ENVIRONNEMENT- OPINIONS ET
POINTS DE VUE- ZONES HUMIDES ALGERIE 2023
© Entretien réalisé par A. Hamiche/horizons, mercredi 1/2/2023
Dans cet entretien, la directrice de la
protection de la faune et la flore à la Direction générale des forêts (DGF), Ilhem Kabouya, met en relief les
efforts de la DGF pour conserver les zones humides, plus que jamais menacées de
dégradation, de détérioration, voire même de disparition. Elle insiste sur
l’adoption d’une approche multisectorielle pour préserver ces milieux naturels
d’une grande biodiversité.
C’est quoi une zone humide ? On entend
par zone humide, la surface inondée ou gorgée d’eau douce, salée ou saumâtre de
façon permanente ou temporaire. C’est une étendue d’eaux naturelles ou
artificielles. En Algérie, nous avons une typologie diversifiée en ce qui
concerne les zones humides naturelles, notamment les oueds, les lacs et les
marais avec une végétation et une faune riche et variée. Les zones humides
d’origine artificielle sont celles constituées des barrages, réservoirs d’eau
et retenues collinaires. La Journée mondiale des zones humides est célébrée le
2 février de chaque année. Elle marque l’anniversaire de la convention connu
sous le nom Ramsar, signée à Ramsar (Iran) en 1971, que l’Algérie a ratifiée en
1982. Il s’agit d’un traité intergouvernemental qui a pour mission de servir
comme cadre à l’action nationale et à la coopération internationale pour la
conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides à l’échelle
mondiale. Durant cette journée, il est aussi question d’intensifier la
sensibilisation et faire connaître au grand public ces écosystèmes. Quand un
pays ratifie cette convention, il doit impérativement s’engager à assurer
l’utilisation rationnelle de ces zones et inscrire des sites sur la liste Ramsar
des zones humides d’importance internationale étant donné qu’elles recèlent une
biodiversité importante qui mérite d’être préservée.
Justement, quel est état des lieux en Algérie ? Comme toutes les zones humides
dans le monde qui ont été drainées pour faire place au développement urbain ou
à d’autres utilisations, les zones humides algériennes sont fragilisées par de
multiples menaces. Beaucoup d’entre elles sont menacées par la pollution en
amont, le changement climatique. Elles ont subi des dégradations dues à
l’urbanisation et aux différents aménagements, entraînant un risque
d’assèchement et, donc, la perte pure et simple de milieux humides ou leur
perturbation. Le développement non durable avec l’accroissement de la
population a engendré une pression urbaine insoutenable qui s’exerce sur ces
réserves. A titre d’exemple, la consommation d’eau a été multipliée par 6 en
cent ans, et l’être humain aujourd’hui utilise plus d’eau qu’il est possible de
restituer, sans compter la menace du changement climatique, facteur aggravant.
A cela s’ajoutent la pollution et la problématique des eaux usées non traitées
et des rejets industriels. Ce qui fait que de nombreuses zones humides
algériennes se retrouvent dans un état assez dégradé. Le problème de la salinité
s’accroît et augmente en raison de l’utilisation irrationnelle des zones
humides, notamment dans la steppe et les régions du Sud.
Quelles sont les actions entreprises pour la
conservation et la restauration de ces milieux ? Depuis que l’Algérie a adopté la
convention de Ramsar, la DGF a élaboré des plans de gestion des sites déjà
classés. Le suivi de l’état de conservation des zones humides s’opère également
à travers le dénombrement des oiseaux d’eau qui constituent d’excellents
indicateurs de la santé des zones humides. A cet effet, nous avons mis en place
un réseau national d’observateurs ornithologues algérien par arrêté ministériel
en date du 2 août 2011. Il est chargé de suivre et étudier le comportement des
oiseaux migrateurs en s’inscrivant ainsi dans une démarche nationale et
internationale. Le réseau est également impliqué dans les processus mondiaux de
préservation des oiseaux dans le cadre de l’Accord sur la conservation des
oiseaux d’eau migrateurs (AEWA), auquel l’Algérie a adhéré par décret présidentiel
n° 06-140 du 15 avril 2006, et dont le point focal est abrité par la DGF. Le
travail technique est accompagné par des activités de sensibilisation et de
vulgarisation à travers les centres d’éducation environnementale. La DGF a
élaboré une stratégie nationale multisectorielle des zones humides (2015- 2030)
pour un développement écologique et socioéconomique durable de ces milieux.
Fondée sur une approche écosystémique, celle-ci a déjà fait ressortir 19
complexes de zones humides à l’échelle nationale. Il faut bien comprendre que
la gestion de ces aires n’est pas uniquement l’affaire de la DGF ou du
ministère de l’Agriculture et du Développement rural. La gestion de la
ressource halieutique relève des missions du ministère de la Pêche. La pollution
et l’accumulation des déchets relève de la responsabilité directe du ministère
de l’Environnement. La gestion, la protection et la restauration des plans
d’eau relèvent beaucoup plus des prérogatives du ministère des Ressources
hydriques. L’objectif assigné à la stratégie nationale de gestion écosystémique
des zones humides est de parvenir à une bonne gouvernance, rationnelle et durable.
Justement, comment renforcer la
résilience de ces zones face aux changements climatiques ? Il faut impérativement asseoir
une politique de gestion rationnelle et durable de toutes les ressources qui
dépendent de ces zones. Il nous faut absolument éviter l’assèchement de ces
sites, d’importance capitale non seulement en tant que ressources naturelles
mais en raison de leurs fonctions économiques, culturelles et récréatives. Les
zones humides sont le berceau de la diversité biologique qu’il faut préserver
et conserver pour pouvoir atteindre les objectifs de développement durable.
Mais force est de constater, malheureusement, et de par le monde, qu’elles
disparaissent trois fois plus rapidement que les forêts, d’où l’urgence d’agir.
Y a-t-il de nouveaux sites à inscrire dans
la liste Ramsar ? Dans l’immédiat, je dirais non ! Mais cela pourrait intervenir
dans les années à venir où nous comptons bien placer plus de sites sur ladite
liste. La priorité pour nous, c’est la mise en œuvre des plans de gestion afin
d’encourager l’utilisation rationnelle de ces zones et mettre les outils
nécessaires pour assurer leur bonne gouvernance. L’Algérie compte, aujourd’hui,
environ 2.900 sites, dont 309 d’origine artificielle. Ils sont actuellement 50
sites inscrits sur la liste des zones humides d’importance internationale. Nous
sommes les premiers en Afrique.
Quels sont les critères de classification ? Les critères de classification
sur la liste internationale Ramsar sont liés à la biodiversité. Il faudrait que
ces sites renferment des espèces végétales et animales rares, emblématique, des
espèces en voie de disparition. En Algérie, la plupart des sites sont classés
grâce à l’abondance des oiseaux migrateurs. Il ne faut pas perdre de vue que
notre pays de par sa position géographique constitue une voie de migration pour
les oiseaux.