CULTURE- OPINIONS ET
POINTS DE VUE- KATEB YACINE/MOHAMED ABBOU, fb
© Mohamed Abbou, fb, mercredi 3 août 2022
J'emboite le pas à mon amie Rabia Djelti à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Kateb Yacine en publiant
un extrait du texte que je lui ai consacré en 2009 en marge de la rencontre
organisée ,en octobre,par la compagnie Gosto Théâtre :
Le 23 février 2005 à Tunis les travaux d'un colloque consacré à "Kateb
Yacine, un écrivain au cœur du monde" se terminaient sur cette question :
Quelle est aujourd'hui l'actualité de Kateb Yacine?
Et de fait le débat sur le théâtre et sur l'œuvre de Kateb Yacine est
d'abord un débat sur nous-mêmes.
Replonger dans un lac d'intelligence, ce n'est pas renoncer à son présent,
c’est au contraire l'immerger dans le terreau de son propre génie pour le vivre
plus intensément.
La reprise critique d'un héritage fondateur doit non seulement le régénérer
mais le lancer à la conquête de nouveaux horizons.
Alors,que reste-t-il du
combat de celui qui voulait "apprendre aux autres la liberté " ?
De cette œuvre qui étonnait les mots de ce qu'elle arrivait à leur faire
dire.
De ce verbe sagace qui faisait "fleurir l'espoir dans les
ruines".
De l'amour qu'à mobilisé celui qui "les yeux
fermés n'a jamais cessé d'écrire ".
De cette voix insolente 'du paladin solitaire qui ne cesse de dire bonjour
à ses vieux copains et qui,chaque
soir, s'attend à ce que montent les chants infernaux" en écho aux
hurlements indécents des parvenus.
Du bonjour qu'il n'a cessé d'adresser aux horizons lourds".
Lourds de l'oubli,lourds
des meurtrissures d'un cœur mordu,lourds des relents
"d'un jardin qui pourrit".
Comment demander décemment à Kateb Yacine de faire des bouquets de fleurs
qui ne poussent plus dans nos écoles ?
Comment peut-il sublimer des envies de vivre qui désertent, chaque jour,les chaumières "que ne
visite plus l'oiseau des tropiques"?
Mais la mission...parcequ'impossible ne peut être
que sa mission,car les
poètes n'ont jamais cessé de dire "qu'il faut rêver la vie,pour
vivre le rêve ".
"Vingt ans de pensée philosophique ! se lamente Nuage de fumée,
cinquante ou cent volumes sont sortis de ma tête...et nul n'a eu l'idée de les
écrire à ma place..."
N'est-ce pas parceque chacun s'est "laissé
prendre à la paille dorée du Sultan" et s'est "dévoré lui même par une autre bouche ".
Alors,quand le théâtre mettra-t-il l'histoire au chevet du présent ?une histoire qui
va au delà de la simple démarche mémorielle, une
histoire qui "problématise " les réalités sociales dont elle est
faite.
Ne doit-il pas retrouver sa violence constitutive pour incarner le drame de
l'homme qui vit aujourd'hui et dénuder les tensions de son expérience sociale ?
Ne peut-il fabriquer à la vie un sens que ne lui fournissent plus les
Institutions qui se sont émancipées de la société ?
La scène doit prendre le pouls de la respiration sociale
,ce souffle intime et désemparé de ceux à qui on dit souvent qu'ils
n'ont rien à dire.
La scène doit donner une voix au silence de leur "patrimoine" et
adopter le langage de leur espoir pour le dire...Le danser...le crier.
C'est sur scène que ceux qui ne sont rien apprennent à déserter les chemins
balisés qu'on veut leur faire prendre pour la vie et qu'ils opposent une
résistance à la colonisation de leurs imaginaires.
C'est sur scène que "le moindre mot pèse plus qu'une larme ".
Dès lors le souvenir de Kateb Yacine ne doit pas être l'occasion de sécher
des émotions mais de libérer leur cri.
Un cri attendu face au harcèlement aliénant d'un présent qui dilapide
l'héritage culturel dans des spectacles d'occasion et des postures ridiculement
épiques.
Face au délitement politique et moral qui transforme l'espace commun en
marché de l'opportunisme et de la liberté soudoyée.
Dans la polyphonie informationnelle et dans l'éclairage équivoque de la
civilisation des médias le théâtre doit demeurer "le piège qui enfermera
la conscience du roi et reflétera les envies et les problèmes du Public ".