CULTURE- ETUDES ET
ANALYSES- CINEMA ALGERIE/ABDELHAFID BOUALEM (II/II)
REALITES ET UTOPIES : DE LA RELANCE DU CINÉMA EN ALGÉRIE (Extraits)
© Abdelhafid Boualem, Auteur et Script-Doctor, fb samedi 25 juin 2022
3- Le troisième obstacle, et il est de
taille lui aussi, est la censure.
Elle se présente sous 2 formes :
A- La censure administrative, ou politique, qu’on peut illustrer avec
l’exemple du blocage jusqu’au jour d’aujourd’hui, de la projection du film de
Bachir Derrais, « Ben M’hidi
», et la déprogrammation de l’avant-première du film « Papicha
», il y a quelques mois, sans fournir la moindre explication.
Cette censure non déclarée, et non assumée ouvertement par les décideurs du
secteur de la culture, se présente à son tour sous 2 formes :
- En amont, elle dispose du levier le plus imparable, et le plus vital pour
tout projet de film : L’argent. En effet, tout scénario de film n’entrant pas
dans la doxa politique ou culturelle « officielle », est tout simplement
bloqué, ou rejeté au niveau des commissions de lecture du ministère de la
culture, ou du ministère des moudjahidines pour ce qui concerne les scénarios
traitant de l’histoire « officielle » de la révolution, ou des figures dites «
historiques ». Par ailleurs, ce dernier, dispose d’un droit de regard et même
de « véto », même si le projet d’un film est financé entièrement par un privé,
ou par le ministère de la culture. Par conséquent, et en toute logique, pas de
financement, pas de film.
- En aval, la censure de tout film « dérangeant », se pratique simplement
et « softement », en refusant, souvent non
officiellement, la projection publique du film.
B- La deuxième forme de censure, aussi puissante, sinon plus puissante que
la première, est la censure morale de la société.
Ces dernières années, l’ultra-conservatisme, voir même le bigotisme dans
lequel a versé la société algérienne, fait que le scénariste et le réalisateur,
les deux créateurs de toute œuvre audiovisuelle, ne peuvent s’exprimer
librement artistiquement, et doivent continuellement, s’autocensurer, comme
l’ont dénoncé plusieurs réalisateurs, ou scénaristes comme Djâafar
Gacem, ou Abdelkader Djeriou.
D’où, très souvent, la platitude et l’invraisemblance de beaucoup de films
algériens, et même de séries et feuilletons télévisés.
Le cas du feuilleton « Babor El Louh », qui a connu un large succès populaire lors du ramadan
2022 sur la chaine privée Echourouk, et dans lequel
les bouteilles de vins ont été floutées dans certaines scènes, est hautement
révélateur de cette forme de censure morale, inconnue dans le paysage
audiovisuel algérien, même pendent les années 90 et
les années rouge-sang du terrorisme islamiste.
Cette censure morale adoptée par un large pan de la société algérienne dès
le début des années 2000, s’étend d’ailleurs, doucement mais surement, à toutes
les formes d’expressions artistiques ou culturelles : Cinéma, musique, arts
plastiques, romans, etc. Elle est sous certains aspects, plus perfide, plus
dangereuse et plus violente que la censure politique ou administrative. Là
aussi le cas du film de lyes Salem « l’Oranais »,
projeté au cinéma le Colisée en 2013, en présence du réalisateur, qui fut
littéralement pris à partie et agressé verbalement pour avoir montré des
moudjahidines de la révolution buvant de l’alcool, est très révélateur d’une
forme d’intolérance chez la nouvelle génération, à toute forme d’expression
artistique, qui n’entre pas dans un « cadre de morale islamique ».
4- Le quatrième obstacle, est l’absence
de plateformes et d’applications numériques, comme la plateforme « Shahid », équivalent arabe de Netflix, et qui permettrait,
moyennant abonnement, ou payement à la séance, aux producteurs algériens, de
rentabiliser leurs films ou leurs feuilletons. Il y a bien eu lors du ramadan
2021, l’expérience de la diffusion du feuilleton « Babor
El Louh » sur une plateforme algérienne payante «
YARA », mais l’indisponibilité de données chiffrées ne permettent d’évaluer
l’impact de cette expérience.
Si on ajoute à cela la difficulté, voir l’inexistence de la culture du
payement en ligne pour la majorité des algériens, l’espoir d’une relance du
secteur cinématographique algérien, grâce au "numérique", devient de
plus en plus chimérique.
5- Le cinquième grand obstacle à la relance
du cinéma et de la production audiovisuelle algérienne en général, est la
quasi-impossibilité à la production audiovisuelle algérienne, d’accéder au marché
international, et même au marché arabe des produits cinématographiques et
télévisuels, et ce pour 2 causes plus ou moins objectives :
- La première est la barrière de la langue.
La culture algérienne n’ayant jamais eu l’occasion de rayonner au-delà de
nos frontières, dans le monde arabe en particulier, contrairement à la culture
égyptienne, ou plus récemment la syrienne, ou même Turc grâce au doublage en «
parlé syrien », la barrière de la langue usitée dans nos rares films ou
feuilletons réussis, y compris ceux ayant obtenus des prix internationaux, est
un vrai problème qui empêche le produit algérien d’accrocher le spectateur
égyptien, jordanien, koweitien ou syrien.
Résoudre cette problématique de la langue dans la création audiovisuelle
algérienne, est d’une grande urgence si on veut avoir des chances de voir nos
productions concurrencer celles des syriens ou égyptiens.
- La deuxième raison qui s’oppose également à la conquête des produits
audiovisuelles algériens à l’international consiste en :
la thématique de
ces productions.
En effet, la majorité des films algériens étant financé par le trésor
public, donc l’état, ces derniers ont eu presque tous pour thème la révolution
algérienne, ou la vie des algériens sous l’occupation coloniale. Une thématique
qui n’intéresse pas forcément, voir pas du tout, le
spectateur non-algérien, qu’il soit arabe, africain, ou européen.
Quant aux feuilletons et sitcoms, la faiblesse des scénarios, des
dialogues, et de la réalisation, ajoutée aux thématiques sociales typiquement
locales, font que nos productions télévisuelles n’intéressent aucun diffuseur
ni téléspectateurs étrangers, et souvent même pas les algériens eux-mêmes.
D’autre part, la curieuse et inexplicable absence totale de production de
séries ou feuilletons policiers, de thriller ou de films d’aventures algériens,
pose de réelles questions, auxquelles personne ne s’est avancé
à donner une explication.
Je ne peux finir cette liste non exhaustive des causes de la crise du
secteur du cinéma et de l’audiovisuel algériens, sans parler des propositions
irréalistes annoncées en fanfare par les autorités, comme l’ultime solution miracle pour la relance du cinéma en Algérie, et
qui consiste entre autres, en la construction de plusieurs cités du cinéma,
confiée au nouveau centre national cinématographique, créé par décret
présidentiel N° 81 du journal officiel du 24 octobre 2021.
Cette décision soulève énormément de questions, dont la plus importante est
:
Les concepteurs de cette solution ont-ils réellement lancé des études
chiffrées et documentées de la faisabilité, et de la viabilité surtout, d’un
tel projet, lorsqu’on sait que les superproductions américaines ou européennes,
à plusieurs millions de dollars de budget, ont été tournées dans des hangars de
2 à 3000 M2, dont les murs et plafonds ont été entièrement recouverts de fonds
verts, permettant la création numérique de décors hyperréalistes en image de
synthèse ?
En conclusion : Tels que se présentent les propositions
"officielles" de relance de ce secteur-clé de la culture algérienne,
plus fantasmées que réalistes, notre cinéma et audiovisuel continueront à
balancer entre une réalité triste et décourageante, et des promesses utopiques
et décevantes.