LES DEUX INCONTOURNABLES DE LA DIPLOMATIE DE LA REVOLUTION
MHAMED YAZID ET ABDELKADER CHANDERLI
Sans nul doute, la part de ces deux grandes personnalités dans la
reconnaissance de la révolution algérienne à l’ONU est fondamentale. Deux êtres
singuliers, d’une immense culture, une grande érudition. L’un et l’autre, ce
qui était exceptionnel, ont fréquenté les bancs de l’université. Mhamed Yazid ( (1923-2003) et
Abdelkader Chanderli (1915-1993) savaient parler,
converser, une grande facilité de communication, maîtrisant plusieurs langues
dont l’anglais, bien entendu. Amoureux du cinéma, de la littérature et des
arts. Les deux apprécient énormément Le roman de William Faulkner, « Le bruit
et la fureur ». D’ailleurs, le frère de Chanderli,
Djamel Eddine est cinéaste, est l’un des auteurs du film sur la question
algérienne envoyée à son frère à l’ONU, ,Djazairouna, un mélange d’images de Chanderli
et de Vautier. Pierre Chaulet avait participé à la
réalisation.
La première rencontre avec la diplomatie a été à Bandoeng, avec Hocine Ait
Ahmed, qui, une fois arrêté, laissait sa place à ces deux grands intellectuels
qui allaient être affectés à l’ONU. C’est un travail extraordinaire, les
Français n’en pouvaient plus de ces deux jeunes artistes de la diplomatie qui
réussissaient la gageure de donner à lire la tragique réalité coloniale en usant
des techniques américaines de communication. Aussi employaient-ils une
stratégie extrêmement claire et très efficace, ils commençaient par récuser
toute proximité avec le communisme tout en montrant des similitudes entre les
révolutions américaine et algérienne. Cette manière de faire arrivait à toucher
sérieusement les Américains à la grande tristesse des Français. Deux simples
intellectuels, amoureux de l’Algérie et de la littérature, un petit bureau,
trop peu de moyens, humilièrent la grande armada diplomatique française.
Avant leur arrivée à New York, le gouvernement américain soutenait la
France dans son entreprise coloniale, mais le travail de ces deux grands hommes
avait permis de changer les choses. Ainsi, ils arrivaient à se faire des amis
parmi les intellectuels, comme John K. Galbraith de Harward
et de bien d’autres écrivains, journalistes et artistes jusqu’au sénateur
démocrate, John F. Kennedy. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le discours
de Kennedy où il appelait à l’indépendance de l’Algérie allait constituer ce
jour du 2 juillet 1957 une véritable bombe, le FLN était aux anges, une
extraordinaire victoire, un cuisant échec de la puissance coloniale.
Abdelkader, un « ami », selon Alistaire Horne ou un «
intime » (Yves Courrière) aurait joué un rôle important dans la rédaction de ce
discours. Au même moment, le grand syndicat américain, l'AFL-CIO prenait fait
et cause pour l’indépendance de l’Algérie. Soustelle, alors gouverneur général,
était entré dans une colère noire maudissant sa propre diplomatie qui aurait,
selon lui, baissé culotte devant de jeunes « terroristes », notamment à
Bandoeng en 1955, puis à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU :
Pour le FLN, disait-il, « l’événement avait plus de valeur pour les rebelles
qu’un convoi d’armes » (Cité par Alistair Horne). Qui sont-ils ?
MHAMED YAZID : Je l’ai connu, c’était l’unique discussion avec lui,
alors qu’il était détaché au bureau de la ligue arabe à Paris. Il avait
énormément dérangé à tel point que Paris et certaines capitales arabes avaient
demandé à Chadli de le limoger. Ce qui fut fait en 1983, lui qui connaissait
tout Paris intellectuel et qui n’arrêtait pas d’organiser à La Mutualité et
ailleurs des rencontres sur la Palestine. C’est vrai qu’il connaissait, lui qui
était ambassadeur à Beyrouth et représentant de l’Algérie auprès de l’OLP, tous
les leaders palestiniens, Arafat, Hawatmeh, Habbache, Jibril et beaucoup d’autres. Comme il entretenait
des rapports très étroits avec les journalistes, les artistes et les intellectuels.
Avec Yazid, les débats étaient interminables, très enrichissants, une fabuleuse
mémoire et un sens aigu de l’analyse, l’humour jamais absent.
Il avait l’air d’un paysan venu de nulle part, la voix haute, certes très
élégant, aimant rire, lui qui a été très jeune, secrétaire général de
l’association des étudiants musulmans (AEMAN), qui intègra
le PPA à l’âge de 19 ans en 1942, alors qu’il était étudiant, arrêté en 1948 et
condamné à deux années de prison. Il fut le premier ministre de l’information
du GPRA (1958-1962) et un des négociateurs d’Evian.
Après l’indépendance, déçu, ne pouvant accepter cette course au pouvoir qui
aura fragilisé, selon lui, les fondements de la république. Il savait que les
choses allaient être difficiles, les attaques contre le GPRA n’en finissaient
pas. « En 1962, déclarait-il à un journaliste du Jeune indépendant, nous avons
acquis une nationalité, mais pas le droit à l’exercice de la citoyenneté »
(Mohamed Khellaf, Le jeune indépendant, 2/11/2002).
Beaucoup de gens qui le connaissaient en 1962 reconnaissent un homme à
principes, l’un des rares à s’être opposé lors du congrès de Tripoli à
l’institution du parti unique, laissant ce point en suspens. Dans le même
entretien, il insiste sur la question du parti unique : « Le système du parti
unique devait constituer une étape, la plus courte possible. Malheureusement,
il y a eu usurpation de la souveraineté populaire au profit d’options
populistes ». Il a occupé le poste de directeur général de l'Institut National
de la Stratégie Globale au milieu des années 1980.
Déçu, désenchanté, Yazid qui ne perdait jamais son rire estimait qu’il n’y
a jamais eu de socialisme en Algérie, mais un processus d’«
étatisation ». Il disait à Boumediene qui, selon lui, allait changer les choses
à partir de 1977, qu’ « en Algérie, tout avait été
nationalisé sauf le pouvoir » (Entretien au Jeune indépendant). Il usait d’une
formule singulière, le système para-peuple pour qualifier l’Etat algérien.
Yazid aimait beaucoup débattre de questions essentielles comme les notions
d’Etat ou de Nation par exemple. On ne peut parler de Yazid sans évoquer son
épouse, une Américaine, Olive, qui a énormément apporté à la délégation
algérienne, par ses entrées et ses connaissances à New York et à Washington,
elle occupait un poste important au sein de l’administration américaine.
ABDELKADER CHANDERLI : Journaliste, diplomate, Chanderli
est d’une grande culture, il peut parler de tout avec une déconcertante
facilité. Courtois, élégant, passionné de littérature et de cinéma, il a suivi
des études de lettres à l’université de Paris-Sorbonne et un cycle de
sciences-Po. Il a entamé sa carrière dans le journalisme à Pékin puis comme
correspondant en Palestine jusqu’en 1948, à l’UNESCO comme directeur du service
de presse. Hocine Ait Ahmed, bien avant son arrestation, le propose comme
représentant permanent à la fois à New-York auprès des Nations unies et à Washington.
Il passera neuf années à l’ONU avant de regagner le pays une fois l’Algérie
indépendante, occupant le poste de secrétaire général du ministère des affaires
étrangères, DG d’une grande entreprise…