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Journalisme satirique (Algérie)

Date de création: 06-02-2023 19:34
Dernière mise à jour: 06-02-2023 19:34
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COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE – JOURNALISME SATIRIQUE (ALGÉRIE)

© Pr Ahmed Cheniki, facebook, dimanche 5 janvier 2023

L’histoire de la chronique satirique de Saad Bouâkba, prévisible, n’est pas nouvelle. Un peu partout, des journalistes et même des journaux ou des films ont provoqué de virulentes réactions. La censure y est toujours présente. La prison n’est nullement convoquée dans la plupart des cas. En France, juste après le décès de Charles de Gaulle, le journal satirique, Hara Kiri avait choisi ce titre : Bal tragique à Colombey les deux Eglises : Un mort. Le journal est interdit par le ministre de l’intérieur. C’était en 1970. Puis, par la suite, tout a changé, la satire est entrée dans les mœurs de la presse française. En Italie, beaucoup, notamment des gens de droite, s’insurgeaient violemment dans les années quarante contre certains films néoréalisme au motif spécieux qu’ils diffusent le communautarisme et la haine de l’Italie. Les choses ont radicalement changé.

Un peu partout, dans les pays anciennement colonisés, le genre satirique provoque encore des réactions de rejet comme si le rire risquait de tout déstabiliser. En Algérie, il existait des journaux satiriques depuis le début du vingtième siècle. A Oran, on dénombrait une vingtaine. « Alger Républicain » consacrait des chroniques satiriques. Kateb Yacine en animait une qui était extrêmement lue. Quelques-uns de ses textes avaient été censurés, selon Benzine, Alleg et Khalfa dans leur livre, La grande aventure d’ »Alger-Républicain ».

Après l’indépendance, à « Révolution Africaine » dirigé à l’époque par Mohamed Harbi, il y eut de sérieux problèmes. Les choses n’allaient pas s’arranger. La satire n’était pas du tout la bienvenue. Kateb Yacine et M’hamed Issiakhem allaient connaitre la censure, mais aussi la stigmatisation. Kateb Yacine a, en 1967, animé, avec Mhamed Issiakhem, un supplément satirique de quatre pages (Le chameau prolétaire) dans l'hebdomadaire "Algérie-Actualité" dirigé, à l'époque, par Youcef Ferhi . Le quatrième numéro censuré par le ministère de l’information, Ferhi m’a gentiment remis la copie qui était déjà sur le marbre avant d’être bloquée. Il y eut une mobilisation générale contre Kateb. Comment Kateb et Issiakhem s’étaient retrouvés à « Algérie-Actualité » ? Mohamed Seddik Benyahia, alors ministre de l’information et de la culture, avait, à l’époque, appelé le directeur Youcef Ferhi lui demandant de permettre à Kateb et à Issiakhem de faire quelque chose dans l’hebdo, Kateb avait proposé un supplément satirique, arrêté au quatrième numéro.

Il aimait beaucoup l’écriture satirique, lui qui avait déjà animé une chronique régulière à « Alger républicain », puis « Afrique-Action », « Jeune Afrique » sans oublier sa pièce, « La poudre d’intelligence », qui va marquer profondément son théâtre des années 1970 : « Mohamed, Prends ta valise » ; « La guerre de 2000 ans », « Palestine trahie », « Le roi de l’Ouest ». Je lui avais demandé en 1985 de publier des chroniques pour « Révolution Africaine » qui avait accepté d’autant que le directeur de l’époque, Zoubir Zemzoum, connaissait très bien Kateb Yacine qu’il appréciait énormément, Zoubir Zemzoum, deux chroniques étaient prêtes dont j’ai perdu la trace, Kateb écrivait très bellement, un seul jet, une grande poésie et un humour inimitable, on discutait et il écrivait.

Puis « Algérie-Actualité » allait licencier dans les années 1980 son ami, le grand Mohand Said Ziad, pour un conte satirique où il était question d’animaux. En 1984, le dessinateur Slim, toujours dans Algérie-Actualité avait osé caricaturer Chadli, la police était intervenue pour bloquer le numéro en question et obliger la direction à supprimer la page en question. Habib Rachdine et « Essah’Afa » connut des misères. Saad Bouakba a, lui, connu la prison début 1992 pour une de ses chroniques « Le cri du coq » ( “صيحة السردوك”)et plusieurs poursuites judiciaires. Ancien journaliste, l’un des premiers sortants de l’école nationale de journalisme d’Alger, il a, à son actif, une cinquantaine d’années de métier. Il est l’un des journalistes les plus suivis en Algérie. Une des chroniques satiriques de Sid Ahmed Semiane (SAS) avait poussé les directeurs du journal et de la rédaction d’ « Algérie -Actualité », Abdelkrim Djillali et Mohamed Balhi à démissionner parce qu’ils ne pouvaient accepter le licenciement du journaliste, ils ont préféré quitter le journal et perdre leurs emplois, devenant chômeurs du jour au lendemain. De vrais responsables qui défendaient le métier. Malika Abdelaziz avait été mis à la porte après avoir parlé de « prince blanc » et de blancheur. Tahar Ouettar et son équipe du supplément culturel avaient connu la fermeture, suite essentiellement à la publication de textes satiriques.

Mai 2020, disparition d’El Manchar : l’usage des techniques de la parodie, du pastiche et de la sotie permettait de grossir le trait du personnage interpellé et de donner à lire dans toute sa force l’événement, avec une critique d’une grande profondeur alors qu’elle est présentée le plus simplement du monde avec une virgule ou un néologisme qui détournait le sens. « El Manchar » avait disparu avec seulement cette courte mention : « Nous sommes contraints de suspendre notre journal. On espère vous retrouver bientôt dans une Algérie meilleure ». Déjà, son ancêtre « El Manchar » faisait des siennes dans les années 1990.

Au théâtre, Kateb Yacine avait failli être lynché pour un titre qui avait été lu autrement. Au cinéma, Mohamed Zinet a réalisé un film marqué du sceau de la satire qu’on avait tout simplement caché de peur de fournir une autre lecture d’Alger. Zinet : Tahia ya Didou. Tahia ya Didou, l’unique film réalisé par Mohamed Zinet a une histoire singulière : c’était, au départ, une commande de la ville d’Alger dont l’objectif initial des producteurs était de redorer le blason de la capitale, mais le réalisateur en fit une œuvre satirique, où cohabitent le burlesque et le tragique, donnant à voir un saisissant tableau d’Alger, sans aucune complaisance. C’est un film où le tragique dialogue avec le comique dans une affabulation sublimée où le style documentaire nargue l’écriture fictionnelle. Zinet avait été lynché par les producteurs du film. Comment osait -il faire honneur à un âne ? Ce serait bien que les uns et les autres lisent La ferme des animaux de George Orwell. Faut-il proscrire le rire et imposer une lecture univoque ?

Moi-même, j’ai animé pendant de nombreuses années des chroniques satiriques à « Algérie-Actualité », « Révolution Africaine » et « Le Quotidien d’Oran ». Je crois que le discours satirique ne correspond pas au regard que nous avons de l'écriture journalistique et littéraire. Même les jeux de la réception sont complexes. Ainsi, le plus souvent, un texte satirique est sujet à de nombreuses lectures. Ecrire en usant de la dérision et de l'autodérision et des jeux de la parodie et de la sotie remonte à loin, à très loin, à la Grèce, et à ses auteurs comiques, Aristophane et Ménandre qui vont très loin dans leur rapport à la société. Il faudrait aussi voir comment Rabelais met en scène la société avec un langage scatologique, un vocabulaire particulier, animalier. Même dans la culture "orientale", existait ce type de fable, certes, peu engagé, comme Kalila wa dimna par exemple. Il y a un texte qui fait vivre les animaux dans une structure humaine, La ferme des animaux de George Orwell. L'écriture satirique atteint ici les sommets et permet de donner au lecteur la possibilité de mettre en oeuvre plusieurs possibilités de lecture. C'est d'ailleurs, ici, que se situe le noeud du conflit entre Lukacs et Brecht. Ce n'est pas si simple.

Note : On a eu aussi un journal satirique, au début des années 2000,  « L’Époque » créé par Baya Gacemi qui n’ a duré que quelques nos....et il ne faut pas négliger les journalistes caricaturistes de la presse en arabe