journées d'études parlementaires,
avait critiqué les "surcoûts des importations", qu'il évaluait à 20%.
"Ce que j'ai dit", devait-il préciser par la suite, dans une
interview accordée à l'Aps, "n'a rien à
voir avec les accusations de détournement et de pots-de-vin".
Dans une interview
accordée le 21 octobre 1990 au quotidien El Moudjahid, celui par
qui le scandale était arrivé et qui, par la suite, se "réfugia" en
Angleterre à partir de fin avril 1992, puis en France pour, dit-on, y enseigner
"l'économie islamique", donnait plus de précisions sur sa mésaventure
intellectuelle, précision qui prouvaient seulement une certaine inconscience ou
légèreté des interventions publiques des hommes politiques de l'après-Octobre,
soucieux, par ailleurs, de se placer ou de se replacer dans un échiquier
bouleversé :
"J'ai évoqué,
devant les étudiants, les conditions de la relance économique et les mesures à
prendre pour lutter contre le chômage, après avoir énoncé les principes
économiques et techniques et pour assurer la relance économique. J'ai dit que
ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut, en outre, restaurer
la confiance pour que les citoyens puissent adhérer et soutenir la politique
d'austérité engagée. Ceci passe par la lutte contre la corruption.
J'ai cité la
corruption externe, et pour arriver à 26 milliards, je suis parti d'un calcul
de 20% sur une période de 20 ans d'importations. Je peux dire davantage. Non
seulement, je maintiens l'estimation des 26 milliards mais, si je tiens compte
de toutes les déperditions, outre la corruption et les surcoûts comme par
exemple le manque à gagner dû au faible taux d'utilisation de nos usines et le
gaspillage, la "facture" dépasserait largement ce chiffre. Peut-on
accepter cette fuite sans contre-partie dans le
contexte que vit notre pays ?
Deuxièmement, j'ai
parlé de la constitution de milliardaires, de fortunes dans des délais très
courts par les procédés illicites aggravant, par là-même, les inégalités et les
tensions sociales.
Troisièmement, j'ai
parlé des trafics d'influence, de la corruption générée par les pratiques
bureaucratiques au plan interne à tous les niveaux et dans tous les secteurs
d'activité. Donc, il faut des mesures claires et sérieuses.
Pourquoi, d'ailleurs,
la presse nationale n'a retenu que la première question appelée l'affaire des
26 milliards et n'a rien dit sur les deux autres questions non moins importantes
que j'ai soulevées".
Dans un article publié
par Alger Républicain, en mai 1990, Larbi Chaâbouni,
prenant appui sur la "bombe" lâchée par Brahimi, est parti à la
découverte du monde algérien de la corruption en citant son évolution à travers
des dossiers épineux :
"… La révélation
de Monsieur Brahimi a fait l'effet d'une véritable bombe. Silence pesant et
consternation générale. Puis, réagissant à cette accusation à la fois
"diffamatoire, tendancieuse et imprécise", selon les termes du
communiqué de la Fédération nationale des associations des gestionnaires du
service public (Fnag), le Gouvernement de Monsieur Hamrouche, en accord avec la Présidence de la République, a
publié une déclaration en date du 6 avril 1990, dans laquelle, il appuie, sans
réserve, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire proposée et
adoptée récemment à l'Assemblée nationale. Selon le délégué des auteurs, Falek, cette dernière est chargée de faire "la
lumière", délimiter les responsabilités des uns et des autres et lever
l'immunité des institutions qui ont permis la signature des contrats ayant
amené des pots de vin". D'autre part, la déclaration gouvernementale
rappelle que "le dispositif en place engagé dans le cadre des réformes
vise, notamment en matière de commerce extérieur, la mise en place de
mécanismes transparents qui permettent d'en finir, dans tous les domaines (…)
avec les pratiques supposées ou réelles de manipulations occultes des hommes et
des biens publics qui jettent le discrédit sur la gestion de 28 années
d'indépendance et de protéger les gestionnaires contre les allégations et
rumeurs démagogiques". A la Fnag, les
gestionnaires du secteur public, refusant de continuer à servir de boucs
émissaires, ont exigé plus de précisions, de faits concrets et d'actes
délictueux, les noms des coupables et la date de signature des contrats, après
avoir menacé d'introduire une action judiciaire pour la défense de leurs
intérêts moraux. "Conscients des enjeux", comme il a tenu à
l'affirmer dans sa lettre remise à la presse, publiée le 28 avril 1990,
Monsieur Brahimi a, non seulement, lavé de tout soupçon les opérateurs
économiques et les cadres gestionnaires, mais il n'a pas dévié d'un iota de sa
position initiale. Ceci constitue une manière comme une autre de clarifier les
responsabilités.
Mais, derrière les
cliquetis des armes, par-delà les enjeux politiques réels, l'affaire des 26
milliards est-elle l'iceberg ou une partie de l'iceberg ? Tout concorde, en
fait, à croire qu'elle est loin de constituer un fait isolé. C'est, tout
d'abord, le sens premier que l'on donne à l'offensive de Monsieur Bélaïd Abdeslam, qui, après avoir lancé le débat sur la
politique gazière sur la place publique, considère que le manque à gagner, ces
dernières années, est de 40 milliards de dollars. Pas moins de 35 milliards de
dollars de l'avis des experts. Dans la foulée, il cite le cas de détournement
des crédits destinés au financement de Gnl 3,
consentis par les canadiens, au profit de la construction de Riadh El Feth, entraînant une majoration du taux d'intérêt.
"Nous n'avons rien à redouter, soutient-il dans une interview parue
à Horizons, même des quelques scandales que nous avions découvert,
des gens qui ont reçu des commissions".
Comme pour mieux
enfoncer le clou, le Canard enchaîné publie une information selon
laquelle, en 1981/82, un négociateur algérien aurait réclamé le versement d'une
forte commission en Suisse, lors des négociations sur le contrat pour la
fourniture de gaz à la France. Le journal satirique note que l'ancien Premier
ministre, Monsieur Mauroy, a finalement refusé, après avoir sondé les experts
français.
Tous ces éléments
associés versent dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler le dossier noir
de la corruption et accréditent la thèse d'une généralisation de ce mal aux
différents niveaux du système de gestion économique. Affaires pour affaires, il
y a lieu de relever la dénonciation du projet de l'Institut Pasteur (Nipa) par
des députés. Selon l'un d'entre-eux, le Nipa est une
affaire encombrante qui a englouti une somme colossale et pourrait être le
début effectif de l'enquête sur les 26 milliards de dollars de pots-de-vin.
Pour d'autres parlementaires, il est surtout question de mauvaise gestion, de
corruption et de détournement.
Ce projet, datant de
1975, a abouti à un arrêt des travaux, à la suite d'un contentieux financier
avec la société chargée de sa réalisation, la Sodeteg.
Réévalué à trois reprises, son volume d'investissement a été porté de 110
millions de Da à 698 millions de Da. Les surcoûts engendrés, nous dit le
ministre de la Santé, Monsieur Khedis, sont liés à
deux facteurs essentiels : La conception du projet, ambitieux dans sa finalité
(il est destiné à couvrir les besoins, en vaccins, de l'Afrique) et sa
réalisation qui a souffert de l'absence de suivi et d'évaluation. Le ministre
rejette toutefois, catégoriquement, l'idée de corruption ou de vol en prenant
appui sur les conclusions des 7 commissions d'enquête précédentes. La seule
anomalie relevée concerne l'inexistence de caution bancaire (15%) pour
laquelle, le directeur général, le responsable de la comptabilité et le chef de
projet, installé actuellement à Nice, ont été sanctionnés. Pour le reste,
aucune trace de preuves concrètes. C'est le verdict des dossiers.
La tempête souffle
également fort dans les milieux du secteur privé. Par Cnc
(Chambre nationale du commerce) interposée, les accusations pleuvent et portent
sur des cas de surfacturation, d'importation d'équipements anciens à la place
du neuf, des licences d'importation de complaisance au bénéfice d'élus siègeant dans des commissions. C'est ce que semble retenir l'Apn qui a décidé d'instituer une commission d'enquête sur
la gestion de la Cnc.
Trois années seulement
après sa création, la Cnc, dépendante du ministère du
Commerce, est violemment contestée. L'enjeu : la répartition de l'enveloppe
budgétaire pour l'importation des équipements et des matières premières,
évaluée à 6 milliards de Da pour des besoins réels de l'ordre de 20 milliards
de Da. Ces restrictions sont à l'origine de frictions et de pratiques douteuses,
selon certains.
Parmi les cas
litigieux, le promoteur du projet d'intégration Kmd
souffle à cor et à cri qu'il est l'objet d'un "délit d'initié" commis
au profit de son concurrent immédiat, la boutonnerie Brahmia
qui se trouve être la propriétaire d'un élu, président de la Commission des
investissements (il serait, aussi, parent du plus haut fonctionnaire du
ministère de l'Economie, version 1990).