COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- CINEMA EN ALGERIE 2022
LE CINEMA EN ALGERIE, LA GRANDE
DESILLUSION, UNE MORT LENTE
©Pr Ahmed CHeniki,
fb, début janvier 2023
On n’en parle plus. Le cinéma est mort
d’une mort très laide. Il n’y a absolument plus rien. Peut-être certains
parleront-ils de nostalgie, un mot décidément magique dans le discours social
algérien. En 1962, il y avait plus de 400 salles, aujourd’hui demeurent
quelques très rares salles sans qualité et des cinémathèques qui rendent
continuellement l’âme. Même dans les petites villes, il y avait des
"cinémas". Chez moi, à Collo, il y en avait une, transformée dans les
années 1970-80 en sardinerie. Ce n’est pas de la nostalgie. Jusqu’à la fin des
années 1980, il y avait quelque espoir.
Les choses sont tout à fait anciennes,
elles ont accompagné le départ d’un pays marqué par le feu éphémère de
l’enthousiasme et du volontarisme. On voulait construire une société (nation ?)
sans le peuple. Il y avait, certes, de belles choses, mais qui ne pouvaient
durer. Comme la création en 1964 de l’Office des Actualités Algériennes (OAA),
le Centre National du Cinéma (CNC) et l’Institut National du Cinéma (INC), vite
dissoutes, en 1967. L'ONCIC (Office National du Commerce et de l'Industrie
Cinématographique) est créé en 1967, son premier directeur, Ahmed Rachedi, il est toujours là, malgré l’âge, les échecs de la
cinématographie algérienne et quelques rares belles hirondelles.
De nombreux films ont été produits, des
réalisateurs formés essentiellement à l’étranger. Il y eut même de belles
expériences. On parle toujours de ces joyaux, Le Vent des Aurès, Noua, Hassan Terro, Tahia ya
Didou, Le charbonnier et plein d’autres films, mais
aussi de ceux de Pontecorvo et de Hamina qui ont
remporté de grands prix, le Lion d’or à Venise et la Palme d’or à Cannes. On ne
cesse d’évoquer la cinémathèque et Boudjema Kareche et le sourire nerveux de Aziz Degga.
A l’époque, Alger recevait les grands réalisateurs du monde. Il y avait aussi
les ciné-bus, tout cela était essentiellement dû au volontarisme de grands
hommes qui aimaient le cinéma et les arts. Partis, il ne reste finalement plus
rien.
Vont venir par la suite d’autres
structures en 1984, CAAIC, ANAF et ENPA tuées par le ministre de la culture de
l’époque, Hamraoui Habib Chawki, il pensait peut-être
bien faire, lui qui allait, par la suite, pour animer un festival de
cinéma-Limousine pour invités à Oran.
Il y eut des choses durant les deux
premières décennies de l’indépendance. C’était l’enthousiasme. Les choses
n’étaient pas claires. On ne se souciait uniquement que de la production, pas
de l’accompagnement juridique et technique. On parlait sans fin de studios à
mettre en place à Biskra et/ou à Bou Saada. On en parle toujours. Il y avait
des critiques, de vrais critiques de cinéma, Mouny Berrah, Guy Hennebelle, Abdou B,
Azzedine Mabrouki, Djamel Eddine Merdaci,
Djamel Boukella, Tewfik Hakem et quelques autres, dans les deux langues, arabe et
française. Djamel Eddine Hazourli animait une belle
émission, Cinérama. Depuis déjà très longtemps, on évoque une loi sur le cinéma
qui viendrait corriger la grave faute commise en 1993 par le ministre de la
culture de l’époque qui a dissous les trois entreprises de cinéma existantes
(CAAIC, ANAF, ENPA) sans penser un seul instant à des structures de
substitution, ignorant totalement les contingences sociologiques particulières
d’un pays comme l’Algérie. Le cinéma, comme les autres sphères de la vie
culturelle, végètent dans un environnement hostile, malgré l’organisation de manifestations
ponctuelles qui nourrissent l’illusion et les célébrations posthumes.
L’absence de regard prospectif n’est
pas le propre du cinéma uniquement, mais de toute la production culturelle,
condamnée au bricolage et au « mégotage » pour reprendre un mot cher au
cinéaste sénégalais, Sembène Ousmane. Il y avait/il y
en a aussi aujourd’hui des gens comme Rachid Benallal,
Allouache avant de décider de partir en France, Beloufa et d’autres cinéastes qui voulaient tourner dans
leur pays. Mais rien. J’ai vécu leur désarroi, le désenchantement de ces grands
maîtres de la photographie, Youcef Sahraoui, Smail Lakhdar-Hamina
et Allel Yahiaoui. J’ai vécu la désillusion d’un
homme entier, d’un cinéaste singulier, Mohamed Bouamari.
Bouamari n’a pas eu la chance de tourner celui qui
devait être son dernier long métrage. Son « mouton » sera absent, malgré les
bruits absurdes pour le réanimer. Le cinéaste est bien décédé, emportant avec
lui son projet parce qu’il n’avait pas trouvé preneur à Alger. En 1993-1994, il
nous avait demandé de lui élaborer un sujet d’une pièce qu’il devait monter
dans un grand théâtre de Marseille, « Shahrazade des bas-fonds », tel est le
titre du projet qui n’avait jamais été réalisé parce qu’il était tombé malade,
juste après l’acceptation de la proposition.
Ces temps-ci, malgré l’absence d’une
politique culturelle cohérente, quelques cinéastes et des producteurs arrivent,
avec les moyens du bord, à entamer la réalisation de films dont on ne connaît
pas jusqu’à présent leur éventuelle destinée éventuelle. Dans un pays où il n’y
a presque plus de salles de cinéma et où la vidéo se substitue au grand écran,
il est patent que les choses stagnent. Il faut être courageux pour chercher à
distribuer, à produire et à réaliser des films. Impossible défi. Ceux qui ont
entamé ce type d’aventures ont vite baissé les bras. L’absence d’intervention
des structures étatiques est mortelle pour le cinéma. L’Algérie ne produit plus
de films depuis plusieurs années, ce qui engendre un déficit d’images. Kada Benchiha a dans un
film-chronique, « Le cinéma et moi », qu’il serait heureux que la télévision
diffuse, esquissé un état des lieux sans complaisance donnant la parole aux uns
et aux autres, concluant avec une parole juste de Mohamed Chouikh
qui estimait que l’une des erreurs est de confondre économie de marché et
braderie.
Après la mise en place, après 1990, de
« coopératives », le privé audiovisuel s’était surtout intéressé aux créneaux
rentables comme la publicité, le publi-reportage, les news et parfois les «
feuilletons » (sitcom) pour la télévision. Cette situation s’est encore
aggravée par le malaise grandissant que vivent les salles de la cinémathèque,
sans moyens et sans discours clair. Autrefois, véritables lieux de formation
cinématographique, ces salles qui avaient été le théâtre de rencontres avec les
grands cinéastes de la planète et qui programmaient de grands cycles, se meurent
à petits feux.
Le cinéma agonise depuis longtemps.
Certes, on nous annonce des films tournés ou à tourner mais les choses restent
toujours ce qu’elles sont. Une ou deux hirondelles ne feront jamais le
printemps, ni faire frémir le mauvais temps dans un pays qui n’arrête pas de
célébrer les occasions perdues comme le fameux programme de films du défunt
gouvernorat d’Alger, de la déjà vieille année de l’Algérie en France et d’« Alger et de Constantine, capitales de la culture arabe »,
Tlemcen, capitale de la culture islamique. Un déficit chronique sur le plan
symbolique. On ne forme plus en Algérie pour les métiers du cinéma depuis la
fermeture trop peu claire de l’INC en 1967. Je ne sais quelle mouche avait
poussé l’ancienne ministre de la culture, Khalida Toumi, pour calquer la structure belge, l’INSAS, en créant
l’ISMAS (Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle), alors qu’il
était plus simple de mettre en place deux instituts distincts, l’un pour le
théâtre et l’autre pour le cinéma, en engageant notamment des enseignants
connus de l’étranger.
La décision de dissoudre les
entreprises cinématographiques (CAAIC, ANAF et ENPA), sans réfléchir à un
ersatz possible qui ne pouvait pas être forcément public constitue une tragique
erreur mettant en péril le devenir de l'image dans notre pays. Ce type de
mesures obéit à une illusoire économie de marché qui méconnaît la spécificité
de l'art cinématographique et les fonctions de l'image filmique. Certes, depuis
l'indépendance, les entreprises en charge du cinéma en Algérie ont souvent été
défaillantes, manquant tragiquement de projet sérieux et viable et d’une vision
stratégique, mais la mauvaise gestion de ces structures ne pouvait justifier le
verrouillage systématique et presque définitif de l'image filmique. Partout, en
Europe par exemple, le cinéma reçoit de sérieuses aides de l'Etat, parce qu'il
est avant tout un service public doublé d’une entreprise commerciale et le lieu
de cristallisation et d'articulation de l'image du pays.
Paradoxalement, en Algérie, le FLN de
la guerre de libération, surtout après le congrès de la Soummam utilisa
énormément le cinéma comme arme de combat et de propagande. René Vautier,
Jacques Charby, Djamel Chanderly,
René Vautier, Lakhdar Hamina et bien d'autres
producteurs d'images, au même titre que les sportifs et les comédiens, avaient
pour mission de mettre le cinéma au service de la révolution. Le cinéma était
donc un espace de libération. Ce n'est pas sans raison que les premiers
dirigeants de l'Algérie indépendance ont accordé un grand intérêt à l'art
cinématographique et à la formation des techniciens du cinéma, n’imaginant
nullement la situation vécue par l’industrie cinématographique, juste après la
dissolution des premières structures cinématographique, le CNC et l’INC.
Juste après cette période, c'est-à-dire
durant les années 70, les autorités en place avaient cherché à faire jouer au
cinéma un rôle d'illustrateur du discours politique. Le cinéma se mettait au
service de mesures politiques précises, comme d'ailleurs une partie de la
représentation artistique et littéraire. Mais cette époque dominée par l'ONCIC
a permis heureusement la formation de nombreux réalisateurs et techniciens
algériens en Algérie et à l'Etranger (VGIK de Moscou, Lodz, IDHEC, INSAS, IAD,
CLCF de Paris…) qui, pour la plupart d’entre eux, chôment ou se sont convertis
dans d’autres créneaux. Certes, quelques-uns d’entre eux se sont installés en
France ou au Canada. Seul Merzak Allouache
semble s’affirmer.
Les réalisateurs formés à l'INC allaient
aussi commencer à s'affirmer. Les thèmes sociaux se frayaient un chemin dans un
univers dominé par la politique. Mohamed Zinet, un
homme-orchestre, -il a suivi une excellente formation au Berliner Ensemble en
1959, envoyé par le FLN-, va avoir la géniale idée de transformer une commande
de la wilaya d'Alger en un film satirique retrouvant les espaces mythiques du
théâtre de Ksentini et de Allalou.
Merzak Allouache avait mis
en scène son film-culte, «Omar Gatlato»
qui avait agréablement surpris un public retrouvant les images de la culture de
l'ordinaire, comme dans le cinéma italien.
Ce n'était pas du tout nouveau. La
cinémathèque, au départ dirigée par Ahmed Hocine, qui
avait laissé la direction quelque temps après à Boudjemaa
Karèche, devenait un véritable espace de formation et
d'information où passaient les grands films et les grands cinéastes. Aussi,
découvrait-on le cinéma novo, le néo-réalisme italien, la nouvelle vague
française (Truffaut, Godard…) à tel point que de nombreux films algériens reprenaient
énormément de plans, d'images et d'idées de films étrangers qui parcouraient
sans cesse la représentation artistique. L'impact de la cinémathèque sur le
fonctionnement de l'écriture filmique est important. Une lecture immanente des
films algériens nous permettrait de découvrir de nombreuses traces explicites
et implicites de productions cinématographiques projetées à la cinémathèque.
Nous connaissons l'importance du cinéma italien, de la nouvelle vague et du
brésilien Glauber Rocha dans la formation de nos cinéastes.
Aujourd’hui, c’est le vide sidéral qui
marque un cinéma qui devrait être considéré comme un service public et qui
pourrait retrouver ces images-symboles, témoins de toute une période marquée
par une grande passion et un extraordinaire enthousiasme permettant à Tolbi, de nous offrir son admirable « Noua », à Zinet, son film satirique, « Tahia
ya Didou », à Hamina, son chef d’œuvre, « Le vent des Aurès », à Beloufa, l’inoubliable « Nahla »
et à Tsaki, ses films singuliers trop empreints de
poésie et marqués d’une extraordinaire sensibilité. Ce qui est certain, c’est
que tous les circuits du cinéma vivent un vide inimaginable. Il n’est pas
question de parler de production sans évoquer les deux autres constituants de
cette triade qui constitue l’économie du cinéma : distribution et industrie.