COMMUNICATION-
FORMATION CONTINUE- CONSULTING (France)(II/II)
Qui sont les consultants et pourquoi l’Etat fait
appel à eux, en 7 questions
Par Manon Romain/www.lemonde.fr, jeudi 17 mars 2022
5 – Quelle est la
plus-value des consultants ?
Les consultants sont prisés pour leurs capacités à
réunir, synthétiser et analyser un grand nombre d’informations de façon très
efficace. A la faveur des moyens alloués par leur cabinet, ils peuvent avoir un
accès privilégié à des ressources spécialisées, ou faire appel à des experts
extérieurs pour certaines analyses.On
justifie aussi le recours aux consultants par leur positionnement extérieur,
qui leur permettrait de formuler des avis plus neutres que les personnes
directement impliquées. Daniela Restrepo ajoute
que « ce qui se vend, c’est surtout l’expérience des consultants
qui ont vu des centaines d’entreprises dans des cas similaires ». Dans
certains cas, le recours au conseil est plus politique. « Avoir un
rapport de McKinsey ou du BCG qui accrédite sa position fait toujours bon effet
en conseil des ministres, relève Benjamin Polle,
journaliste pour le site spécialisé Consultor. Et cela permet aussi de
se dédouaner en cas d’échec de la politique conseillée. »
6 – Combien ces
missions de conseil coûtent-elles ?
Il est difficile de chiffrer le coût total d’une
mission. Selon sa durée et le niveau d’expertise requis, il peut aller de quelques
milliers d’euros – comme cette mission de Deloitte
pour l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes – à plusieurs
millions d’euros – comme cette mission de
10 millions d’euros d’EY pour accompagner la direction informatique de
Pôle emploi.D’après les éléments transmis par le
gouvernement à la récente commission d’enquête sénatoriale, la journée d’un
consultant dans le public est facturée en moyenne autour de
1 500 euros TTC, même si le tarif peut bondir chez les cabinets les
plus prestigieux (3 352 euros TTC par jour et par consultant pour une
mission de Roland Berger, par exemple). A titre de comparaison, la commission
estime qu’un fonctionnaire de catégorie A+ coûte en moyenne 362 euros TTC
par jour à l’Etat.
7 – Qui sont les
consultants ?
Au sein des grands cabinets de conseil, le pouvoir se
concentre dans les mains des partners ou
« associés », qui dirigent et possèdent collectivement l’entreprise.
Les cabinets s’organisent ensuite par strates hiérarchiques, selon l’expérience.Dans les cabinets les
plus prestigieux, on ne recrute que dans les meilleures grandes écoles (HEC,
Sciences Po, Polytechnique, etc.), avec un processus très sélectif : « Il
y a jusqu’à huit entretiens différents, où on teste non seulement leurs
capacités quantitatives, mais aussi relationnelles », relate Benjamin Polle :
« Vont-ils savoir adopter le bon ton, la bonne
manière de parler, de se présenter ? Il faut avoir les codes. »
Daniela Restrepo note
toutefois que les cabinets « s’ouvrent de plus en plus aux profils
atypiques », comme le sien – elle a suivi une formation de philosophie
à l’Ecole normale supérieure avant d’intégrer EY. On recherche avant tout des
personnes capables de synthétiser rapidement des situations très complexes dans
des domaines nouveaux.Ces
jeunes diplômés à la tête bien faite mais avec une formation généraliste sont
attirés par la diversité des missions proposées qui leur ouvrira les portes des
industries de leur choix : « C’est la classe prépa de la vie
professionnelle », résume Benjamin Polle.
Les cabinets offrent aussi une rémunération très avantageuse, autour de 60 000 euros brut annuels en sortie
d’école, en
augmentation ces dernières années. Quelques-uns de ces
« juniors » passeront au niveau supérieur, dans un écosystème très
stratifié, avec une rémunération et un niveau de responsabilité croissant
rapidement. D’autres sont recrutés par les clients qu’ils servaient en tant que
consultants. Ce processus d’écrémages successifs s’accompagne d’une
spécialisation progressive vers un domaine – énergie, santé, grande
distribution, etc. – ou un champ d’expertise technique – restructuration
des entreprises, finances, achat-vente d’entreprises, etc. Les cabinets
recrutent parfois aussi en externe, en débauchant des profils très
expérimentés. Dans le privé, il n’est pas rare que les cabinets profitent d’une
crise dans une entreprise pour reprendre les dirigeants en partance. Dans la
sphère publique, nombre de hauts responsables se sont recyclés dans le conseil
privé, à l’image du général Pierre de Villiers, recruté par
BCG après sa démission de l’armée, ou d’Axelle Lemaire, l’ancienne secrétaire
d’Etat chargée du numérique, qui avait rejoint Roland
Berger en 2018. A l’inverse, beaucoup d’anciens consultants irriguent la
sphère politique, notamment dans la majorité macroniste,
comme l’a documenté le site Consultor.
C’est notamment le cas des députés La République en marche (LRM) Pierre Person
et Pacôme Rupin. Plusieurs consultants de haut niveau, comme Karim Tadjeddine (McKinsey), s’étaient par ailleurs investis dans
la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.
« Consultocratie » :
un quinquennat de conseils
Invisibles, mais omniprésents,
quelle est l’influence réelle des consultants privés dans la conduite des
affaires de l’Etat ? C’est la question que s’est posée la commission
sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques
publiques, qui rend son rapport le 17 mars. Parallèlement, Le Monde a
mené sa propre enquête, fondée sur des témoignages, des sources ouvertes et des
demandes d’accès à des documents, pour tenter de mesurer l’impact de ces
cabinets sur le quinquennat d’Emmanuel Macron.