INDUSTRIES- REGION- BIJOUX D’ATH YENNI
Le bijou traditionnel d’Ath Yenni,
dans la wilaya de Tizi-Ouzou, a traversé les générations, s’adaptant à chaque
époque pour préserver sa place de parure de choix pour compléter une tenue s'il
n'est pas utilisé par des femmes comme langage codé pour passer des messages.
Et à propos de ce patrimoine immatériel
attaché au bijou traditionnel des Ath Yenni, les
artisans bijoutiers rencontrés à Ath Yenni, indiaquent ,en
se référant aux témoignages des anciens, que jadis le port du bijou était
codifié. "On ne pouvait pas porter une pièce de bijou n’importe comment et
n'importe quand", ont-ils confié.
C’est ainsi que Taassavt
(un bijou entre la couronne et le collier, porté au front) était exclusivement
réservée aux femmes mariées, alors que Thavzimt était
portée sur la poitrine par la jeune-fille célibataire, sur le front par la mariée
et avec des pendeloques par celle qui a des enfants, ont-ils indiqué.
De son côté, la femme qui a perdu son
mari et en signe de deuil, porte à l’envers l’Adouir
(le rond), un imposant bijou de forme ronde serti en son centre d’une grosse
pièce ronde en corail, chichement décoré d’émaux, de boules d’argent et de
corail, et très légèrement décoré en filigrane au verso.
Des témoignages recueillis auprès de plusieurs dames de la région
rapportent qu’à la façon et aux types de bijoux que la femme porte, celle-ci
passe des message à ses congénères, tel que pour se désigner lors d’une
circoncision qu’elle est la mère de l’enfant circoncis, pour annoncer à son
mari qui rentre de voyage, qu’un deuil a lieu dans la village, pour dire dans
une fête qu’elle ne peut pas ou ne veut pas danser, ou pour désigner qu’une
jeune fille est fiancée...
Si Azrar n’elharz, le collier à boitier (ou collier à amulettes), est
porté fermé autour du cou par la femme célibataire, la mariée le porte, quant àelle, accroché à sa robe
kabyle au niveau de épaules, par le moyen de deux fibules (pièces en argent
également décorés d’émaux et de corail de forme triangulaire).
Le bijou est une parure indissociable de
la tenue traditionnelle Amazighe, d’ailleurs les deux ont évolué ensemble pour
s’adapter à leur temps, se modernisant au fil des générations, tout en
préservant leur authenticité.
L’artisan bijoutier d’Ath Yenni a toujours évolué dans ses méthodes de fabrication
tout en restant artisanal, et le bijou a, lui aussi, su s’adapter à la demande
du marché en perdant en volume et en gagnant en raffinement, non sans y laisser
des... plumes.
Dans ce processus d’évolution, le bijou
des Ath Yenni, qui a gardé son authenticité, a changé
de fonction en devenant une simple parure, perdant tout le code langagier qu’il
transmettait.
Si l’époque de la naissance du bijou
d’Ath Yenni, fabriqué en argent et orné d’émaux au
trois couleurs vert, jaune, et bleu, de boules d’argent et de coraux, ne peut
être située avec exactitude, en raison de son ancienneté, ces interlocuteurs
ont réfuté la thèse selon laquelle c’est les Ath Abbès
arrivés de Bejaia qui ont apporté le métier de la bijouterie avec eux.
A ce propos, a observé que "des récits
historiques dont celui d’Emile Carrey, rapportent qu’à l’arrivée des
prisonniers des Ath Abbès, à savoir les ‘Allam’, les
femmes d’Ath Yenni sont sorties parées de leurs gros
bijoux pour fêter la victoire du royaume de Koukou
sur son rival des Ath Abbès (Bejaia)". Toutefois , ces derniers (les Allam d’Ath Abbès qui se sont installés au village d’Ath Larbaa (Ath Yenni) "ont
apporté un plus et leur touche au bijou d’Ath Yenni".
Le bijou des Ath Yenni
est le produit d’un savoir-faire très ancien, a poursuivi l'artisan qui a
ajouté que "la technique d’émaillage, qui fait la spécificité du bijou
traditionnelle d’Ath Yenni, remonterait selon, les
écrits des historiens, à l’époque byzantine".
Outre les bijoux, les forgerons d’Ath Yenni fabriquaient aussi des armes, des outils pour
l’agriculture. Les bijoux étaient produits selon la technique du martelage,
a-t-on observé de même source.
Ce qui fait la force du bijou d’Ath Yenni est la technique de fabrication qui, tout en restant
artisanale, a toujours évolué grâce au savoir-faire des bijoutiers qu’ils
avaient hérité de leurs aïeux, maîtrisant les alliages, les acides, le chromage
et le travail du corail à sec. Les Ath Yenni sont, en
effet, les seuls à travailler cette matière première à sec pour récupérer la
poudre de corail utilisée comme cicatrisant, ont souligné Kebbous,
CHouichi et Malki.
"Le bijou chez nous n’est pas un
accessoire que la femme porte pour se faire belle, il est culturel, il véhicule
un patrimoine, un savoir-faire et une identité plusieurs fois millénaire, d’où
la nécessité de le préserver et de le protéger urgemment par son classement et
sa labellisation, pour faire face à la contrefaçon et aux velléités de
s’accaparer ce patrimoine ancestral par certains pays", ont affirmé
plusieurs artisans bijoutiers.