HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI FABRICE
RICEPUTI- « ICI,ON NOYA LES ALGERIENS..... »
Ici on noya les Algériens . Essai de Fabrice Riceputi. Editions Media Plus,
Constantine, 2021,287 pages,1200 dinars
Même en Algérie, pour
des raisons plus politiciennes qu’historiques, on avait, jusqu’à un certain
moment, mis entre parenthèses le drame vécu par les dizaines de milliers
de manifestants Algériens (trente mille ?) , ayant défilé pacifiquement
(sans armes et parfois accompagnés de leurs familles dont les enfants…. ) au
cœur de Paris…..pour , alors, seulement dénoncer le couvre-feu imposé à la
seule communauté par le Préfet de Paris de l’époque (Michel Debré ,
farouche partisan de l’Algérie française, étant alors premier ministre de
Charles de Gaulle) ….le sinistre Marcel Papon ( celui-là même qui avait
envoyé aux camps de concentration nazis , massivement, les juifs de France….et
qui, par la suite, récupéré,devint, en tant que
Préfet ,durant la guerre de libération nationale, le bourreau
du Constantinois) . Nommé à Paris en tant que Préfet de police,en mars 1958 , il avait été alors chargé de
mettre sur pieds des unités de harkis dirogé dpar des officieers supérieurs
des Sas, « importés » d’Algérie, qui devaient
« combattre » , tout en s’appuyant sur la police et la
justice locales , par tous moyens (eux aussi « importés » comme
la torture et les exécutions sommaires) , la « rebellion ».
Date : 17 octobre
1961. 20 h 30. A cinq mois de la fin de la guerre. Onze mille personnes sont
raflées, brutalisées (par dix mille agents bien armés) et détenues dans des
« camps de regroupements » improvisés .
Plusieurs centaines de personnes (dont le
petite Fatima Beddar , âgée à peine de 15 ans,
retrouvée plus tard noyée dans le canal Saint Denis) sont frappées à mort
et « noyées par balles » dans la Seine. Bilan OFFICIEL : Deux (2) morts..Un
mensonge d’Etat…..qui va durer plusieurs dizaines d’années. En realité, 246 décès dont 74
non identifiés…..tous les crimes ayant abouti plus tard à des
« non-lieux ».
En France même, ce fut
la chape de plomb sur les archives policières et judiciaires……pour protéger
entre autres la police (et l’armée puisque les harkis « détachés »
faisait partie de l’armée) et, aussi, Maurice Papon. Mais voilà qu’un
« simple citoyen » , n’ayant pas vécu la
guerre (né en 1951) , simple éducateur à la Protection judiciaire de la
jeunesse, va se faire chercheur, en « héros moral »
(Mohamed Harbi) , « Pionnier de la mémoire de la
guerre d’Algérie » (Catherine Simon) . Jean -Luc Einaudi (décédé en mars
2014) , durant trente ans, va surmonter une foultitude
d’obstacles : omerta, archives verrouillées,menaces,
procès (dont un intenté par…..Maurice Papon duquel il sortira vainqueur grâce à
ses révélations qui « enfoncèrent » le Vichyste protégé par
l’amnistie liée à la guerre d’Algérie,) ….pour faire connaître et
reconnaître le « crime d’Etat ». Lequel avait été suivi le 8 février
1962 par le massacre (neuf morts , tous
« français » ) au métro Charonne (une manif non violente anti-oas et pour la paix initiée , entre autres, par le Pc et la
Cgt). Son premier livre (Il en a fait paraître 17 pour la plupart consacrés à
la guerre d’Algérie ) , paru en octobre 1991, La
bataille de Paris , dédié à Jeannette Griff
, neuf ans, déportée de Bordeaux à Auschwitz en septembre 1942 et à
Fatima Bedar , « allait modifier
radicalement le rapport de force dans l’affrontement entre le déni officiel et
l’exigence de vérité » ( Edwy Plenel, 23 février 2021) . Un déni, qui ,
hélas, perdure bien que , depuis, la massacre du 17 octobre est
rappelé au souvenir des visiteurs par une plaque apposée sur un des quais de la
Seine, celui faisant face à la Préfecture de police. Hélas, si les Français
savent lire, peuvent-ils comprendre les drames racistes, esclavagistes et
colonialistes ? On en doute.
Les Auteurs : Fabrice Riceputi : Historien et enseignant, il anime les
sites « histoirecoloniale.net » et
« 1000 autres.org », consacrés à
l’actualité des questions coloniales et post-coloniales et à la guerre d’indépendance
de l’Algérie.
Edwy Plenel :Texte inédit
Gilles Manceron : Préface
Table des
matières : Une passion décoloniale
(Edwy Plenel)/ Préface à la première édition (Gilles Manceron)/Prologue
Cour d’assises de Bordeaux, Octobre 1997/ La bataille d’Einaudi (4 chapitres)
/La bataille des archives (3 chapitres) / La reconnaissance et ses enjeux (2
chapitres)
Extraits : « Le 17 octobre
1961 est d’abord une manifestation légitime contre une décision administrative
sans précédent depuis le régime de Vichy : un couvre-feu raciste, fondé
sur des critères ethniques » (Edwy Plenel,p 9), « L’histoire
algérienne de la France, qui touche directement des millions de Français-es, leurs proches et leurs descendances-parce
qu’ils en viennent, parce qu’ils en sont issus, parce qu’ils y ont participé,
parce qu’ils en ont été témoins ou acteurs, etc- ,
attend encore
son ubuntu (note :
terme bantou désignant « la qualité inhérente au fait d’être une personnes
avec d’autres personnes …. ; terme intégré au premier texte constitutionnel
sud- africain, de 1993, par Nelson Mandela et Desmond Tutu » (Edwy Plenel, p22), « Dans
les années 2000, plusieurs travaux d’historiens ayant eu accès notamment aux
archives policières et judiciaires souligneront que cette période fut,
pour les Algériens de France, celle d’une véritable « terreur
d’Etat, coloniale et raciste » (p102), « Dans les années 1990,
l’« interdiction » des archives politiquement gênantes est,
avec l’amnistie de 1962, l’autre pilier légal sur lequel repose l’omerta française
sur les crimes coloniaux » (p157), « (17 octobre 1961). Ce crime
colonial n’appartient pas seulement à une séquence historique forclose en
1962.Événement matriciel, selon le mot de Pierre Vidal-Naquet, il montre, à la
charnière des ères coloniale et postcoloniale, l’affreuse fabrique par la
République de pratiques racialisées, notamment policières , qui sont très loin
d’avoir disparu avec la fin de la guerre d’Algérie » (p223),
« La véritable pratique identitaire qui agite actuellement les « élites »
politico-médiatiques françaises est chargée de lourdes régressions
politiques » (p283)
Avis : Un livre
incontournable pour bien savoir ce qui s’est passé en octobre 61 à Paris…..et pour comprendre les pratiques, actuelles,
du contrôle racialisé. Pour connaître, aussi, les luttes menées, hier et
aujourd’hui encore, par des intellectuels
(chercheurs universitaires, journalistes, hommes de foi…) français en faveur de notre pays et de la communauté
algérienne résidente en France
Citations : « 17 octobre
1961 : Même si une telle occultation ne pouvait réussir à terme, vis-à-vis
d’un événement qui, comme l’ont écrit les deux historiens britanniques Jim
House et Neil MacMaster ,a été la répression la
plus meurtrière d’une manifestation pacifique de le toute l’histoire
contemporaine de l’Europe occidentale » (p31), « La liberté de la
recherche historique doit avoir en effet pour corollaire une certaine tolérance
dans l’appréciation de ses résultats » (p153), « C’est durant la
guerre d’Algérie que s’est généralisée en France la pratique du contrôle
racialisé » (p270)