Un important colloque
s’est tenu, lundi dernier (16 mai 2022), à l’Ecole supérieure de journalisme
d’Alger (ENSJSI) sur les métiers du journalisme face aux mutations que nous
connaissons. Le colloque a été l’occasion de dresser un constat sans concession
de l’état de la presse dans notre pays.
L’Ecole nationale supérieure de
journalisme et des sciences de l’information (ENSJSI) de Ben Aknoun a abrité ce lundi un important colloque sur l’état
de la presse en Algérie sous le titre : «Les
métiers du journalisme entre les impératifs de la profession et les enjeux de
la société actuelle». Le colloque a été organisé par le laboratoire «Médias, Usages sociaux et Communication» (MUSC) dirigé par
le professeur Belkacem Mostefaoui. A la tribune de
l’amphi «Noureddine Naït-Mazi»,
du nom de l’ancien directeur d’El Moudjahid (1935-2016), vont
défiler ainsi une vingtaine d’intervenants répartis sur quatre panels pour
interroger et disséquer l’écosystème médiatique national. Le mérite de ce
colloque, convient-il de le souligner, est d’avoir mêlé approche académique et
parole de gens du métier.
Quatre professionnels des médias ont,
pour être exact, été associés à cette journée de réflexion : Ali Boukhlef, journaliste du défunt Liberté aujourd’hui
free-lance ; Djamel Maâfa, ancien journaliste à
l’ENTV et producteur ; Amar Chekar, fondateur du
site Algérie 62 (www.algerie62.dz) et, enfin, votre obligé, l’auteur de ce
compte-rendu. A noter également qu’un atelier d’écriture journalistique, animé
par notre collègue Hafid Azzouzi du bureau d’El Watan à Tizi Ouzou, a été organisé en marge de
cette rencontre au profit d’une vingtaine d’étudiants.
«Promouvoir un nouveau type de
formation»
Dans son mot de bienvenue, le professeur
Abdesselam Benzaoui, directeur
de l’ENSJSI, note d’emblée : «Ce
colloque, à mon avis, ne pouvait mieux tomber. Parce qu’il y a un
grand débat sur la scène nationale sur le devenir de ce métier. Et au niveau de
l’Ecole, nous sommes interpellés par cette question. Nous sommes l’unique
école supérieure de journalisme au niveau national, nous avons la mission de
former les futurs journalistes de ce pays. Il nous appartient donc d’éviter de
refaire les erreurs du passé et d’œuvrer à promouvoir un nouveau type de
formation.»
Le Pr Benzaoui poursuit : «Le
métier a changé. Nous ne sommes plus à l’ère de la presse classique (…). Aujourd’hui,
nous avons les nouvelles technologies, nous avons le numérique, nous avons une
société virtuelle. Et nous avons aussi à côté une mondialisation. Il y a des
défis énormes. N’importe qui aujourd’hui peut se targuer d’être journaliste. On
parle de journalistes citoyens, on parle de journalistes sur la Toile, et cela
risque de diluer le métier de journaliste. Ce qu’on nous a appris sur
les bancs des amphis, l’éthique, la déontologie, la véracité et la vérification
de l’information, tous ces principes nobles commencent aujourd’hui à être
bafoués. Et c’est à nous, au niveau de l’Ecole, de réfléchir sur l’avenir du
métier de journaliste et nous interroger : C’est quoi un
journaliste ?» Prenant le relais, le Pr Mostefaoui
avoue : «Les médias nous tarabustent,
les médias endogènes ou quasi endogènes, les médias mondes, c’est-à-dire tout
ce magma de médias déferlant sur nous, de plus en plus forcenés, à travers les Gafam.» Evoquant le contexte sociopolitique qui a
marqué notre pays au cours de ces dernières années, Belkacem Mostefaoui n’a pas manqué de citer le «hirak populaire qui a été
d’une combativité extrême». Et de lancer : «Nous
sommes au cœur des résistances, des combats et des espérances. Comment faire en
sorte que nous ayons des médias qui respectent l’Algérie ?» «De plus en plus la question, c’est
celle-là : comment avoir des médias endogènes, taâ
bladna, netmourth, en
tamazight, en arabe, en français… ? »
«Tous journalistes ?»
Le Pr Mostefaoui
poursuit : «On ne peut pas changer les
dirigeants qui nous gouvernent. Mais nous avons le droit à titre de chercheurs,
d’étudiants, à partir de l’Ecole nationale supérieure de journalisme, d’émettre
comme des ondes qui peuvent être positives, en direction de nos gouvernants
pour qu’ils se ressaisissent.» Le directeur du
laboratoire MUSC se désole notamment de la teneur des textes de lois régissant
la presse. «Les deux avant-projets de lois
qui sont en discussion, là, depuis deux ans, c’est un retour en arrière. C’est
une régulation qui n’a pas de sens», estime-t-il. Au directeur de l’Ecole et à celui du
laboratoire MUSC vont succéder les deux coordinateurs scientifiques du
colloque, la professeure Nadia Ouchène et le Dr Hakim
Hamzaoui, qui se sont attelés à expliciter les axes et les thèmes structurants
de ce débat. «Il s’agit d’une problématique
qui a eu comme point de départ la question suivante : où en est le
journalisme aujourd’hui ?» explique la Pr Nadia Ouchène. «Ce
métier, observe-t-elle, a comme spécificité de faire l’objet
de nombreuses représentations sociales très opposées. Et c’est ça qui
fait que nous sommes là aujourd’hui. Nous voulons comprendre qui est ce
journaliste qui est confronté à des questions de déontologie, à des questions
d’autonomie intellectuelle, de soumission politique, à des contraintes
économiques.»
La chercheuse mentionne également «les
transformations numériques qui ont complètement modifié le quotidien du
journaliste, contraint qu’il est à la rapidité, à la diffusion en temps réel, à
la production de l’information en continu.» Le Dr Hakim Hamzaoui a indiqué
pour sa part que trois axes principaux ont constitué le fil rouge des
communications sélectionnées. «D’abord il y
a des communications sur les offres de formation universitaire en journalisme.
Une question importante se pose concernant cet aspect : doit-on former des
journalistes professionnels qui vont répondre à la demande des médias, qui est
une formation beaucoup plus pratique ? Ou doit-on aussi former des
chercheurs en sciences de l’information et de la communication ?» a
fait savoir le Dr Hamzaoui. Le deuxième axe a consisté à décrypter «l’évolution des pratiques professionnelles des
journalistes à l’ère du numérique (…) et quel modèle
économique pour les médias à l’ère d’Internet». Dans le troisième volet, il
est question d’«interroger le phénomène
‘‘tous journalistes’’, les ‘‘nouveaux journalistes’’ ou encore le ‘‘journalisme
citoyen’’ ».
Qu’est-ce qui les motive ?
Fort d’une vingtaine d’interventions, le
colloque de Ben Aknoun a constitué, par la densité et
la richesse de ses exposés, par la qualité des échanges qui l’ont caractérisé,
un beau moment introspectif et de transmission. Il est difficile hélas, au vu
du temps et de l’espace qui nous sont impartis, de rendre compte de toutes les
communications. Nous nous limiterons donc à une ou deux conférences par thème.
Au chapitre de la formation, retenons l’intervention de Tarik Chami de
l’université de Béjaïa dans le premier panel : «Rétrospective
sur la formation en journalisme à l’université de Béjaïa». Le Dr Chami
explique que le département des Sciences de l’information et de la
communication à Béjaïa compte «1400 étudiants, tous niveaux et spécialités confondus», ceci
«pour une équipe de formation qui ne dépasse pas 20 enseignants-chercheurs
permanents». «A partir de la 3e année,
les étudiants ont le choix entre les spécialités : information ou
communication. Puis, dans la même logique de spécialisation, en master, ils
feront soit presse imprimée et électronique ou bien communication et relations
publiques (…). Des formations à caractère plutôt académiques que professionnelles»,
détaille-t-il. Le chercheur nous apprend que les formations, dans ce
département de Béjaïa, sont assurées «exclusivement
en langue française». Parmi les points pertinents abordés par Tarik Chami,
l’image que se font les étudiants de Béjaïa du métier de journaliste et ce qui
a motivé leur choix en optant pour ce cursus. «Ceux
qui ont opté pour la formation en journalisme justifient leur choix, non
fortuit, par la noblesse du métier qu’ils associent à un rêve d’enfance de
devenir un jour journaliste», affirme-t-il. Pour une autre catégorie
d’étudiants, c’est «la quête de vérité, de liberté» et la défense de «l’intérêt
général» qui a guidé leur choix. «Certains
étudiants veulent faire de ce métier un moyen de lutte», précise encore le
conférencier. D’autres sont mus «par l’amour
qu’ils portent pour l’écriture en général ». En outre, « l’image
que dégagent les professionnels du journalisme inspire aussi beaucoup de jeunes
étudiants », voyant en eux des « intellectuels courageux ».
Tarik Chami souligne, par ailleurs, que « les étudiants interrogés sont
conscients des défis qui les attendent dans ce domaine, où la noblesse du
métier se mélange aux contraintes et aux difficultés du terrain, notamment dans
les contextes autoritaires comme le nôtre qui étouffent l’épanouissement de
l’exercice journalistique»