EDUCATION –OPINIONS ET
POINTS DE VUE- ECOLE-
LANGUES
© Mohamed Abbou, fb, 7 août 2022
La langue du développement , c'est la langue de la
curiosité.
La langue qui lève les inhibitions, libère les initiatives,respire la spontanéité et se nourrit de
curiosité est, sans conteste,la langue de
l'émancipation.
Soixante ans après l'indépendance les autorités de mon pays annoncent avoir
trouver le chemin du développement économique. Et,ce
chemin est anglais.
Qu'un peuple se voit offrir l'opportunité de maîtriser une nouvelle langue
est une très bonne nouvelle. Les mots anglais traduisent aujourd'hui les
appétits contemporains et la néologie anglaise si prolifique impose à la
traduction en d'autres langues des rythmes industriels. Il est dés lors plus judicieux d'adopter les termes d'origine par
économie de temps et de moyens.
Par ailleurs maîtriser réellement plusieurs langues est en soi un début
d'essor...les maîtriser réellement...
Le succès de l'opération exige la réunion de toutes les conditions humaines,didactiques et
environnementales. Et surtout de tirer les leçons de nos expériences.
L'arabisation du système éducatif au lendemain de l'indépendance-indiscutable
en son principe-a été intempestive et pour le moins impréparée.
Précipitée,sa première victime a été la langue arabe qui s'est enlisée dans la sphère
cérémoniale politique et cultuelle et son génie enfermé dans la prédication et
l'exégèse.
Ombrageuse,elle a asphyxié le français ne tolérant sa respiration que dans les espaces où
le partage de l'oxygène s'impose de lui-même.
Susceptible, elle a dévitalisé l'algérien, l'amenant à renier la sobriété
historique de son éloquence et à frayer avec des parlers vulgaires pour
économiser ses dépenses sémantiques.
Égocentrique elle a tenté de "mohicaner"
l'amazigh sans réussir à réduire sa vigueur culturelle.
Ainsi,au bout de
quelques temps,la communication entre générations
s'est détérioré et ne tient plus,à ce jour, qu 'à des bribes sémantiques encore en partage par réflexe
utilitaire.
Le langage résiduel se prend à façonner les sensibilités sociales et à
lisser les relations politiques dans le sens des valeurs défendues par la
gouvernance du moment. La langue officielle se retranche dans l'espace éducatif
et s'emploie à distinguer les "docti" des
"indocti".
Et pourtant ma génération, celle de l'immédiat après indépendance- El moukhadhrama- à appris le
français par l'algérien,sa
langue maternelle. Toujours par l'algérien elle s'est mise à l'arabe dit
classique par commodité.
Dans les faits ma génération parle le français en algérien, en amazigh et
adopte instinctivement la même démarche quand elle est tenue de parler arabe.
Les langues ne s'excluent pas, elles communient dans le giron de la langue
maternelle, elles se complètent,s'interpénétrent
et se tendent la main quand il arrive à la mémoire de faillir dans l'une
d'elle.
Il est vrai qu'une langue c'est d'abord une phonétique, une sémantique et
une articulation grammaticale mais elle est surtout une façon d'être, une façon
d'appréhender le monde,une
construction de la pensée.
La langue refonde - pour un usage idéologique- les notions de son environnement
et se les approprie. Elle est un réservoir conceptuel et une machine de
production de sens.
Et surtout,les concepts
que crée la langue par ses signes ne sont pas des appréhensions momentanées du
monde dont on peut se défaire facilement au profit d'autres,même
jugés plus pertinents. Ils constituent une grille interprétative durablement
installée dans la tête du locuteur avec laquelle il ne peut que composer en
passant d'une langue à l'autre.
Le plurilinguisme est une formidable machine d'équivalence qui occupe le cerveau du
polyglotte.
C'est pourquoi entre les langues il ne peut y avoir de " grand
remplacement ". Si c'est le but recherché par une prétention logocratique inavouée alors c'est le "grand
dépérissement " qui risque d'être au rendez-vous.
Il est vain de penser le progrès par l'exclusion, de bouder les joies que
peut encore donner un vecteur de sens déjà dans nos murs,de masquer un angle de vue qui peut enrichir
notre vision du monde,de voiler un regard pour
diminuer notre acuité de la vie,de plonger
volontairement dans une obscurité momentanée pour nous habituer lentement et
peut-être douloureusement à une nouvelle clarté.
Si notre véritable préoccupation est le bien de notre postérité offrons à
nos enfants la langue de leur curiosité. Ils adopteront spontanément la langue
du Bonheur.