COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES-
GUERRE UKRAINE/SYSTEME MEDIATIQUE OCCIDENTAL
Le système médiatique
occidental et la guerre en Ukraine
© Djamel Labidi, universitaire/Le Quotidien d’Oran, jaudi 14 avril 2022
Au temps de l'URSS, les pays d'Europe de l'Est étaient
qualifiés de satellites de Moscou. Aujourd'hui, les pays occidentaux ont pris
la relève, en orbite autour des USA. C'est tellement visible que c'en est
indécent. Même pas une critique, même pas une réserve. Un suivisme aveugle, y
compris contre les intérêts mêmes de leurs propres pays.
Les États Unis, qui sont autonomes énergétiquement disent qu'il faut l'embargo
sur le gaz, le pétrole, et le charbon russes. Les pays occidentaux obéissent au
doigt et à l'œil. Ils s'évertuent même à trouver des solutions qui agréent les
États Unis, gaz liquide, énergie verte etc., malgré des coûts bien plus élevés.
Les américains disent non à Nord Stream 2, le deuxième gazoduc. Les allemands
s'exécutent. Et s'il y a quelques hésitations dans les rangs, Joe Biden se
déplace lui-même ou bien, pour faire pression sur les dirigeants hésitants, on
déclenche l'une après l'autre, des campagnes intenses contre les «atrocités russes», «Marioupol», puis Boutcha
etc.. auxquelles correspondent chaque fois, comme un
mécanisme bien huilé, un nouveau train de sanctions, et une nouvelle escalade
dans l'armement de l'Ukraine.
C'est toujours la même chose
En fait, c'est le même procédé qu'ont toujours utilisé les États-Unis. Dans la
première guerre en Irak, le mensonge des nouveaux nés tués dans leurs
incubateurs avait permis une campagne médiatique hystérique et le déclenchement
immédiat des hostilités. Dans la deuxième guerre en Irak, cela avait été le
mensonge des armes de destruction massive . Bilan de
ces deux mensonges, un million de morts en Irak .
En 2011, le mensonge de massacres de masse à Benghazi avait servi de prétexte à
l'agression contre la Libye. Les États Unis ont déjà fait cela, pourquoi ne le
referaient-ils pas en Ukraine? C'est chaque fois le
même scenario: «crimes de guerre»» et atrocités
attribuées à l'adversaire, médiatisation intense qui sidère l'opinion
occidentale et qui vise à imposer l'idée qu'on ne peut attendre pour agir puis
intervention.. Lorsque le mensonge est dévoilé, il est toujours trop tard, le
mal a été fait. Personne ne parlera en Occident de juger les menteurs. C'est
chaque fois la même chose et cela recommence chaque fois.
Il est étrange de voir des États du monde non occidental, il est vrai en nombre
de moins en moins grand, tomber encore dans le piège ,
comme cela vient d'avoir lieu lors du vote de suspension de la Russie du
Conseil des droits de l'homme de l'ONU, exactement comme cela avait été fait
pour la Libye en 2011 suite aux mensonges dont on vient de parler. Mais il est
vrai que les gouvernements sont une chose, et les peuples autre chose. Les
peuples du monde non occidental ont, eux, depuis longtemps compris et n'accordent
plus aucune crédibilité au récit étatsunien.
Que reste-t-il du journalisme ?
Propagande, guerre idéologique, c'est tout naturellement que le système
médiatique occidentale s'est vu confié, de plus en plus, ces dernières
décennies, une mission de guerre totale. L'entière subordination des pays
européens aux États Unis est la plus apparente, elle est la mieux révélée dans
le comportement des médias occidentaux. Ici le suivisme est total:
les États Unis produisent une analyse de la situation militaire en Ukraine, ou
bien sur l'impact des sanctions économiques, ou bien encore sur les oligarques
russes et même sur la santé mentale de Vladimir Poutine, et tous les medias occidentaux suivent comme un seul homme. La ligne
éditoriale dans tout l'Occident est donnée par les États Unis. Le quatrième
pouvoir, celui de la presse, est totalement subordonné au pouvoir politique,
sans même qu'il ne reste une distance, ou qu'on tente même de sauver les
apparences, comme c'était le cas naguère.
Le journalisme occidental plonge alors dans la déchéance professionnelle.
Lorsqu'un journaliste, un responsable de l'information d'une grande chaine de
télévision s'aligne immédiatement, comme un soldat aux ordres, sans discussion,
sans distanciation, sur des déclarations de caractère politique concernant des
évènements aussi graves que les atrocités de Boutcha
et autre, en ne faisant pas la différence entre la politique et l'information,
que reste-t-il du journalisme et de la recherche de la vérité ?
Lorsque tous en chœur répètent l'argument imbécile que les pays européens, en
achetant leur énergie à la Russie, «financent ainsi la guerre contre
l'Ukraine», sans songer un instant qu'on pourrait dire, tout autant, que la
Russie entretient ainsi la puissance industrielle et économique de ses
adversaires, et donc leurs moyens de soutenir militairement et financièrement
le pouvoir en Ukraine, que reste-t-il de l'esprit critique ? Lorsque Joe Biden
utilise les mots de «boucher», de «dictateur», de «criminel de guerre»
concernant Vladimir Poutine, et que tous les journalistes se croient dès lors
autorisés à cette terminologie, que reste-t-il de l'indépendance d'esprit.
Lorsque des journalistes regardent les images de Boutcha
et qu'ils ne se posent aucune question à ce sujet, pas même sur ces corps
étrangement exposés comme si les russes avaient voulu s'accuser eux-mêmes , et
lorsque pour le drame de la gare de Kramatorsk le crime est signé par une
inscription russe, «pour nos enfants» bien en évidence sur le missile, et que
personne sur le plateau n'est même pris d'un scrupule, que reste-t-il alors du
doute systématique du journaliste ? lorsque des journalistes parlent très vite
de la «nécessité d'enquêtes», pour immédiatement après considérer tout cela
comme des «faits avérés», et qu''un journaliste sur le plateau s'exclame que
«c'est trop évident et qu'il n'y a pas besoin d'enquête» que reste- il de la logique et de la cohérence ?,
Lorsqu'après la campagne médiatique intense sur le bombardement de la maternité
de Marioupol, le premier témoin, cette femme enceinte , influenceuse sur
Internet, la même qui avait été adulée et largement médiatisée au départ, dit
maintenant que c'est un bataillon ukrainien Azov qui a bombardé la maternité,
et que, des journalistes, d'un seul élan, disent alors que son témoignage est
désormais suspect et «qu'elle a dû subir des pressions pour parler ainsi», il y
a vraiment problème dans l'information occidentale.
Lorsque on évite soigneusement, pratiquement partout, sur tous les plateaux, et
sur les journaux, de dire, au sujet du martyr des habitants de Marioupol, qu'il
y a , là, des combats acharnés qui opposent l'armée russe aux bataillons Azov
retranchés dans la ville, on ne perçoit plus alors que l'image absurde d'une
ville bombardée apparemment sans raisons . Qu'est-ce qu'il reste alors du journalisme
d'information?
Il ne reste plus qu'une propagande partisane, , utilisant tous les ressorts
émotionnels , pour mobiliser l'opinion occidentale dans l'effort de guerre et
les sacrifices qui lui seront de plus en plus demandés.
Signe des temps, c'est sur les grandes chaines d'information non occidentales,
notamment les grandes chaines d'information arabes, Al Arabiya,
Al Jazeera, qu'on trouve actuellement le respect de la déontologie
professionnelle: ton sobre, distanciation, présentation des informations en
provenance de chaque protagoniste, confrontation des points de vue contraires,
compte rendu scrupuleux des déclarations officielles, sans coupure ou censure
comme le font les chaines occidentales concernant Vladimir Poutine et autres
dirigeants russes. Les informations militaires en provenance des deux camps
sont données. On assiste en direct aux réunions du Conseil de sécurité de l'ONU
etc... Les correspondants de guerre le sont véritablement, sur le terrain, et
non ces correspondants qui a l'abri dans les zones calmes interviewent des refugiés. A l'inverse, ceux d'Al Jazeera prennent
d'ailleurs des risques qui font frémir.
Sur Al Jazeera, un conseiller de Joe Biden disait qu'il fallait traîner
Vladimir Poutine devant le Tribunal Pénal International (TPI) à quoi la
journaliste lui a fait remarquer: «Mais vous avez
toujours refusé de reconnaître la compétence de ce Tribunal pour les États
Unis, comment pouvez- vous la réclamer pour d'autres ?» Le conseiller en est
resté sans voix. Peut-on imaginer actuellement un tel dialogue sur une chaîne
occidentale. Et pourtant il s'agit de simple objectivité.
Certes ces médias, eux aussi, peuvent tomber dans la désinformation dans des
circonstances semblables, lorsque le poids du pouvoir politique devient destructeur
pour le métier de journaliste. L'exemple du rôle d'Al Jazeera pendant la crise
libyenne le prouve. Mais ceci mériterait d'autres développements.
Peut-être une rage
L'expression «effort de guerre» occidental, employée
plus haut, se justifie lorsqu'on voit le développement rapide du soutien
militaire et financier apporté au gouvernement ukrainien. N'est
-il pas en train de transformer de plus en plus les États Unis et les
Européens qui les suivent en belligérants. Les États-Unis, les pays européens,
et leurs medias disent et répètent qu'ils ne
participent pas à la guerre. Peut-on être plus impliqués qu'ils ne le sont, à
part envoyer des troupes . Il ne s'agit plus de
l'Ukraine, il s'agit de leur guerre, à voir leur mobilisation totale. Les
Occidentaux jouent sans arrêt «au chat perché» sur une
ligne de plus en plus ténue entre le soutien militaire et la participation
directe. Même sur le plan économique, le discours est devenu de plus en plus
violent de plus en plus haineux. Joe Biden promet désormais de ruiner
l'aviation commerciale russe, de l'empêcher de travailler. Il cible la famille
même de Vladimir Poutine en dehors de toute retenue. Jusqu'où va-t-on aller? C'est comme s'il y avait, peut-être, désormais une
rage, celle d'être impuissant, celle pour la première fois depuis la guerre
froide, de ne pas imposer leur loi, qui obscurcit l'entendement des dirigeants
américains et qu'ils transfèrent à leurs alliés. Tout cela est extrêmement
dangereux pour le monde.
Et tout cela se répercute et se reflète aussi dans le système médiatique qui
lui-même pousse sans arrêt à l'escalade, qui met de plus en plus le curseur un
peu plus loin, au fil des déclarations politiques américaines. Ce système est devenue une arme essentielle de la guerre. Comme le ferait une
préparation d'artillerie sur un champ de bataille, le bombardement médiatique
précède toujours chaque escalade qui va être faite, tant sur le plan de la fournitures d'armes de guerre que de sanctions
économiques. C'est cet asservissement total au nationalisme occidental qui peut
expliquer sa dégradation continuelle.
On pourrait dire que cela a toujours été ainsi dans les guerres, qui sont aussi
des guerres de propagande. Mais il y a là quand même quelque chose de nouveau.
Naguère, il y avait dans les médias et la presse occidentale des positions
critiques par exemple sur la guerre du Vietnam, y compris aux États Unis, sur
l'invasion de l'Irak, par exemple dans des médias américains et français. Les
exemples du New York times ou du journal «Le Monde»
sont connus . Mais désormais, cela n'existe plus, y compris pour ces deux
institutions du journalisme occidental . Il n'y a plus
que la propagande, brute, sommaire, unilatérale, consensuelle
, une seule vision, une seule approche, aucune confrontation de points
de vue divergents. Si on débat, c'est seulement pour mieux prouver son zèle
contre la Russie, présenter les meilleurs arguments.
On imagine l'énorme pression qui s'exerce sur les journalistes occidentaux qui
veulent rester professionnels et défendre l'honneur de leur profession. Ils ont
souvent à affronter une attitude hostile voire agressive sur les medias mainstream. Beaucoup sont alors obligés de se
réfugier sur des sites web ou des medias alternatifs.
Leur admirable résistance vient prouver qu'il existe en Occident, y compris
chez les journalistes, bien des forces décidées à défendre les traditions
historiques de ce métier.
« On ne nous dit pas la vérité »
Les «médias mentent», telle a été, de plus en plus, le
sentiment majoritaire dans la plupart des pays occidentaux notamment depuis la
fin de la guerre froide et la domination sans partage des États Unis. En fait,
si aujourd'hui la pression énorme de la propagande de guerre donne l'impression
qu'en Occident il y a une adhésion au système médiatique, cela n'est qu'une
apparence. Cette déchéance du système médiatique était annoncée. La méfiance,
l'hostilité envers le système médiatico-politique
s'est développée ces dernières décennies dans les sociétés occidentales et est
désormais profondément ancrée. Certes, elle est aujourd'hui atténuée par le
nationalisme occidental mais elle est toujours là en arrière-plan. Cela
explique le succès d'hommes comme Donald Trump ou Éric Zemmour en France, qui
ont fait campagne sur une dénonciation violente du système médiatique tout en
orientant cette dénonciation, vers des thèmes xénophobes et populistes..
On s'est un peu partout, ces dernières années, en Occident, attaqué aux
journalistes, ceux des grandes chaines notamment, CBS, LCI etc. .et parfois
violemment physiquement. Dans l'attaque du Capitole, les journalistes se
cachaient pour échapper à la foule. Dans le grand mouvement des «Gilets jaunes» en France, l'hostilité aux médias
s'exprimait de manière très forte, des chaines comme LCI (encore elle... )
étaient expulsées par les manifestants.
L'une des causes du succès des thèses conspirationistes
est peut-être là, dans la conviction que «On ne nous dit pas la vérité», comme
c'est le sentiment d'une grande partie de la population. Cette méfiance à
l'égard du système médiatique, cette dégradation profonde de son image, se
reflètent notamment dans l'Internet. Il est devenu en grande partie un système
d'information alternatif, où se forme une opinion en opposition avec le système
médiatico-politique.
L'idée qu'on peut créer l'opinion à partir des médias s'est, en fait, avérée
fausse. Le développement d'une opinion hostile aux medias
dominants le prouve. Il n'est pas possible en effet d'orienter durablement les
gens en dehors des réalités qu'ils vivent, et qui restent, à la fin, le facteur
décisif de formation de l'opinion. C'est une bonne nouvelle.
Si le récit des médias occidentaux, basé sur le nationalisme occidental, peut
donc encore tromper en Occident, il est devenu totalement discrédité dans le
reste du monde. Plus personne n'y croit ou n'y accorde un quelconque crédit. Il
s'agit là d'une crise profonde de l'information occidentale.
Une des raisons essentielles, peut-être de la dégradation graduelle du système
médiatique occidental c'est qu'il donne une conscience inversée de la situation
du monde. L'Occident se pense être le monde, la «communauté
internationale» comme il se nomme alors que son obsession hégémonique l'éloigne
toujours plus de l'immense majorité des peuples et rend l'image qu'il a de
lui-même peu crédible. Mais il la garde quand même. Dans leur déni des
nouvelles réalités du monde, il est impossible, aux medias
occidentaux de produire une information sérieuse. Elles s'auto-intoxiquent.
Cette crise ukrainienne révèle tout cela de façon inattendue. Si on prend le
critère des sanctions économiques, l'Occident n'a pu y faire participer, aucun
autre pays, autre qu'occidental, même symboliquement. Au fond, ce n'est pas la
Russie qui est isolée mais l'Occident. Les occidentaux ont voulu, cette fois ci , créer, eux , un rideau de fer et l'abattre sur la
Russie. Mais ce n'est plus possible, les temps ont changé.