HISTOIRE- BIBLOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI MALIKA RAHAL- « ALGERIE 1962.UNE HISTOIRE POPULAIRE »
Algérie 1962. Une histoire populaire. Essai de Malika Rahal, Editions Barzakh, Alger 2022 (Editions La Découverte, Paris
2022), 493 pages, 1500 dinars
On avait l’habitude de
ne trouver dans nos librairies que des ouvrages (mémoires ou essais ou récits…)
présentant la colonisation et ses effets néfastes ainsi que la lutte de libération
nationale sur des périodes assez vastes
, et liés directement et quasi-complètement aux combats. Il est vrai que le
traumatisme colonial perdure encore et on a toujours cette volonté de ne voir l’Autre
qu’à la longue-vue et non au microscope. Il est vrai aussi, que de notre côté , la non-disponibilité , ici et là-bas, d’archives
ayant trait à des événements et des moments précis, ne facilitent pas la
recherche historique. Il est vrai , aussi , que
les témoins encore vivants ne se
confient que difficilement , ou pas du tout , ou alors en esquivant les
questions paraissant trop curieuses, aux interviewers nationaux et locaux.
Ce qui n’est pas le
cas, curieusement,
pour les chercheurs étrangers (dont ceux ayant aussi une autre nationalité
que celle algérienne ou la double nationalité ) presque toujours bien
accueillis. Yves Courrière avait , le premier, récolté
les « confidences ». Ce qui donne, au final ,
des œuvres historiques assez riches en informations (et donc, en analyses, même si , souvent, nous ne sommes pas d’accord avec
elles) . Il en est ainsi du dernier ouvrage de Malika Rahal qui s’est concentré
sur à la seule année 1962 , aux journées liées au
« cessez-le-feu », aux mois annonçant l’Indépendance du pays, au 5
juillet ….et ce qui a immédiatement
suivi….tout particulièrement au niveau des populations , celle
des villes , celle des campagnes, les réfugiés et leurs retours, le départ précipité des
« pieds-noirs »…..
1962 a été , donc, à la fois la fin d’une guerre et la difficile transition
vers la paix et la reconstruction d’un pays moralement et physiquement détruit.
Une guerre -seulement celle étalée sur les 7 années et demie qui a fait , selon les chiffres avancés par les uns et
les autres, entre un million et demi et 600 000 victimes algériennes (pour 26 614
soldats de l’armée française tués et un millier de prisonniers ou de
disparus…..et 2788 civils européens
victimes de l’Oas).Une guerre qui a fait plus de
320 000 réfugiés dans les pays voisins (Maroc et Tunisie surtout, les
zones frontalières ayant été minées et transformées en « zones
interdites ») .Une guerre qui a « déplacé « (dans des camps de
concentration dits de « regroupement » plus de 3 520 000
personnes auxquels il fallait ajouter les 1 175 000 « recasés » ou
« resserrés » (sic !) ayant peuplé les bidonvilles de villes ou
villages ou des habitations de fortune
autour d’un « camp ». Une guerre, avec sa victoire finale laquelle mal acceptée
par une large majorité de la population pied-noir a vu la « migration » vers la
France (ou ailleurs) de plus de 650 000 personnes (dont 110 000 juifs
sur les 120 000 qui vivaient , en 1962, en Algérie) . Une guerre qui…..
C’est dire le contexte
tragique et violent du moment….N’empêche ! 1962 ,avec l’Indépendance recouvrée, a remis l’Algérie ,
« pays -continent », « pays - fourmilière » , « pays
de l’avenir », et les Algériens, au centre , plutôt qu’à l’extrémité de
tous les processus à venir……C‘est ce qui
est étudié et présenté par l’auteur qui a fouillé les archives et surtout les
mémoires des témoins, presque tout ce
qui a été vu , vécu et fait concrètement
au niveau de : la violence, des corps ( collectifs et individuels)
, de l’espace et du temps
L’Auteure :
Née en 1974,
agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie,
chargée de recherche au Cnrs (France) . En
2007, elle avait soutenu une thèse d'histoire sous
la direction de Benjamin Stora à
l'Inalco, où
elle a également fait des études d'arabe. Son travail portait sur l'Union
démocratique du manifeste algérien (UDMA), le parti de Ferhat Abbas..Elle dirige, depuis janvier 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (Ihtp) de l’Université Paris VIII.Auteure
de « Ali Boumendjel.Une affaire française, une
histoire algérienne » en 2011, et
de l’ouvrage (issu de sa thèse de doctorat, « l’Udma
et les Udmistes.Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien » (Barzakh, 2017)….deux ouvrages déjà présentés in Mediatic.
Table :Remerciements et avertissements/ Introduction/ I : Violences/ II : Corps/
III : Espaces/ IV :Le temps/ Conclusion/ Témoignages et sources
primaires/ Bibliographie sélective/ Notes/ Index
Extraits : « L’événement 1962 est connu d’abord par
ses marges ou, pour mieux dire, par ses minorités, au profit d’une histoire
tragique, une histoire de vaincus, alors que l’on s’attendrait à être submergé
par une histoire de vainqueurs » (p15), « Dans l’Algérie de 1962, les
rumeurs sont produites par la population coloniale elle-même, car c’est son monde qui se désagrège » (p33), « Le cessez-le-feu et
l’indépendance ont un effet de révélation par la sortie de la clandestinité et
de la guerre, de passage de l’invisible au visible et de découverte de soi,
notamment lorsque les proches se retrouvent » (p137), «(Juillet
62/Indépendance) Images et descriptions révèlent le plaisir de se voir,
comme une réaction au déni de la période coloniale et l’invisibilisation du
corps des « indigènes » aux
yeux des « Européens » lorsqu’ils ne sont pas convenablement
orientalisés, c’est-à-dire représentés selon un imaginaire européen et ainsi
soumis à un rapport hégémonique. Ce renversement du regard est l’un des
éléments essentiels de la révolution de 1962 » (p221), « La brèche
entre les uns et les autres, les accapareurs (note : 1962, des biens
« abandonnés » par les pieds noirs) et les pondérés , ne
cessera de croître au fil des années, au point d’être régulièrement convoquée
pour expliquer les injustices du présent » (p283), « Le récit historique
de 1962 mêle l’évocation d’un âge de la vie -pour les lycéens ou étudiants ,
leurs vingt ans- avec une période extraordinaire qui fera fatalement pâlir les
époques qui suivront par comparaison » (p377)
Avis :Un livre qui se lit d’un seul trait (bien que surchargé de détails…..tous
aussi intéressants les uns que les autres)….Un
roman de (re-)découvertes -pour les sexa et plus- de moments extraordinaires de notre Histoire.Une phrase résume à elle seule le sentiment final.Celle
de Ouarda Tengour ,
évoquant les festivités d’alors : « Je peux tout supporter parce
qu’une fois dans ma vie, j’ai vécu un moment comme celui-là » (p237).
Certains diront « Comme pour le Hirak ».
Pas la même chose !Juillet 62,juste avant et
juste après , que j’ai très bien vécu,
c’est la libération de « l’Autre »…. « l’Etranger ».
Février 2019, c’est….seulement , la libération de « Soi ».
Citations : « Quitter la guerre peut se révéler
douloureux et le « retour à l’intime » est, pour certains, source de
déceptions » (p20), « Avant d’être un temps de la violence, 1962
est en effet le temps de l’effervescence » (55), « Dans le temps
fluide de la fin de la guerre, il est encore possible de se faire passer pour
ce que l’on n’a pas été ou de faire disparaître son passé en se réinventant » (p138),
« (Indépendance/Juillet 62).Les festivités sont l’aboutissement victorieux
de l’effervescence festive et émeutière qui s’est développée dans la dernière
séquence de la guerre, depuis les manifestations de décembre 1960 (….). La fièvre libère les corps, le plus souvent
dans des transgressions festives » (236), « L’exode est l’histoire de
ceux qui partent, le retournement de l’espaces, lui, est celle de ceux qui
restent » (p274), « L’urgence et l’effervescence qu’elles
nourrissent sont (donc) au cœur de la révolution de 1962 » (p359), « L’urgence
crée l’impression d’être constamment en retard, mais elle est (note : en
1962) aussi un levier de mobilisation » (p371), « (Je m’étais
demandé si), parmi les films engagés, les films pour vieillissaient plus
rapidement que les films de dénonciation » (p395), « Que 1962
soit un temps des possibles narratifs fait aussi de ce moment le berceau de
mythologies durables, en même temps que le point focal d’une obsession du vrai
et du faux, de la falsification, de l’oubli et de la
commémoration » (p 410)