HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN RACHID MIMOUNI- “L’HONNEUR DE LA TRIBU”
L’honneur de la tribu. Roman de Rachid Mimouni.
Editions Sédia, Alger 2008 (Editions Robert Laffont, 1989 , puis Editions Stock 1999), 215 pages, 650 dinars
Un livre qui raconte le retour innatendue, peu de temps après l’indépendance du pays, à Zitouna, de Omar El Mabrouk, un enfant du pays
que l’on croyait mort dans le maquis de la lutte de libération nationale .
Zitouna ! Un lieu ignoré et tranquille qui
passe brusquement du statut de « lieu-dit » (vivant dans la
sérénité, ignorant et ignoré du monde, ayant su faire son profit des
expériences des sages et des enseignements des saints, ayant appris à faire le
dos rond contre les assauts de l’adversité, conscient que les plus grands
dangers surgissent presque toujours de son sein) à celui d’une daïra
(sous- préfecture). Il va , alors, traverser les
turbulences d’une « modernité » imposée - qui a surtout pour fonction
de tout « fonctionnariser » , de déraciner, de désarticuler la micro
société qui vivait jusqu’ici sereine dans ses habitudes ancestrales. Omar
El Mabrouk, devenu chef de daïra, (alors qu’il prétendait ,
lui l’ancien moudhajid, à une grande ambassade d’un
pays nanti afin, se dit-il, de mener la belle vie qu’il estime bien
méritée) va se mettre à décider tout seul , en se couvrant
de la légitimité d’une loi qu’il créée , parfois, sur mesure.....la sienne . Il ne tiendra compte d’aucun bon sens. C’est l’envolée
sans retenue et sans mesure qui déclenche un imaginaire débridé et même une
envie de rire. Il va aller très loin : il "verbalise les ânes", il "oblige les paysans à porter des
chaussures » il « modifie le nombre des prières
quotidiennes » et il oblige les habitants « à avoir des adresses
fixes ». « A la suite d’Omar El Mabrouk s’installèrent les
gendarmes, puis les policiers, puis les officiers du secteur militaire, puis
les responsables du Parti, les instituteurs de l’école, les médecins et
infirmières de l’hôpital, les gardiens de prison, l’imam de la nouvelle
mosquée, les caissières du supermarché.. »
L’ironie est dans
chaque ligne.
Elle reflète un monde complètement
immergé dans un système inouï où il n’existe
pas de communication entre le pouvoir et les administrés car ne
subsistent que des injonctions ou
des obligations à assumer.
L’Auteur :Né en 1945 à Boudouaou (Boumerdès) et décédé à Paris en 1995 des suites d’une hépatite aiguë. Auteur d’une dizaine d’ouvrages:
des romans dont « Le fleuve
détourné », « Tombeza »,
« La ceinture de l’ogresse », « La Malédiction »....et des essais
dont « De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier » , « Chroniques de Tanger ».....
Extraits : « Nous avons appris
à faire le dos rond contre
les assauts de l’adversité,
conscients que les plus grands dangers surgiraient de notre sein »
(p 36), « Nous avons appris
de nos fougueux ancêtres le goût du défi et la promptitude du geste.On
tue pour un mot, un sourire,
un regard.Frustrés d’ennemis,
nous étions devnus vifs à retourner nos fusils contre nous-mêmes.Un simple affront pouvait générer une interminable tuerie » (p 97), « Nous n’avons
pas appris à aimer les étrangers.C’est
toujours par eux que le malheur arrive « (p129), « De nos
défaites et renoncements,
nous avons forgé une morale qui nous aide à vivre plus haut que votre confort » (p 133),
« Tous ces gens qui nous
entourent sont supposés nous aider.En fait, nous sommes leur otage.C’est eux qui décident qui peut ou pas nous voir. A les écouter , nous avons toujours un emploi du temps terriblement chargé et des problèmes
majeurs à résoudre »
(p154)
Avis :Un livre au contenu indémodable,
encore d’actualité.....plus que brûlante.
Décortique avec réalisme et
humour les déviations et déviances d’une société qui recouvre sa liberté
mais qui , hélas, découvre une
nouvelle servitude, « managée » , cette fois-ci, par certains de ses propres enfants. La naissance du « Système » !Un style direct qui peut paraître , aujourd’hui, quelque peu désuet,
mais un style qui capte tous
les sens, qui remue les
tripes....et qui fout la rage.
Citations : « L’Histoire est rancunière » (p 37), « La victoire
appartient souvent au plus déterminé, non au plus
fort » (p 73) , « Qu’est-ce qu’une vérité , si elle accroît
l’injustice » (p 156), « Combien sont nombreux
les barreaux de l’échelle
du pouvoir.On peut grimper jusqu’au ciel, il y aura encore des gens au-dessus » (p158)