COMMUNICATION-
PERSONNALITES- DJAMILA DEBECHE (JOURNALISTE 1915-2010)
© Essia
Bougherra, fb, janvier 2023.Extraits
Portant le numéro 00320, comme enregistrement à l’état civil algérien,
Djamila Debèche est connue pour être la première
femme écrivain de l’Algérie colonisée. Mais moins comme militante féministe et
journaliste de la presse écrite et radiophonique. Si sur le même document il
est bien mentionné qu’elle est présumée née en 1926, sans préciser le jour ni
le mois, il est encore plus surprenant de relever sur son certificat de décès
(N° 831, émanant de la mairie de Paris du XVIe arrondissement) établis le
10/8/2010, qu’elle est née le 30/6/1926. Cette écrivaine et journaliste algérienne a été
honorée une seule fois dans son pays d’origine, durant un salon du livre à
Sétif (Est du pays) du 7 au 15/5/2009. Pire encore, certains ouvrages (1) sur
la littérature francophone africaine et maghrébine mentionneront 1910 comme
année de sa naissance. . En fait, elle serait née donc
en 1915. Djamila Debèche, qui est qualifiée sur son
certificat de décès de « retraitée », est née à Bordj-Khriss
ou Okhriss (et non Ghriss),
qui est une commune faisant partie aujourd’hui du département de Bouira et non
plus de Sétif. En ce lieu le nom de la première présidente du PEN-Club Algérie,
sont totalement ignorés. Elle fut orpheline de père et de mère dès son très
jeune âge. Benyahia Benlekriche
et Fifi Bent Laâmeche ayant disparu prématurément,
dès ses premières années d’enfance elle sera prise en main par sa grand-mère et
son oncle maternels. Elle passera les premières années de son enfance au douar
(ville) des Ouled Si Ahmed, non loin de la commune
mixte de Colbert (aujourd’hui Aïn-Oulemane). Elle
grandira dans la tradition culturelle de la région des Hauts-Plateaux. A l’âge
de 7 ans, Djamila prend le bateau en compagnie de son oncle pour Monte-Carlo où
il gère un prospère commerce de gros de tissus et de tapisseries. A son arrivée
au Rocher, Djamila ne parlait pas un mot de français, mais fait plaisir par ses
succès scolaires .Debèche
n’a que 7 ans en 1922, lorsqu’ elle fut marquée par le Pâques sportifs féminin
et les meetings internationaux d’éducation physique qui s’organisaient à
Monte-Carlo. Son tuteur, très enthousiaste face à cette ouverture de la petite
Arabe à l’humanisme occidental, l’inscrira comme externe à la prestigieuse
institution du Pensionnat Saint-Maur. Le 12/7/1923, elle recevra le Prix de
l’Externat Saint-Maur de sa classe de 3e aux côtés d’enfants de familles bien
pesantes socialement du Rocher, tels les Philippi, Malpel,
Radren ou encore les Audiberti. A 15 ans, Mlle Debèche hésita entre la formation en Droit ou en
Journalisme. Elle optera en finalité pour la seconde et à 16 ans, elle débuta
comme collaboratrice sportive au Petit-Niçois, puis dans d’autres titres de la
région des Alpes-Maritimes. Elle était disposée pleinement à la couverture
sportive, puisqu’elle était à cette époque une véritable professionnelle du
cyclisme. Elle était aussi la première femme Algérienne à entrer en course dans
cette discipline. En 1934, Djamila Debèche se fixe
dans le journal « Les amis des Sports » de Marseille dans la
chronique cyclisme. Elle suivra le Tour de France et prépare un roman sportif
qu’elle comptait faire paraitre en octobre 1936. Elle dira, lors d’une de ses
rencontres avec ses coreligionnaires à Alger, que : « J’ai une ambition : la
politique. Je suis fière d’être arabe d’appartenir à cette race arabe que,
soi-disant, on ne peut civiliser. » Sur les colonnes du journal des
informations des pays d’Orient, « L’Echo de la Presse Musulmane » (n°
28 du 30 mai 1936) nous lisons la rubrique « La vie sportive » et sous le titre
Une jolie plume, un article de Djamila Debèche sur le
Français Paul Chocque qui a échoué lors d’une
compétition organisée à Alger et triompha à Paris. Au mois de juillet, couvrant
le Tour de France pour le journal Provence-Sports, elle réalisera une interview
de Georges Speichert qui resta dans les annales sportifs, tout en se liant d’amitiés avec le
champion de France. Au mois d’aout 1936, Debèche
Djamila soumet un article à l’hebdomadaire de M. A. Griessinger,
« L’Echo de la Presse Musulmane », son article sur le champion belge
du 30e Tour de France, Silvère Maës. En devenant une
collaboratrice occasionnelle, de L’Echo de la Presse Musulmane (EPM), Debèche publiera sous le titre de « Pas de munitions
en Espagne », son premier article d’ordre politique dans lequel elle
expose sa vision sur les événements tout en défendant la position de «
neutralité » préconisée par le Gouvernement Léon Blum. Dans l’hebdomadaire de
Rachid Kalafat, Debèche
signera son retour en Algérie comme une seconde étape de son évolution
intellectuelle. Elle s’installe à Alger en pleine effervescence sociale et politique.
Politiquement, Djamila Debèche est proche de «
l’étendard » de la Fédération des élus franco-musulmans et finit par se
rapprocher des thèses de Ferhat Abbas, auquel adhérera le poète et journaliste
Jean Mouhoub Amrouche.
.
Djamila Debèche, grâce à son expérience de
journaliste sportive et ses amitiés avec les journalistes français d’Algérie,
s’est faite recrutée à Radio-PTT-Alger en animant une émission hebdomadaire
intitulée « chronique sociale » du mois de juin 1941 au 27/2/1944. Au total, on
a pu compter 39
émissions, dont « promenade musicale à travers l’Algérie » (diffusée pour la
première fois le 26/2/1942 et rediffusée le 27/2/1944), ou encore celle du
8/11/1942 sur « La prohibition de l’alcool parmi les musulmans ».
L’expérience radiophonique de Debèche intervenait
en plein pouvoir vichyste en Algérie et tout en restant éloignée de la mouvance
nationale fasciste qui animait des émissions de l’ELAK (émissions en langues
arabe et kabyle),
Après l’installation du Comité Français de Libération Nationale à Alger, à
sa tête les généraux Guiraud et De Gaulle, et les préparatifs de libération de
la Corse et de la Provence, Debèche se consacra à la
vie littéraire féminine. C’est ainsi que le jeudi 4/1/1945, à 18h 30, elle
animera à la salle de mariage de l’ancienne mairie d’Alger, sa conférence
littéraire en retraçant la vie émouvante de l’écrivaine Isabelle Eberhardt. Une
année après, elle décide d’entrer dans le combat social et culturel du
féminisme musulman est c’est le début de l’aventure de la revue « L’Action ».
C’est en dehors des courants réactionnaires (salafisme malékite et maraboutisme) que
Djamila Debèche ouvrira la voie bien originale et
quoique marquée par le cumule de la tradition familiale et féodale. Elle mettra
au jour son expérience féministe d’abord en dehors des structures féministes
européennes qui existent déjà depuis la fin du XIXe siècle coloniale en Algérie
et loin des forces politiques algériennes existantes depuis 1936. Elle lancera
dès septembre 1947, la revue « L’Action-El Amel », ayant comme devise
« L’évolution de l’Algérie des efforts conjurés de ses fils et de ses filles »
et avec une orientation idéologique panislamique moderniste s’ouvrant sur les
expériences du féminisme élitiste et certes, féodale existant en Egypte et en
Turquie, notamment.
Debèche regroupa une
petite équipe rédactionnelle qui abordera dès le 1er numéro, « l’évolution de
la femme musulmane en Algérie » (Mlle Halima Benabed),
« Les femmes célèbres de l’Islam : Khadidja Bent Khouaïlid, épouse du prophète » (Zineb) ou encore, « Scènes
de vie algérienne : Chroniques et conseils » (Meriem). En plus, sur « coin du
cheikh » autour du droit musulman envers la femme, le numéro annonce la tenue
du 28/9 au 1/10/1947 du Congrès Féminin International à Paris et dont Djamila Debèche fera partie.
Le numéro 2 de L’Action (25/10/1947) annonce en grande pompe la tenue du
Congrès en question, avec une illusion en couverture, désignant Debèche assise devant une délégation égyptienne et
syrienne, bien éloignée de la délégation française. Femmes et Paix a réuni sous
l’égide du mouvement « Entente Mondiale pour la Paix » composé de 53 nationaux,
venues exposer les problèmes sociaux de leur pays, parmi lesquelles une
Musulmane algérienne de parler de la condition sociale de la femme et de
l’enfant.
L’avant-dernier numéro de la publication (1/3/1948), le numéro 6 annonce la
mise en vente du premier roman de Debèche, « Leïla,
une jeune fille algérienne » auprès des librairies à Alger, Tunis, Fez,
Rabat et Tanger. =
Le n° 7 de L’Action sera le dernier. Paru le 1/4/1948, il fut un projet
social appelant à un rassemblement des femmes musulmanes algériennes. Nous
sommes en pleine « guerre froide » et au temps de l’escalade de la menace
nucléaire. Le mouvement politique en Algérie prend le ton de la radicalisation
des revendications. Djamila Debèche est au milieu de
cette tourmente culturelle et politique que le discours sur la fraternité des
races et celui de l’émancipation des femmes par le biais de la voie
démocratique ne semble plus audible ni contenir la colère grandissante des
campagnes.
Le début des années 1950, est celui du « boum économique » en France au
détriment de la surexploitation des richesse de la
colonie Algérie. La décolonisation a bien sonné son glas en Indochine et elle
est le plat politique favoris des nationalistes radicaux en Algérie. Les
nouvelles générations de femmes lettrés d’Algérie
imposent de nouvelles orientations politiques et idéologiques et le mouvement
féministe arabe et musulman n’est plus l’affaire d’une élite issue des classes
féodales ou de celles de la bourgeoisie commerçante. De nouveaux modes de
pensées s’allient aux nouvelles forment de revendications qui se développent
rapidement et sous le regard bien retranché de Djamila Debèche.
La nouvelle littérature politique et artistique s’impose avec force. En
pleine guerre de libération politique, Debèche reçoit
le Prix Roberge de l’Académie française pour son second roman, Aziza, et s’éloigne
de plus en plus, laissant la place à la génération d’Assia Djebar de poursuivre
le chemin tracé par L’Action sur les plans littéraire et artistique.