VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI TARIK DJERROUD- “CAMUS ET LE FLN”
Camus et le Fln. Essai de Tarik Djerroud. Tafat
Editions, Alger 2022, 240 pages, 1 000 dinars
Traiter dans une même œuvre deux itinéraires objectivement antagoniques (un intellectuel
se disant progressiste
d’un côté et de l’autre un mouvement , révolutionnaire qui
plus est) n’est pas une mince affaire. Et, jusqu’ici,
peu d’auteurs s’y sont frottés.
Analyser la démarche et les comportements d’Albert Camus, un pied -noir, « fils
de pauvres », né à Drean
(Mondovi, près de Annaba) , ayant
vécu à Belouizdad , un
quartier populaire (Belcourt), devenu
prix Nobel de littérature, humaniste
(cf. son reportage sur la misère en Kabylie pour « Alger Républicain »
alors qu’il était journaliste), fou amoureux de l’Algérie et de son soleil, mais pas partisan de son indépendance et la naissance et l’évolution
du mouvement révolutionnaire
qu’était le Fln, luttant, par tous les moyens pour libérer le pays du joug colonial....un défi qu’il a su relever
en usant d’une démarche assez originale et subtile pour
« faire passer les pilules » : une écriture mélangeant
le récit, l’étude et l’essai. Et, une galerie de mini portraits se chevauchant
au gré du temps.
Autre qualité du travail entrepris : l’auteur ne s’est pas laissé enfermer dans les dogmes
dominants, tant culturels que politiques et idéologiques. Il s’est seulement et totalement fié aux textes....Des
textes , ces empreintes indélébiles, pour certains oubliés, qui mettent en lumière les parties
obscures d’une histoire nationale encombrée de tragédies, de douleurs, d’injustices, de lâchetés, d‘incompréhensions ... et d’espoirs
L’Auteur :Né à Semaoune,
au pied de l’Akfadou (Ath
Weghlis/Kabylie) en 1974 . Etudes universitaires en électronique (Université de Tizi Ouzou). Passionné de littérature et pour l’histoire contemporaine de l’Algérie. Romancier et essayiste,
auteur de plusieurs ouvrages
dont des romans (« Le sang de mars »,
« Hold up à la Casbah »...)
Table des matières :Introduction/ 14 chapitres/Notes/ Sigles/Bibliographie
Extraits : « La colonie allait se faire sans les Algériens, et surtout contre les Algériens, en décidant
derechef de faire une terre de peuplement où l ’arrivant était privilégié, où l’autochtone était spolié » (p22),
« Là où le Français était un citoyen à part entière, l’indigène était un instrument, dont on se souvenait à chaque fois que son utilité se faisait sentir » (p25), « A vingt
ans et bien davantage,
Albert Camus commençait à pousser
les portes d’un pays où se dressaient des murs entre deux communautés qui ne communiquaient
pas ; on s’empiffrait d’un côté,
on souffrait de l’autre »
(p33), « Pour Camus, le conquérant avait moult raisons d’être inquiet ; sa main pleine de sang, son cœur plein de
haine. Il resterait si inquiet tant que la justice serait absente de sa politique ! » (p71),
« Après 1945, les mises en garde
répétitives de Camus n’auront
servi à rien : la terreur coloniale refusait de fléchir, la classe politique de réfléchir
« (p93), « En refusant
d’avancer masqué, le Fln s’estimait solide, sûr de lui.il n’était pas un caillou dans une chaussure mais
un vrai rocher auquel on devait faire
face » (p139), « Camus pouvait être lucide sur beaucoup de problèmes de son temps. Mais, il resta
très aveugle sur l’art d’écraser l’ignominie coloniale en Algérie. Aussi,
demeura-t-il angoissé à l’idée d’une Algérie indépendante
(p 204)
Avis : Une étude minutieuse et bien
documentée supportée par une écriture au style léger et attrayant (souvent teintée de piques humoristiques) permettant
au lecteur de lire avec aisance
un thème d’importance autour de sujets très, très sérieux :Camus
et le Fln ; les deux aux parcours et aux destinées fulgurants mais tragiques et douloureux
Citations : « Qu’est-ce qu’une insurrection ? C’est
le peuple en armes.Qu’est-ce que le peuple ? C’est ce qui dans une nation ne veut jamais s’agenouiller »
(Albert Camus cité, p79), « Habiter
une terre était une chose, habiter un cœur était une autre
et c’était bien cette dernière que Camus estimait intéressante » (pp 85-86), « L’impérialisme
était meurtrier par
essence, il ne pourrait jamais être
porteur de justice. A rebours
de tout sens de justice, jamais coupable,
jamais responsable... »(p
89), « Etre écouté , c’est être crédible.
Etre soutenu, c’est être dans son bon droit » (p117), « La guerre, c’est comme l’histoire,
est un vaste espace qui se labourait
« les armes à la main » (p131), « La
guerre était l’affaire de tous, la révolution était l’affaire de tout un peuple ! »( p143), « A l’Elysée et sa proche banlieue, certes, on aimait beaucoup le couscous, mais on n’aimait
pas du tout les porteurs de burnous » (p 188),
« En fait, sur la terre des hommes et des femmes, si
la guerre est temporaire ;
la justice, elle , demeure une quête permanente »
(p216)