CULTURE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- STATUT DE L’ARTISTE 2022
© Sarah Haidar/Ler Soir d’Algérie, 28 septembre 2022
C’est un texte de loi devenu «mythique» en Algérie. Le statut
de l’artiste, censé encadrer et protéger les créateurs, est sans doute l’une
des professions de foi les plus rituelles chez les responsables successifs du
secteur.
La ministre de la Culture Soraya Mouloudji, nommée en février 2022, vient de lancer
une caravane consultative dans plusieurs régions du pays. Il s’agit de
rencontrer le plus grand nombre possible d’artistes algériens appelés à
soumettre leurs propositions, suggestions et préoccupations en vue de
l’élaboration d’un texte de loi spécifique : le statut de l’artiste. Cette
large consultation fait suite à l’installation en 2022 de la commission
ministérielle chargée d’élaborer ladite loi, et dont les membres rencontrent
depuis samedi des dizaines d’artistes ayant répondu à l’appel de la tutelle.
Qu’est-ce que le statut de l’artiste ? Il s’agit très certainement du
vocable le plus usité, le plus proclamé et déclamé par les (trop) nombreux
ministres de la Culture algériens depuis des années. Depuis au moins l’ère
Khalida Toumi (2002-2014), ce projet de loi fait l’objet d’effets d’annonce, de
promesses, de consultations et de réunions innombrables sans que jamais on n’en
ait vu la concrétisation !
Voici un bref historique non-exhaustif de cette «licorne» ministérielle :
Novembre 2010 : la ministre de la Culture Khalida Toumi annonce que le
décret portant sur la création d’un Conseil national des arts et de la culture
permettant à l’artiste d’être identifié et d’avoir une couverture sociale sera
prochainement promulgué.
Janvier 2014 : toujours Khalida Toumi : «Le décret relatif à la
couverture sociale des artistes et des auteurs indépendants sera en vigueur à
la fin janvier.»
Février 2014 : le décret en question (14-69) est effectivement publié
sur le Journal officiel. Il restera lettre morte et ne verra jamais son
application sur le terrain.
Juin 2014 : un mois après sa désignation à la tête du secteur, Nadia
Labidi promet à son tour la mise en application des dispositions prévues par le
fameux décret.
Juillet 2014 : la ministre lance, elle aussi, une large consultation des
professionnels du domaine afin d’inclure leurs préoccupations et suggestions
dans les textes d’application du décret.
Octobre 2014 : ça patine encore mais la ministre continue de promettre la
prise en charge «imminente» des artistes, du moins, retraités.
Février 2015 : une annonce en grande pompe est faite à partir de l’hôtel
Aurassi : la carte professionnelle de l’artiste est née. Elle était censée
ouvrir droit à l’ensemble des prestations sociales comme c’est le cas d’un
salarié ordinaire. Une caisse de solidarité devait également voir le jour pour
les artistes précaires. Aucune de ces annonces n’a pris une forme concrète dans
la pratique juridique, sociale et professionnelle.
2017-2018 : le ministre Azzedine Mihoubi fait preuve d’originalité.
Optant pour la baguette magique libérale : il lance «le printemps des arts»,
une espèce de marché de l’art embryonnaire censé remédier aux problèmes
financiers des artistes. Une grande exposition a donc lieu au Palais de la
culture, qui aura permis à quelques créateurs de vendre quelques tableaux !
Sécurité sociale ? Maladie ? Retraite ? Le responsable du secteur y répondra,
encore une fois, à sa manière : en effectuant des visites hyper-médiatisées aux
hôpitaux et domiciles où agonisaient certains artistes, prendre une photo avec
eux et annoncer une prise en charge étatique de leurs frais de soins !
Mars 2021 : la cinquième ministre de la Culture nommée en six ans,
Malika Bendouda, présente devant le gouvernement le projet d’un décret exécutif
«définissant le système qualitatif des relations de travail concernant les
artistes et les acteurs de théâtre». Elle s’exprime, par ailleurs, devant les
médias, sur la détermination de l’Etat à valoriser les métiers d’art et assurer
une couverture sociale aux professionnels du domaine.
Juin 2021 : le décret exécutif en question est promulgué. Il a pour but
de «protéger l’artiste en définissant ses relations de travail» et conditionne
l’accès aux prestations sociales par un «contrat professionnel à durée limitée
ou illimitée».
Août 2022 : la ministre actuelle Soraya Mouloudji installe la commission
chargée de l’élaboration du projet de loi portant statut de l’artiste.
Septembre 2022 : lancement d’une large campagne de consultation
nationale incluant les praticiens des différentes disciplines artistiques
appelés à soumettre leurs propositions et doléances et à participer à la
rédaction de ladite loi.
Cette dernière initiative du ministère de la Culture, près de neuf ans après la
publication du premier décret, est annoncée, à l’instar de ses précédentes,
comme le nec plus ultra pour la condition des artistes algériens. L’arlésienne
des ministres pointera-t-elle enfin le bout de son nez ?