ENVIRONNEMENT
– REGION- BIBANS/BORDJ BOU ARRÉRIDJ
© Djamel Alilat/El Watan, samedi 30 avril 2022 (Reportage .
Extraits)
Si un jour vous avez traversé les Bibans par
l’autoroute Est-Ouest, vous avez sûrement dû remarquer ces montagnes aux crêtes
dentelées et aux pics bizarres qui rappellent vaguement le dos d’un stégosaure
du jurassique.
C’est
une série de mamelons rocheux abrupts qui vous donnent l’impression d’être au
fin fond de l’Ouest américain, quelque part au Nevada ou en Arizona.
Aujourd’hui, des dizaines de milliers de véhicules traversent quotidiennement
ce passage sur une autoroute à trois voies et à double sens, mais il fut un
temps, pas si lointain que cela, où seuls les plus téméraires des hommes
osaient franchir ce défilé, car jamais passage aussi étroit n’aura eu autant
d’importance et ne s’est avéré aussi stratégique que celui des Bibans.
Les
Bibans sont deux défilés étroits creusés dans la roche par les eaux pendant des
siècles et des millénaires au creux des montagnes auxquels ils ont fini par
donner leur nom. Dans cette région de la basse Kabylie, on a toujours désigné
ces fameux passages sous le nom de «Thiggura»
(les portes). La grande, «thaggurt
thamuqrant», se situe sur le cours de oued Chebba et la petite, «thaggurt thamezyant», se trouve un peu plus à l’est, sur le cours de
oued Bouqtone qui descend des hauteurs de Boni. Les
deux affluents se rejoignent pour former l’Amarigh
aux eaux saumâtres qui va à son tour rejoindre le cours du Sahel-Soummam.
C’est
ce nom de «thiggura» qui
donnera El Bibane en arabe puis les Portes de Fer à
l’arrivée des Français. Plusieurs chroniqueurs et historiens s’accordent à dire
que le fer est sans doute dû à la présence de ce minerai en grandes quantités
dans ces montagnes que les romains ont surnommé «Mons ferratus». Cependant, s’il y a un village dont le nom est
fortement attaché à ce passage, c’est bien celui des Ath Sidi Braham . Ce qui frappe en premier le
visiteur qui arrive dans ce village adossé à une montagne faisant face à ses
fameuses Portes de Fer, c’est son architecture très ancienne. A l’heure où le
béton a tout envahi, beaucoup de demeures construites en terre et petites
pierres bien alignées sont restées telles qu’elles ont été construites il y a
un siècle ou deux, voire plus dans ce chef-lieu de commune relevant de la daïra
de Mansoura dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj. Au
milieu de ses vieilles maisons s’élève une mosquée à la façade tout en arcades
dans ce style berbéro-andalou typique, mais son minaret est très particulier.
Il a la forme d’un phare ou d’un moulin à vent qui aurait perdu ses
hélices. (..........)
Si les
Portes de Fer font référence aux fameux défilés, les Bibans évoquent beaucoup
plus la chaîne de montagnes qui s’étire le long de la rive droite de la Soummam
jusqu’à Bordj Bou Arréridj. Ce passage stratégique,
relevant du royaume indépendant des Ath Abbes fondé au XVIe siècle par
Abdelaziz Amokrane, a longtemps été sous le contrôle de leur citadelle, la
fameuse Qalaâ de Beni Abbès.
Les Ottomans qui étaient obligés de l’emprunter quand ils se déplaçaient entre
Alger et le beylik de Constantine devaient payer une dîme en argent ou en
nature. Durant la conquête de l’Algérie par la France, ce passage jouera
encore une fois un rôle crucial en 1939. Jouant sur les rivalités entre les
descendants des Ath Mokrane, gardiens des lieux,
divisés alors en deux factions rivales, la France va reconnaître Ahmed El Mokrani, (le père du futur chef de la révolte de 1871)
comme khalifa au détriment de son cousin Abdesslam,
allié de l’Emir Abdelkader. Ahmed El Mokrani va
donc autoriser les Français à franchir les Portes et une
colonne de l’armée française conduite par le Duc d’Orléans et le
maréchal Vallée, va franchir le fameux défilé par la Porte de Bouqtone et établir une première liaison terrestre entre
Alger et Constantine. Aujourd’hui, c’est par la Grande Porte que
s’effectue l’essentiel du trafic routier et ferroviaire d’Est en Ouest. C’est
par la Grande Porte que le chemin de fer entre Alger et Constantine est passé
dans les années 1880 puis la route impériale numéro 5 construite sous le règne
de Napoléon III, et qui est aujourd’hui la RN05. Le dernier grand axe sera
l’autoroute Est-Ouest dont le tronçon est inauguré en 2010. C’est la principale
porte de l’Est vers l’Ouest et des montagnes vers les plaines des
Hauts-Plateaux. C’est la frontière naturelle entre pays berbérophone et pays
arabophone. Quand les Ottomans traversaient ce détroit gardé depuis toujours
par les tribus locales, ils devaient s’acquitter d’une taxe et devaient baisser
leur étendard en signe de soumission. Quant aux Romains, d’après l’historien
Mouloud Gaïd, ils ont toujours évité ce coupe-gorge à
cause des incessantes attaques de ces mêmes tribus locales, préférant passer
par Auzia, l’actuel Sour El Ghozlane
pour aller vers l’Est.