CULTURE- OPINIONS ET
POINTS DE VUE- CHRONIQUE AMINE ZAOUI
L’Islam francophone algérien
© Amin_Zaoui, face book,
fin octobre 2022....
Lire est un acte merveilleux, plutôt capital. L’être humain est un animal-lecteur,
un animal-liseur. Lire c’est chercher à multiplier sa vie individuelle par le
nombre des livres lus. Il y a des livres que nous avons lus et qui nous donnent
le sentiment de se voir métamorphoser dans d’autres vies, plus
meilleures que la nôtre, plus riches que la nôtre. Ils nous poussent à
rêver, à travailler, à aimer, à s’humaniser... Nous vivons comme dans une
multiplicité de miroirs.
Et il y en a d’autres livres qui donnent le sentiment de vivre des
cauchemars, au bord d’un précipice. Le sentiment d’un suicide au ralenti. Lire
est le mot le plus exigeant, le plus magique qu’on croise dans le mythe de la
langue. Et la religion chez nous, en Algérie, pour ne parler que de notre pays,
est régentée par : ce “lire” et par ce “quoi lire”. Y
a-t-il un islam francophone algérien ?
Les croyants arabophones, en Algérie, religieusement parlant, mènent leur
islam à leur manière, selon les valeurs véhiculées dans cette culture hébergée dans
cette langue, portées dans des livres qui ont envahi notre pays depuis les
années quatre-vingt. Depuis l’Indépendance, l’intellectuel était vu comme une
créature désagréable. Gênant. Ingrat. Avec le président Chadli Bendjedid, dans
les années quatre-vingt, le rapport intellectuel –pouvoir (intellectuel-sultan)
a changé, a bougé. En faisant de Mohamed El Ghazali chef spirituel des
Algériens, gardien de la foi algérienne, le président voulait se donner une
image de quelqu’un de proche des intellectuels.
Mais quels intellectuels ? Il s’est rallié aux symboles intellectuels du courant
des Frères musulmans. Derrière Ghazali se cachait Qaradhaoui
accusé aujourd’hui par l’Arabie Saoudite et ses alliés de terrorisme. Un train
en cache un autre ! La lecture, le choix du livre, a suit le choix idéologique
du Président. Ainsi toute une génération s’est retrouvée proie à une lecture
orientée vers la culture égyptienne des Frères musulmans.
Le livre en arabe, qui a envahi l’espace culturel, fut religieux par
excellence. Le Salon international du livre d’Alger s’est transformé en un
bazar resserrant toutes les khordas livresques
orientales. Les maisons d’éditions religieuses et médiocres égyptiennes,
syriennes, saoudiennes et libanaises ont pris le lecteur algérien arabophone en
otage idéologique ! Les livres d’Ibn Taymiya, Sayyid Kotb, Hassan El Banna, el Mawdoudy,
Mohamed Qotb, Youcef Qaradhaoui,
Khaled Mohamed Khaled, El Boty, el Ghazali… ont fini
par s’accaparer des espaces livresques publics et familiaux : les écoles, les
lycées, les universités, les maisons de culture, les mosquées, les
bibliothèques familiales…
Si l’imaginaire du lecteur arabophone s’est formaté par cette production
livresque médiocre et politique, le lecteur francophone, quant à lui, a gardé
une petite liberté. Une marge de manœuvre et d’indépendance. En général, le livre
francophone proposé dans le marché livresque algérien, religieux qu’il soit,
relève de la culture tolérante. Le livre religieux en langue française est
souvent proposé avec un ensemble de livres de littérature universelle. Et le
lecteur francophone qui s’intéresse au livre religieux est souvent un lecteur
de littérature romanesque ou philosophique ou historique. Ainsi on s’est
retrouvé, dans un seul pays, avec deux islams, un islam arabophone avec en
référence les livres des Frères musulmans, puis du wahhabisme et un islam
francophone soutenu par des livres avec une vision modérée locale et
universelle qui sauvegarde quelques traces de notre algérianité
religieuse, l’islam de nos ancêtres. En écoutant un citoyen algérien de culture
francophone, femme ou homme, parler de l’islam, on détecte facilement l’âme
algérienne, la foi à l’algérienne dans son discours. Dans sa spiritualité. Dans
son algérianité.
Dans son costume. L’islam francophone algérien est tenu par une élite qui a
ses racines dans la culture universelle et locale. Cet islam francophone
algérien n’a pas été souillé par les idéologies de la secte des Frères
musulmans ou du courant wahhabiste, ou pas assez. Cet
islam francophone algérien est modéré parce qu’il est bercé par une vie
livresque riche, comme la littérature universelle et algérienne d’expression
française, la philosophie, la sociologie, l’histoire des religions… Des
émissions télévisuelles ou radiophoniques en langue française produites et
présentées par des hommes et des femmes respectés à l’image de Abdelmadjid
Meziane, Saïd Chibane, Ahmed Aroua,
Mustapha Chérif, Kamel Chekkat, Malika Lafer… ont soutenu et entretenu cet esprit de tolérance et
d’algérianité qu’on retrouve dans cet islam
francophone algérien.