COMMUNICATION-
FORMATION CONTINUE – JOURNALISME SATIRIQUE (ALGÉRIE)
©
Pr Ahmed Cheniki, facebook,
dimanche 5 janvier 2023
L’histoire
de la chronique satirique de Saad Bouâkba,
prévisible, n’est pas nouvelle. Un peu partout, des journalistes et même des journaux
ou des films ont provoqué de virulentes réactions. La censure y est toujours
présente. La prison n’est nullement convoquée dans la plupart des cas. En
France, juste après le décès de Charles de Gaulle, le journal satirique, Hara
Kiri avait choisi ce titre : Bal tragique à Colombey les deux Eglises : Un
mort. Le journal est interdit par le ministre de l’intérieur. C’était en 1970.
Puis, par la suite, tout a changé, la satire est entrée dans les mœurs de la
presse française. En Italie, beaucoup, notamment des gens de droite,
s’insurgeaient violemment dans les années quarante contre certains films
néoréalisme au motif spécieux qu’ils diffusent le communautarisme et la haine
de l’Italie. Les choses ont radicalement changé.
Un peu
partout, dans les pays anciennement colonisés, le genre satirique provoque
encore des réactions de rejet comme si le rire risquait de tout déstabiliser.
En Algérie, il existait des journaux satiriques depuis le début du vingtième
siècle. A Oran, on dénombrait une vingtaine. « Alger Républicain »
consacrait des chroniques satiriques. Kateb Yacine en animait une qui était
extrêmement lue. Quelques-uns de ses textes avaient été censurés, selon
Benzine, Alleg et Khalfa
dans leur livre, La grande aventure d’ »Alger-Républicain ».
Après l’indépendance,
à « Révolution Africaine » dirigé à l’époque par Mohamed Harbi, il y eut de sérieux problèmes. Les choses n’allaient
pas s’arranger. La satire n’était pas du tout la bienvenue. Kateb Yacine et M’hamed Issiakhem allaient
connaitre la censure, mais aussi la stigmatisation. Kateb Yacine a, en 1967,
animé, avec Mhamed Issiakhem,
un supplément satirique de quatre pages (Le chameau prolétaire) dans
l'hebdomadaire "Algérie-Actualité" dirigé, à l'époque, par Youcef Ferhi .
Le quatrième numéro censuré par le ministère de l’information, Ferhi m’a gentiment remis la copie qui était déjà sur le
marbre avant d’être bloquée. Il y eut une mobilisation générale contre Kateb.
Comment Kateb et Issiakhem s’étaient retrouvés à « Algérie-Actualité »
? Mohamed Seddik Benyahia,
alors ministre de l’information et de la culture, avait, à l’époque, appelé le
directeur Youcef Ferhi lui demandant de permettre à
Kateb et à Issiakhem de faire quelque chose dans
l’hebdo, Kateb avait proposé un supplément satirique, arrêté au quatrième numéro.
Il aimait
beaucoup l’écriture satirique, lui qui avait déjà animé une chronique régulière
à « Alger républicain », puis « Afrique-Action », « Jeune
Afrique » sans oublier sa pièce, « La poudre d’intelligence », qui va
marquer profondément son théâtre des années 1970 : « Mohamed, Prends ta valise
» ; « La guerre de 2000 ans », « Palestine trahie », « Le roi de l’Ouest ». Je
lui avais demandé en 1985 de publier des chroniques pour « Révolution
Africaine » qui avait accepté d’autant que le directeur de l’époque, Zoubir
Zemzoum, connaissait très bien Kateb Yacine qu’il
appréciait énormément, Zoubir Zemzoum, deux
chroniques étaient prêtes dont j’ai perdu la trace, Kateb écrivait très
bellement, un seul jet, une grande poésie et un humour inimitable, on discutait
et il écrivait.
Puis « Algérie-Actualité »
allait licencier dans les années 1980 son ami, le grand Mohand Said Ziad, pour un conte satirique où il était question
d’animaux. En 1984, le dessinateur Slim, toujours dans Algérie-Actualité avait
osé caricaturer Chadli, la police était intervenue pour bloquer le numéro en
question et obliger la direction à supprimer la page en question. Habib Rachdine et « Essah’Afa »
connut des misères. Saad Bouakba a, lui, connu la
prison début 1992 pour une de ses chroniques « Le cri du coq » ( “صيحة السردوك”)et plusieurs poursuites judiciaires.
Ancien journaliste, l’un des premiers sortants de l’école nationale de
journalisme d’Alger, il a, à son actif, une cinquantaine d’années de métier. Il
est l’un des journalistes les plus suivis en Algérie. Une des chroniques
satiriques de Sid Ahmed Semiane (SAS) avait poussé
les directeurs du journal et de la rédaction d’ « Algérie
-Actualité », Abdelkrim Djillali et Mohamed Balhi à démissionner parce qu’ils ne pouvaient accepter le
licenciement du journaliste, ils ont préféré quitter le journal et perdre leurs
emplois, devenant chômeurs du jour au lendemain. De vrais responsables qui
défendaient le métier. Malika Abdelaziz avait été mis à la porte après avoir
parlé de « prince blanc » et de blancheur. Tahar Ouettar
et son équipe du supplément culturel avaient connu la fermeture, suite
essentiellement à la publication de textes satiriques.
Mai 2020,
disparition d’El Manchar : l’usage des techniques de
la parodie, du pastiche et de la sotie permettait de grossir le trait du
personnage interpellé et de donner à lire dans toute sa force l’événement, avec
une critique d’une grande profondeur alors qu’elle est présentée le plus
simplement du monde avec une virgule ou un néologisme qui détournait le sens. « El
Manchar » avait disparu avec seulement cette
courte mention : « Nous sommes contraints de suspendre notre journal. On espère
vous retrouver bientôt dans une Algérie meilleure ». Déjà, son ancêtre « El Manchar » faisait des siennes dans les années 1990.
Au
théâtre, Kateb Yacine avait failli être lynché pour un titre qui avait été lu
autrement. Au cinéma, Mohamed Zinet a réalisé un film
marqué du sceau de la satire qu’on avait tout simplement caché de peur de
fournir une autre lecture d’Alger. Zinet : Tahia ya Didou.
Tahia ya Didou, l’unique film réalisé par Mohamed Zinet a une histoire singulière : c’était, au départ, une
commande de la ville d’Alger dont l’objectif initial des producteurs était de
redorer le blason de la capitale, mais le réalisateur en fit une œuvre satirique,
où cohabitent le burlesque et le tragique, donnant à voir un saisissant tableau
d’Alger, sans aucune complaisance. C’est un film où le tragique dialogue avec
le comique dans une affabulation sublimée où le style documentaire nargue
l’écriture fictionnelle. Zinet avait été lynché par
les producteurs du film. Comment osait -il faire honneur à un âne ? Ce serait
bien que les uns et les autres lisent La ferme des animaux de George Orwell.
Faut-il proscrire le rire et imposer une lecture univoque ?
Moi-même,
j’ai animé pendant de nombreuses années des chroniques satiriques à « Algérie-Actualité »,
« Révolution Africaine » et « Le Quotidien d’Oran ». Je
crois que le discours satirique ne correspond pas au regard que nous avons de
l'écriture journalistique et littéraire. Même les jeux de la réception sont
complexes. Ainsi, le plus souvent, un texte satirique est sujet à de nombreuses
lectures. Ecrire en usant de la dérision et de l'autodérision et des jeux de la
parodie et de la sotie remonte à loin, à très loin, à la Grèce, et à ses
auteurs comiques, Aristophane et Ménandre qui vont très loin dans leur rapport
à la société. Il faudrait aussi voir comment Rabelais
met en scène la société avec un langage scatologique, un vocabulaire
particulier, animalier. Même dans la culture "orientale", existait ce
type de fable, certes, peu engagé, comme Kalila wa dimna par exemple. Il y a un
texte qui fait vivre les animaux dans une structure humaine, La ferme des
animaux de George Orwell. L'écriture satirique atteint ici les sommets et permet
de donner au lecteur la possibilité de mettre en oeuvre
plusieurs possibilités de lecture. C'est d'ailleurs, ici, que se situe le noeud du conflit entre Lukacs et Brecht. Ce n'est pas si
simple.
Note : On a eu aussi un journal satirique,
au début des années 2000, « L’Époque » créé par Baya Gacemi qui n’ a duré que quelques nos....et il ne faut pas
négliger les journalistes caricaturistes de la presse en arabe