CULTURE- RELIGION- ISLAM- GRANDE MOSQUEE DE PARIS
Construite « en hommage » aux musulmans tombés
pour la France lors de la Grande guerre, mais aussi pour des « motifs
géostratégiques »: la Grande Mosquée de Paris
(GMP) célèbre mercredi 19 octobre 2022, lors d’une cérémonie à laquelle doit
participer le Président français Emmanuel Macron, le centenaire de la pose
de sa première pierre. Le président français devrait dévoiler à cette occasion
une plaque marquant entre autres la « reconnaissance » de la
République pour ses soldats musulmans, a-t-elle indiqué à l’AFP.
Construite bien avant les grandes vagues d’immigration,
la GMP est la première mosquée métropolitaine érigée à l’ère contemporaine. Il
s’agit, pour « les autorités de l’époque », de « rendre un
hommage très fort aux musulmans pour leur sacrifice pendant la Première Guerre
mondiale », dit à l’AFP le recteur actuel, Chems-Eddine Hafiz.
Quelque 70.000 soldats de l’armée française, de
confession musulmane, sont morts durant la Première Guerre mondiale, selon une
estimation du ministère de la Défense. En 1920, un projet de loi dont le
rapporteur est Edouard Herriot, alors député, et qui prévoit un Institut
musulman comportant notamment une mosquée, une bibliothèque, une salle de
conférence, est voté au Parlement.
Fait marquant : il comporte une subvention de
« 500.000 francs », 15 ans après la loi de 1905 de séparation des
Eglises et de l’Etat. Cela a été permis grâce « à un montage
juridique », via un enregistrement au tribunal religieux d’Alger,
« alors département français, dans lequel la loi de 1905 ne s’appliquait
pas », selon le recteur. Parallèlement, une souscription est lancée dans
tout l’empire colonial pour que les musulmans participent à sa construction.
« Impérialismes européens »
En mars 1922, l’orientation de la future salle de prière
par rapport à La Mecque est décidée. Le 19 octobre de la même année a lieu
l’inauguration solennelle des travaux du futur bâtiment, en présence du
maréchal Hubert Lyautey, stratège militaire et figure emblématique de la
colonisation française au Maroc, sur un terrain des Hôpitaux de Paris.
Quatre ans seront ensuite nécessaires à son édification
et la mosquée est officiellement inaugurée en 1926. Sa construction correspondait
aussi à « des motifs géostratégiques, en pleine lutte entre impérialismes
européens », souligne Dorra Mameri-Chaambi,
chercheuse à l’EHESS, qui a consacré une thèse au rôle de la Grande Mosquée dans l’islam en France.
« Avec les accords Sykes-Picot de 1916, les
puissances impériales souhaitaient dépecer l’Empire ottoman. La période était
également propice à offrir des gages de sympathie aux sujets musulmans de
l’Empire colonial français », et à « conforter la France dans son
rôle de puissance musulmane d’Europe », dit-elle. Sadek
Sellam, auteur de La France et ses musulmans
(Fayard), insiste sur le fait que « plusieurs projets » de mosquées
ou d’institutions musulmanes à Paris avaient émergé, notamment dans certains
milieux islamophiles, « dès 1846 puis en
1895 ».
Avec son style hispano-mauresque, ses jardins et patios
à l’andalouse, ses zelliges et moucharabiehs et son minaret haut de 33 m,
l’édifice religieux, flanqué dès l’origine d’un restaurant et d’un hammam, est
devenu un bâtiment emblématique de la capitale.
Proche du Quartier latin, entre vieux immeubles
parisiens et Jardin des plantes, il est classé à l’inventaire des
« monuments historiques » depuis 1983. Sa construction est en béton
armé avec des matériaux décoratifs (tuiles vertes, faïences, mosaïques, fer
forgé) provenant du Maghreb. « C’est clairement une architecture
maghrébine » qui a été retenue, observe Mathieu Lours,
historien de l’architecture.
Pour autant, « avec l’utilisation de techniques
modernes – le béton-« , mais aussi « l’importance
majeure donnée à la coupole », « la recherche d’un grand volume à
l’intérieur comme ce que souhaitent les catholiques à la même époque (dans
leurs églises), on se dit que c’est vraiment un édifice religieux des années
1920 », dit-il.
Pour quelques jours, la GMP présente une trentaine de
panneaux mettant en avant plusieurs personnalités: le
premier directeur de l’institut, Kaddour Ben Ghabrit, le maréchal Lyautey, Edouard Herriot, ou encore l’islamophile Paul Bourdarie,
directeur de « La Revue indigène », soutien du projet dès 1915.