CULTURE- PERSONNALITES-
NOURREDINE ABBA
© Pr Ahmed Cheniki, fb, février 2023
ABA, UN EXTRAORDINAIRE POETE, DE NURENBERG A TELL ZAATAR
Nourredine Aba (1921-1996) a toujours eu la Palestine au cœur. Il avait
comme amis de nombreux dirigeants et intellectuels palestiniens. Il a écrit de
nombreuses pièces sur la tragédie des Palestiniens faisant souvent le parallèle
avec le combat anticolonial des Algériens.
Aba est un grand voyageur, il ne tient pas en place. Journaliste, homme de
théâtre, tout l’intéresse. Il a toujours été au cœur de l’actualité. Un
infatigable coureur de fond. C’est le seul journaliste africain à avoir couvert
le procès de Nuremberg, lui qui a suivi de très près le cauchemar de la seconde
guerre mondiale. Ses couvertures étaient très appréciées. Un journaliste de
guerre de talent. Cet événement marquera sérieusement son itinéraire de poète,
de dramaturge et de conteur.
Nourredine Aba reste encore mal connu en Algérie, même si ses textes sont
mis en scène à l’étranger. Militant de la cause palestinienne, il consacrera
plusieurs textes à cette question qui lui tient profondément à cœur. Aucun de
ses textes n’a été monté en Algérie. Il prend à cœur son métier et sa passion
pour les causes justes. La Palestine est un des lieux cardinaux de son
entreprise littéraire et dramatique.
Quand Michel Corvin m’avait demandé de choisir et de présenter des auteurs
dramatiques et africains pour la grande encyclopédie du théâtre (Bordas), j’ai
pensé directement à Nourredine Aba parce que j’estimais que son parcours était
singulier. Aba donne l’air à celui qui le croise pour la première fois d’être
un homme naïf, mais il est d’une pugnacité extraordinaire. Il aime rire,
plaisanter, mais surtout écrire, lui, même s’il a vécu une grande partie de sa
vie à l’étranger, était un grand supporter du club de Sétif, l’ESS, dont il
suivait les résultats à travers ses contacts en Algérie et l’hebdomadaire,
France-Football.
Chez Aba, l’histoire est au cœur de toute son œuvre. Le fantastique, le
réel et le rêve sont mêlés. La tragédie palestinienne et les horreurs nazies
constituent les thèmes-noyaux de son œuvre. A son retour en Algérie à la fin
des années 1980, la Fondation Aba qui décerne des prix littéraires aux
meilleurs écrivains de l’année et apporte un soutien financier et symbolique à
des structures culturelles algériennes. Il faisait durant ses dernières années
d’incessants va et vient entre Alger, Paris et d’autres capitales étrangères.
C’était un véritable ambassadeur de la littérature algérienne.
Il savait que dans l’ensemble, en Algérie, le théâtre de langue française
n’avait pas un large public. Il voulait que ses pièces soient traduites et jouées
en Algérie. En vain. Comme d’ailleurs les textes de Bouzaher,
Amrani, Haciane, Kréa et
bien d’autres auteurs qui n’ont jamais franchi la scène algérienne. Il me
disait qu’il aurait aimé voir ses pièces être interprétées à Alger qu’à Paris
où elles étaient souvent mises en scène.
Des dramaturges aussi prolifiques que Nourredine Aba qui écrivit de
nombreuses pièces ne fut joué qu’une seule fois par une troupe d’amateurs.
Nourredine Aba qui vécut le cauchemar de la seconde guerre mondiale dans sa
chair, notamment en couvrant le procès de Nuremberg, consacra plusieurs textes
à des sujets historiques. L’Histoire est au cœur de toute son œuvre. Le
fantastique, le réel et le rêve sont mêlés. La tragédie palestinienne et les
horreurs nazies constituent les thèmes-noyaux de son œuvre. « Montjoie
Palestine » (1970), « L’aube à Jérusalem » (1979), « Montjoie Palestine »
(1980) et « Tell Zaatar s’est tu à la tombée du soir
» (1981) racontent les horreurs commises par les forces israéliennes contre les
populations palestiniennes. « La Récréation des clowns » présente en quatre
tableaux la torture subie par les Algériens durant la guerre de libération.
Comique et tragi-comique donnent à la pièce une dimension tragi-comique. De
nombreux liens entre les actes commis en Algérie et les crimes commis par les
nazis sont établis. Aba fait ce rapprochement bien avant Vergès lors du procès
Barbie. Quand j’avais appris la chose à l’avocat Jacques Vergès, il n’en
revenait pas. Il connaissait très bien Aba, mais il ignorait ce point.
Nourredine Aba appréciait beaucoup quelqu’un dont on parle trop peu en
Algérie, un médecin et un écrivain, Laadi Flici (1937-1993), qui lui aussi, insiste surtout sur la
résistance palestinienne, mais traite essentiellement de la lutte du peuple algérien
contre le colonialisme français, notamment en milieu urbain. « Les mercenaires
» (1973) est un hymne à la révolution. Plusieurs événements historiques (mort
de Lumumba, lutte du peuple vietnamien, assassinat de Martin Luther King,
Apartheid, guerre de libération en Algérie) s’enchaînent et donnent au texte
une lecture idéologique précise.
Aba appréciait beaucoup Flici, ancien président
du conseil exécutif de l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans
algériens) et un des responsables de l’UNEA (Union nationale des étudiants
algériens), arrêté durant la lutte de libération à Barberousse, puis après le
coup d’Etat de Boumediene. Aba appréciait énormément celui dont le tout Alger
appelait le « médecin des pauvres » qui a son actif une dizaine d’œuvres
littéraires et théâtrales dont « La démesure et le royaume », « La cour des
miracles », « Clair-obscur » et « Le temps des cicatrices ».
C’est vrai, Aba savait choisir ses amis, Flici
était quelqu’un d’extraordinaire, mais il avait aussi un autre ami que tout le
monde connait dans les milieux culturels, un immense journaliste, celui qui m’a
permis d’apprendre le métier, le meilleur journaliste, au style extrêmement
beau, Kémal Bendimered, la
mémoire vivante de la représentation artistique et littéraire algérienne. quelques rares travaux sur ces auteurs dramatiques qui ont
consacré leurs textes à la lutte de libération et aussi à la résistance des
Palestiniens. Il s'agit notamment de mon ami Karim Assouane
qui a réalisé un travail très singulier sur Mohamed Boudia
et Brahim Ouardi qui a consacré un excellent ouvrage
à Nourredine Aba et Henri Kréa, Ecriture dramatique
et engagement dans le théâtre de N.Aba
et H.Kréa, (Khayal
Editions, deuxième sem. 2020).
Aba avance difficilement, parle tout seul, Flici,
un livre à la main sourit…