Pressions politiques et forces de
l’argent
Dans le deuxième panel, notons cette
communication de maître Amina Chemami qui s’est
évertuée à décortiquer «le cadre légal de
l’exercice de la profession journalistique». Après avoir dressé un
inventaire exhaustif des lois sur l’information promulguées depuis 1990, elle constate
que les acquis consignés dans les textes, y compris la Constitution, ont
rarement été appliqués. Ainsi, et comme cela sera soulevé au cours des débats,
c’est souvent le code pénal qui est appliqué au journaliste et non le code de
l’information. «On souhaite un
rafraîchissement de la loi», préconise la juriste en appelant à «produire
de nouveaux textes qui s’adaptent à la situation actuelle». Notre confrère
Ali Boukhlef a dressé de son côté un état des lieux
sans concession à travers un exposé au titre éloquent : «Le
journaliste, entre les contraintes politiques et celles de l’argent». Ali Boukhlef est revenu sur la fermeture du quotidien Liberté qui,
rappelle-t-on, a cessé de paraître depuis le 14 avril dernier. La disparition
de ce grand titre, qui a suscité une vive émotion, a été abordée à plusieurs
reprises lors de ce Colloque, faut-il le signaler, de même que la crise
profonde que traverse El Watan. Notre
confrère a insisté sur le fait qu’il n’y a pas que la pression politique qui
pèse sur les médias en Algérie, laquelle est naturellement liée à la culture
autoritaire de notre système de gouvernance. Ali a pointé aussi la «censure économique» imposée par
les forces de l’argent. Des patrons qui, en tant qu’annonceurs potentiels, sont
bien des fois ménagés lorsqu’il s’agit d’enquêter sur
des affaires qui les impliquent. «La
disparition de Liberté signe la fin d’une époque», martèle
Ali Boukhlef. «Il faut
maintenant penser à un nouveau modèle économique. Pourquoi ne pas penser
par exemple au financement participatif ?» suggère-t-il. Une
autre conférencière, Wahiba Belhadj, a axé son
intervention sur «les fake news et le
droit à l’information». L’oratrice considère que nous sommes aujourd’hui
face à un «marché parallèle de l’information».
«Nous vivons une crise de l’information
générée par l’absence d’un journalisme d’investigation», relève-t-elle. Cette
fragilisation de l’armature éditoriale se manifeste notamment par la
disparition de nombre de médias pour des problèmes financiers, y compris des
sites électroniques «comme Algérie 1 qui a
fermé après 12 ans d’existence», rapporte-t-elle. «Aujourd’hui, El
Watan, El Khabar et Le
Quotidien d’Oran sont tous menacés de disparition», alerte Dr
Belhadj.
«Il y a eu un amateurisme
dans l’expérience numérique»
En analysant les causes de cette
fragilité financière des journaux et même des pure players,
l’une des raisons invoquées avec insistance est que les lecteurs rechignent de
plus en plus à mettre la main à la poche pour acheter un journal. «Aujourd’hui, le citoyen doit choisir entre le
sachet de lait et un numéro d’El Watan ou d’El Khabar», s’émeut Wahiba Belhadj. «Il faut dire aussi qu’il y a une mentalité bien ancrée
chez nous : les gens ne veulent pas payer pour de l’information»,
note-t-elle. Et c’est tout cela qui, en bout de chaîne, va faire prospérer ce «marché informel de l’information», un marché
dont le produit-phare s’appelle «fake news», «rumeur», «trolls».
Tout cela exige, conclut l’intervenante, un renforcement des médias
professionnels sans quoi, «il y a menace sur le droit du citoyen à
l’information qui est un principe fondamental de la pratique démocratique». Parmi les communications du
troisième panel, retenons celle de Samir Ardjoun : «Le modèle économique et les aspects structurels
du journalisme numérique en Algérie». Le constat établi par
l’universitaire est qu’il n’y pas eu d’anticipation, il n’y a pas eu de «business-plan», pas de «projection réelle
ni de stratégie» dans la façon de négocier le virage numérique par la
presse traditionnelle. «Il y a eu un
amateurisme dans l’entame de cette expérience numérique en Algérie». «On est dans un modèle expérimental», estime
l’orateur. Partant, «la mutation digitale des médias algériens est en
chantier. A défaut d’un modèle économique fiable, les acteurs improvisent. Nous
sommes face à un écosystème incertain, indéfini», appuie-t-il. «Même
si l’activité médiatique numérique connaît un certain succès journalistique,
elle n’a pas connu de réussite sur le plan économique et structurel»,
tranche Samir Ardjoun. Un constat corroboré par un
confrère d’El Khabar qui a indiqué que
malgré tous les investissements consentis par le journal arabophone pour
développer une offre en ligne, «le site ne
comptabilise même pas 1000 abonnés».