À l’aube du 4 août 1914,
commencèrent les hostilités de la première guerre mondiale. Elles débutèrent en
Algérie, avec le bombardement de Bône (Annaba) et Philippeville (Skikda) par le
"Breslau" et le "Goeben". Les premières victimes françaises
de la guerre 1914-1918 furent des Algériens.
Durant la guerre balkanique de
1912 entre la Turquie et la Bulgarie, une force maritime internationale fut
créée afin de protéger les intérêts des puissances occidentales dans le détroit
des Dardanelles. Le Kaiser envoya sous les ordres du contre-amiral Souchon deux
bâtiments de la marine impériale, le croiseur léger Breslau et le tout nouveau
croiseur de bataille Goeben non encore parfaitement terminé. Les deux navires
constituant la division de la méditerranée quittèrent l'Allemagne le 5 et le 6
novembre 1912.
Piégés par la déclaration de
guerre du 2 Août 1914, et sans consignes précises, les deux navires décident
d'aller perturber le passage des troupes Françaises d'Algérie devant se rendre
en Europe en allant bombarder les installations portuaires et les entrepôts de
Bône et de Philippeville. L'ordre suivant fut donné le 3 Août dans la matinée.
1. Prendre toutes dispositions
pour pouvoir couler les bâtiments afin qu'ils ne tombent en aucun cas aux mains
de l'ennemi.
2. Pour les renseignements sur
l'ennemi voir les nouvelles reçues hier par T.S.F.
3. Mission : Inquiéter l'ennemi,
l'attaquer selon les possibilités sur la côte d'Algérie et sur la ligne de
communication Bizerte-Toulon, pour l'empêcher de transporter ses troupes en
France sans prendre de grosses mesures de précaution.
4. Exécution : Demain, au jour (4
heures 30), le Goeben se trouvera devant Philippeville, le Breslau devant Bône.
Ils reconnaîtront d'abord sous pavillon Russe, ce qui se trouve dans chacun de
ses ports. Ils essaieront ensuite, après avoir hissé le pavillon allemand de
détruire au canon ou, éventuellement à la torpille, les bâtiments de guerre
ennemis, les transports de troupes, et les installations pouvant servir à ces
transports. Économiser les munitions, ne pas s'engager contre les ouvrages à
terre. Faire route à l'ouest jusqu'à sortir de la vue de la côte puis rallier
en direction de Spartivento (Sardaigne).
Signé : Souchon.
Le 4 août à 6 heures, le Goeben
commandé par le capitaine de corvette Ackermann se présenta devant
Philippeville en retard sur l'horaire à cause du trafic sortant du port. À 6
heures 8 minutes et jusqu'à 6 heures 18, il canonna les installations du port
avec des obus explosifs de 15 cm. Puis s'éloigna vers l'ouest avant de faire
route au nord-est dès que la côte fut perdue de vue.
Le S.M.S. (Seiner Majestät Schiff ; Navire de Sa Majesté Breslau, ndlr)
commandé par le capitaine de frégate Kettner ouvrit
le feu sur plusieurs vapeurs à quai, puis bombarda un sémaphore. Des incendies
et des explosions furent observés à Bône, et les troupes indigènes (1) eurent à
subir des pertes à Philippeville. Les stations T.S.F. à terre annoncèrent
rapidement la nouvelle, aussi le vice-amiral Français Boué de Lapeyre
dirigea-t-il toute son escadre plein ouest pour aller protéger Oran et Alger,
ce qui permit aux deux navires de s'échapper tout en ayant désorganisé les
transports du XIXème corps d'armée.
L’attaque de Philippeville
racontée par Albert Brasseur :
« Le trois août mille neuf cent
quatorze, l'Allemagne déclarait la guerre à la France. Philippeville, eut avec
Bône, le triste privilège d'être la première cible que choisirent les
Allemands. On y déplora les premières victimes Françaises de cet effroyable
conflit.
Pour la défense de Philippeville,
seul le fort d'El Kantara disposait de deux canons de
190 m/m, en état de fonctionnement depuis la veille, ils étaient d'ailleurs sur
le point d'être désaffectés, mais la déclaration de guerre avait justifié leur
remise en service.
À l'aube du quatre
août, le croiseur allemand "Goeben", un bateau de vingt-trois
mille tonneaux, après être passé au large du Cap de Fer, en arborant le drapeau
russe, pays allié, pour ne pas être inquiété, se présentait face au port de
notre cité. Le poste de veille du Cap de Fer avait bien signalé son passage,
mais ne l'avait pas identifié.
Ce navire de guerre était l'un des
plus modernes de la marine allemande, long de près de cent soixante-douze
mètres, disposait d'un équipage de plus de mille hommes, d'une nombreuse et
puissante artillerie et de lances torpilles.
À cinq heures douze, selon un
témoin oculaire dont le récit nous est parvenu à travers des cartes postales,
le " Goeben " ouvrait le feu avec pour objectifs le port, la gare, la
caserne de France, l'usine à gaz. Heureusement la riposte du fort d'El Kantara fut très efficace et très rapide, parmi quelques
obus tirés immédiatement, l'un atteignit vraisemblablement le navire ennemi à
l'arrière. Surpris par une telle riposte le " Goeben " disparut très
rapidement, prenant la direction de l'île Srigina.
Cette agression, bien que de
courte durée, provoqua néanmoins des dégâts conséquents :
Les militaires du régiment du
Troisième Zouaves, qui avaient passé la nuit dans un hangar sur le port, dans
l'intention d'embarquer pour la Métropole, furent les principales victimes, ils
perdirent dix-sept hommes et eurent de nombreux blessés.
La mort de quatre civils fut
également à déplorer.
Il y eut aussi quelques dégâts
matériels comme en témoignent ces cartes postales.
Je ne peux résister au désir de
reproduire les textes figurant au dos de deux des cartes qui illustrent ce
bombardement :
" Lundi 4 août à 5h 12,
j'étais à peine couché sous le pont de chemin de fer, que je vis une épaisse fumée
s'élever de l'usine à gaz. Je croyais le gazomètre atteint. Il n'en était rien,
mais je voyais avec effroi les coups se rapprocher de l'endroit où je me
trouvais. "
" Je vis tomber ou du moins
je vis éclater, le projectile sur le hangar qu'il incendia. En moins de cinq
minutes tout fût brûlé. "Le Goeben" qui essuyait à ce moment le feu
du fort d'El Kantara, prit la direction du large. Il
avait tiré cinquante coups de canon, on compta quatre-vingt tués, blessés ou
disparus.
La pièce de canon numéro vingt et
un, qui tira les premiers coups de canon de la riposte, fut transportée le
trente septembre mille neuf cent dix-neuf au musée des Invalides à Paris où
elle est encore visible.