HISTOIRE- ETUDES ET ANALYSES-ALGERIE/MÉMOIRE/
BENJAMIN STORA, MARS 2022 (II/II.EXTRAITS)
Quelle a été
l'évolution du discours des présidents français à ce sujet ?Pour le général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry
Giscard d'Estaing et jusqu'à François Mitterrand, le discours a été très
simple. Il s'est focalisé sur le partenariat économique avec l'Algérie, pays
qui restait très important, notamment avec l'exploitation du gaz et du pétrole
dans le Sahara. Il y a aussi eu des accords sur la gestion des migrations entre
les deux pays.
Au début des années 2000, le discours change avec Jacques Chirac. En 2005,
l'ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, condamne pour la
première fois les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata [répressions
sanglantes survenues le 8 mai 1945, en Algérie, pendant des manifestations
indépendantistes]. En 2008, à Constantine, Nicolas Sarkozy condamne le système
colonial. En 2012, à Alger, François Hollande reconnaît les souffrances
infligées par la colonisation. Ces discours sont des gestes de reconnaissance
de l'histoire, ils condamnent le colonialisme, mais sans nommer des actes
précis.
Pour le général de Gaulle, Georges
Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et jusqu'à François Mitterrand, le discours
a été très simple. Il s'est focalisé sur le partenariat économique avec
l'Algérie, pays qui restait très important, notamment avec l'exploitation du
gaz et du pétrole dans le Sahara. Il y a aussi eu des accords sur la gestion
des migrations entre les deux payAu début des années
2000, le discours change avec Jacques Chirac. En 2005, l'ambassadeur de France
en Algérie, Hubert Colin de Verdière, condamne pour la première fois les
massacres de Sétif, Guelma et Kherrata
[répressions sanglantes survenues le 8 mai 1945, en Algérie, pendant des
manifestations indépendantistes]. En 2008, à Constantine, Nicolas Sarkozy
condamne le système colonial. En 2012, à Alger, François Hollande reconnaît les
souffrances infligées par la colonisation. Ces discours sont des gestes de
reconnaissance de l'histoire, ils condamnent le colonialisme, mais sans nommer
des actes précis.
Emmanuel Macron
marque-t-il une rupture ?Contrairement à ses prédécesseurs, Emmanuel Macron
nomme des personnes et des lieux. Il reconnaît l'assassinat de Maurice Audin [ (………..) par le système colonial
français, l'assassinat d'Ali Boumendjel, avocat et militant nationaliste. Il
reconnaît la fusillade de la rue d'Isly, le 26 mars 1962 contre les Européens,
le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, l'abandon des harkis…
Il y a un
changement de tonalité opéré par des choses concrètes. Cela permet d'avancer de
façon pratique dans la connaissance de l'histoire, c'est un changement
important. Depuis la remise de mon rapport [sur "les mémoires de la
colonisation et de la guerre d'Algérie"] en janvier 2021, il y a eu plus
d'actes concrets qu'en soixante ans. Ces gestes sont une réponse à des
mouvements citoyens, des associations d'enfants d'immigrés, de harkis, de
rapatriés, de pieds-noirs, qui se sont battues durant des années pour qu'on
reconnaisse ces événements et ces personnalités.
"Ces
reconnaissances permettent de nommer les choses. Comme disait Albert Camus :
'Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde'."
Benjamin
Stora
à franceinIl y a eu aussi l'ouverture plus large des archives, résultat d'une bataille mémorielle
livrée par les historiens depuis très longtemps. Bien sûr, il reste encore
beaucoup de choses à faire. Dans mon rapport, j'ai proposé également de se
pencher sur les essais nucléaires réalisés en Algérie et leurs effets. Je
propose d'améliorer l'entretien des cimetières européens en Algérie, de rédiger
un guide des disparus pendant la guerre.
Quel est
l'état de la souffrance des personnes qui ont vécu la guerre et de leurs
descendants ? Vous parlez de "communautarisation des mémoires"
et de "compétition victimaire".Depuis la fin de la guerre, il n'y a pas eu un
discours fort et commun sur la guerre, mais des lois d'amnistie, qui ont
provoqué un fort ressentiment. Chaque groupe s'est fabriqué une identité à
partir d'un personnage, une date, mais il n'y a pas eu de récit commun. Des
fractures existent même au sein de ces groupes.Aujourd'hui,
nous sommes certes sortis de l'oubli, mais pour tomber dans une sorte de
"guerre des mémoires" qui s'est faite dans le désordre et dans le
repli identitaire. Je lis aussi cette situation comme l'affaiblissement des
batailles citoyennes qui profitent à un groupe particulier. On est désormais
plus habitué à être dans un statut de victime que de combattant."Chaque groupe souhaite qu'on reconnaisse sa
vérité de manière exclusive au détriment des autres. Le grand danger est de ne
pas trouver de passerelles, de séparer les mémoires."…….
Benjamin
Stora
Comment
cette mémoire est-elle traitée en Algérie ?Cette mémoire de la guerre s'enracine
dans un temps très long, de plus de 130 ans, depuis le début de la
colonisation en 1830 jusqu'en 1962. La guerre d'indépendance y est appelée
"révolution". La mémoire est anti-coloniale,
elle se caractérise par la dépossession des frontières, des massacres, des
exactions, des déplacements de populations. Contrairement à la France, il n'y a
pas d'aspect positif, c'est une mémoire douloureuse.Après
la guerre, différentes mémoires se sont confrontées. Il y a eu d'un côté ceux
qui ont été les pionniers du nationalisme algérien – Messali Hadj, Ferhat
Abbas – et de l'autre ceux qui ont déclenché la guerre – Mohamed Boudiaf,
Krim Belkacem – et qui n'ont pas eu leur place après l'indépendance et ont
été écartés de la scène politique. L'Algérie doit se réapproprier le travail
des pères fondateurs de la guerre et du nationalisme algérien.Elle doit aussi voir comment elle situe la
mémoire française dans son histoire, trouver une place pour les Européens
d'Algérie, les Juifs indigènes (au sens de l'époque) séparés des musulmans par
le décret Crémieux. C'est un travail très difficile dont on a commencé à avoir
des traces dans les revendications du mouvement Hirak.
L'Algérie
place la question de l'excuse comme préalable à toute discussion avec la
France. Qu'en pensez-vous ?Je ne suis pas contre le principe de l'excuse, mais en
général c'est utilisé comme un argument idéologique qui empêche concrètement
d'avancer. Tous les grands discours de condamnation ou d'excuses que l'on a pu
observer dans d'autres guerres n'ont pas permis de régler l'héritage du passé.
Les Japonais ont fait beaucoup d'excuses aux Chinois, aux Coréens, après la
Seconde Guerre mondiale, les Américains aux Vietnamiens après la guerre du
Vietnam. Cela n'a pas empêché les mémoires de saigner, les revendications de
continuer à s'exprimer………..
Benjamin
Stora
à franceinfo
Il y a des gens qui ne peuvent exister
qu'en tenant c