COMMUNICATION-
PERSONNALITES- JEAN LACOUTURE
© Pr Ahmed Cheniki, fb, février 2023
JEAN LACOUTURE, UN JOURNALISTE AU LONG COURS
Il n’est nullement possible de parler de Jean Lacouture sans évoquer les
conditions de sa formation : études chez les Jésuites qui vouent un culte
absolu à l’autorité du pape, sa première rencontre avec le journalisme alors
qu’il était attaché de presse du général Leclerc à la fin de la seconde guerre
mondiale et ses premiers contacts avec le Vietminh et Hô Chi Minh. C’est un
homme des paradoxes, une sorte de parcours oxymorique associant deux réalités
contraires : le culte de l’autorité et de la discipline et l’attrait d’un certain
dilettantisme.
Cet auteur prolifique de 71 livres dont on sait qu’il touche à tout (sport,
actualité, cinéma, théâtre, politique…) et qu’il aime fréquenter les « grands »
dont il décrit le parcours dans des biographies est un personnage marqué
paradoxalement par les jeux de l’objectivité positiviste et de la subjectivité
faisant du bon goût, du beau et du vraisemblable, mais aussi de cette
admiration des « génies » dans la perspective de Gustave Lanson.
Sa rencontre avec Hô Chi Minh est déterminante dans ses positions
politiques. Ce familier des géants de la décolonisation, ce biographe
talentueux de de Gaulle, Malraux, Hô Chi Minh, Mauriac, Nasser, Stendhal,
Mendès France, des Jésuites et de bien d’autres, adepte d’un journalisme
d’engagement, un « spectateur engagé » pour reprendre la belle formule de
Raymond Aron est fortement marqué par un livre et un auteur, « Le savant et le
politique » de Max Weber, lui empruntant ses catégories « éthique de la
responsabilité » et éthique de la conviction » pour juger les hommes et les
réalités politiques et sociales.
C’est un homme engagé dans le processus de décolonisation, soutenant le
Vietnam, l’Algérie à laquelle il a consacré deux ouvrages : « Algérie, la
guerre est finie » et « L’Algérie algérienne : la fin d’un empire, naissance
d’une nation ».
Critiqué par de nombreux journalistes pour ses positions anticolonialistes,
notamment durant la guerre de libération algérienne, Jean Lacouture, ce
passionné d’opéra et de tauromachie, journaliste à Combat, France soir, mais
essentiellement Le Monde, avait des positions anti-américaines et
tiers-mondistes qui finit par adopter le genre biographique. Il était le seul
journaliste européen à avoir dénoncé l'agression tripartite contre l'Egypte en
1956 à la suite de la nationalisation du canal de Suez.Pour
lui, la biographie, c’est avant tout la célébration d’un homme se muant en
héros absolu pouvant, à lui tout seul, influer sur le cours de l’Histoire.
Il est dominé par le personnage qu’il décrit en usant d’un style empreint
d’admiration et d’empathie, convoquant bienséance, décence, revendiquant et
assumant totalement sa subjectivité. La biographie se transforme chez lui en un
singulier jeu de miroirs. Toutes ses biographies, des hommes politiques, des
artistes, de l'univers du sport, du monde des médias, sont marqués par cette
empathie et cette admiration qu'il voue aux "grands":
Hô Chi Minh, Sekou Touré, De Gaulle, Tillon, Mendès
France, Mitterand, Montaigne, Montesquieu, Garbo,
Mauriac, Blum, Malraux...
Il a parfois des positions trop conformistes, évoquant sans cesse la raison
d’Etat et vouant un certain mépris pour le journalisme d’investigation qui se
substituerait à la police ou à la justice regardant par le trou de la serrure.
Il considère que les écrits d’Edwy Plenel par exemple sont peu supportables comme ceux de
Bernstein et de Woodward pour le Watergate. Ces positions sont très
discutables. Il a pris position, au même titre que Robert Barrat et quelques
autres rares journalistes, pour le combat anticolonial des Algériens dans une
presse acquise au bruit des colonisateurs, ce qui lui a valu les attaques de
nombreux confrères.