CULTURE- MUSIQUE- BAHAZ MOHAMED
Le doyen de la musique diwan,
qui a voué sa vie à la musique et la culture algérienne, Mohamed Bahaz, est décédé dans la nuit de samedi 18 à dimanche 19
février 2023 à Blida à l'âge de 81 ans, des suites d'une longue maladie.
Né dans une famille de pratiquants du diwan, Mohamed Bahaz, bercé par
cette tradition, a rejoint la troupe du Théâtre national algérien et a
participé à plusieurs événements artistiques et à la conception de la bande
originale du film "La Bataille d'Alger" (1966) qui était une de ses
plus grandes fiertés.
Pendant plus d'une vingtaine
d'années, Mohammed Bahaz s'était produit sur scène
avec ses enfants et a pris sous son aile une multitude de jeunes groupes de
musique diwan. Il est également devenu, avec son ami
de longue date, le plasticien Denis Martinez, la coqueluche du festival "Racont'Art", proposant des
installations atypique à chaque édition.
Virtuose du tbel
et du goumbri, Mohamed Bahaz
nourrissait une vision plus contemporaine de la musique diwan,
ouverte sur l'universalité et la fusion, tout en préservant jalousement un
héritage ancestral.
En 2019 Denis Martinez lui avait rendu
un vibrant hommage avec l'exposition "Bahaz
Khouya Gnaoui Blidi,
histoire d'une complicité" retraçant son parcours artistique et son
attachement au patrimoine.
Abdelkrim Mekfouldji/El
moudjahid , 26-10-2020 (Extraits)
Bahaz Mohamed :
L’étrange silence d’un géant du Gnawi
Né en 1942 à Blida, en pleine
seconde guerre mondiale, Mohamed Bahaz n’oublie point
ses origines africaines de par une grand-mère sénégalaise et un grand-père venu
du Mali, tout comme ammi Belkheir s’amenant du Mali
avec khalti Mebrouka et
installant la zaouia des Bambara. Ce sont eux qui
marieront le père à Bahaz, lequel était né présumé en
1929........ La maman viendra travailler dans l’usine de tabac des Bencherchali à Blida, pas trop loin de Douirette
où l’enfant Bahaz verra le jour il y a près de 80
printemps. Ces hommes de la tribu des Bambara
migreront vers Alger où ils auront à travailler dans les services de
nettoiement de la ville.
La musique gnawa, genre et instruments —kerkabou et guembri— fut répandue dans la région du Sahara
algérien, notamment à Adrar, Béchar et Ghardaïa, venant du Mali, du Maroc, du
lointain Soudan. Ces sons et ces percussions berceront l’enfance puis la
jeunesse de Mohamed qui saura ensuite devenir un excellent percussioniste.
Il jouera au fil du temps en compagnie d’un orchestre où les qraqeb (castagnettes en métal) et un gros
tambour, le guembri dont il en joue comme maâlem (le
maître) pour guider lors des fêtes propres à la communauté wesfane
(noirs d’Afrique) la transe des adeptes, lors de rituels établis dans
le temps en nocturne et appelés lila mêlant la
fête (danse koyyou) et l'action thérapeutique (mlouk). Celle-ci est supposée permettre d'évacuer les
divers maux dont souffre l'adepte concerné. Des archives montrent le maâlem Mohamed Bahaz entrant en
transe en présence du public. «J’aime le rythme des gnawa, la percussion, et mon père l’aimait et en
jouait ! C’est un système de frappe original et qui vous prend dans les
minutes, quand ce ne sont pas les secondes qui suivent le début de l’écoute», avance fièrement Bahaz.
Il soulignera qu’il avait acheté une fois expressément des chaînes auxquelles
il s’était attaché pour jouer comme les esclaves enchaînés, ses ascendants de
la lointaine Guinée. «Mettre son cerveau en ébullition
et son corps en déséquilibre» comme il a été rapporté dans le documentaire de
45 mn de Dominique Devigne, réalisé en 2019.
Denis Martinez, compagnon de Mohamed Bahaz depuis la
fin des années soixante, s’interroge sur la non-prise en charge de cet artiste
authentique par la société, par les autorités, par le mouvement associatif.
L’ancrage du patrimoine gnawa dans la société
algérienne, véhiculé par Bahaz, semble ignoré dans la
société de Blida, tournée désormais vers des intérêts plus lucratifs ! Le
réveil sera violent, dur, emportant les âmes comme un tsunami culturel vidé.
Pourtant, cet homme et sa famille sont nés dans la cité populaire du quartier Douirette, un lieu dont se revendiquent les familles
autochtones. Ces familles ont cependant tendance à ignorer l’apport des Bahaz au soutien spirituel durant la guerre d’Algérie,
durant les veilles difficiles de la décennie noire. «h’ram, la yadjouz, chayatine» sont des expressions qui reviennent à l’évocation
du gnawi, des processions vers Sidi El Kebir, ancêtre protecteur de la ville, les archives des
années quarante et cinquante faisant foi, pour la «wa’ada»
et le sacrifice d’un taureau..................................Mohamed Bahaz se mariera en 1957, eut son premier enfant en 1958 à
l’âge de 16 ans et des triplés à 17 ans le 28 avril 1959, à Blida. «Je fus à la Une du journal ‘’Le Tell’’, un journal de
Blida», a-t-il déclaré. Il aime à dire qu’il fut circoncis également à Blida, à
Douirette, revendiquant sa part de
«blidéen». Il avait été scolarisé à l’école Beauprêtre,
aujourd’hui Larbi-Tebessi, puis travaillera comme
garçon boulanger chez madame Thomas, à la rue du Bey, puis chez Azzedine Dekkiche, toujours dans la même rue, qui l’emmenait
travailler des fois dans sa boulangerie de Miliana et une autre à Montpensier,
cité Ben Boulaïd actuellement.
Bahaz sera repéré par Gilles Pontecorvo et ses
associés pour l’enregistrement de la musique de «La Bataille d’Alger», puis
recruté dans la troupe du TNA et il fit partie de l’orchestre de Haddad Djillali, avec Fadila Dziria,
Fatiha Berber, Boualem Titichi, Mohamed Battiti et Rabha et Ghalia, Djida, Mohamed Lamari,
Mohamed Oujdi, Mustapha Hafsaoui;
un groupe formidable. Mohamed Boudia, en 1966,
organisa un train culturel à destination de Chlef, puis chaque groupe sera
monté dans un bus «touristique» pour cheminer à
travers le vaste territoire de l’Algérie. L’artiste signalera que l’école de
Chorégraphie de Bordj el Kiffan» fit appel à lui par le biais d’un chorégraphe
bulgare : «je fus appelé avec Younès Lakehal,
ammi Belhadj et Ahmed Tergui. On a aidé le Bulgare à
préparer la danse des Touareg et celle de Baba Salem;
une danse rituelle qui ne pouvait être jouée au ralenti comme il le voulait. Il
ne connaissait rien au rythme algérien et voulait nous imposer sa vision des
choses, alors que nous avions nos propres chorégraphes.»
Au fil des années, et notamment grâce à l’apport du plasticien Denis Martinez,
Mohamed Bahaz participera avec sa troupe à nombre de
festivals populaires, et en France lors de l’année de l’Algérie, à Paris en
2003, en compagnie de Djamel Djerfaoui puis à Amiens
et ensuite à La Friche de la Belle de mai avec l’association «Jonctions» et à
Marseille : «Nous étions de tous les regroupements, de toutes les musiques, et
la population locale et des régions nous suivait, nous posait des questions,
était emballée par le rythme.» La procession organisée vers Sidi El Kebir avec des étudiants des Beaux-arts d’Alger et
d’Aix-en-Provence en 2005, en présence de Noureddine Saâdi,
Emile Temine, Dalila Morsly
et tant d’autres artistes : Le thème «Enracinement
et résistance», choisi par Denis Martinez, s’adaptait et s’adapterait toujours
à la jeunesse locale, dépourvue de repères. «J’étais
sorti des taureaux et des b’khor, je suis allé vers
les percussions jusqu’à arriver à enregistrer les sons des abeilles dans des
fermes en France, sur incitation de Denis». Avec ce dernier, nous avons été à
Mostaganem où un bulldozer sera décoré par six étudiants. L’art impulsif de
Martinez fera que nous fûmes montés dans la benne, moi avec mon guembri et nous
sillonnâmes les artères de la ville. Ça ne s’oublie pas !
Aujourd’hui, en 2020, l’artiste, le maâlem gnawi Bahaz Mohamed est atteint
par la cécité mais ses oreilles refusent d’abdiquer. Il habite avec sa petite
famille sur les hauteurs de Blida, à Mimèche, et
rares sont les personnes qui viennent lui rendre visite. À petit feu, le maâlem se retire de la scène artistique…
Depuis le confinement au mois de mars, aucun centime n’est parvenu à cet homme
digne. Il possède sa carte ONDA, on lui avait organisé un hommage à Alger en
2019 puis plus rien !