COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE- CONSULTING (France)(I/II)
Qui sont les consultants
et pourquoi l’Etat fait appel à eux, en 7 questions
Par Manon Romain/www.lemonde.fr, jeudi 17 mars 2022
On
les savait omniprésents dans le privé : on découvre aujourd’hui que le
recours aux consultants extérieurs fait aussi partie de la routine des
ministères. Cette petite révolution remonte en grande partie à la révision
générale des politiques publiques (RGPP), cette grande entreprise d’économies
budgétaires lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy, orchestrée par le ministre
du budget Eric Woerth, lui-même ancien consultant,
main dans la main avec des cabinets de conseil.Pourtant,
l’influence acquise par ces cabinets est longtemps passée inaperçue auprès du
grand public. Jusqu’à ce qu’éclate, en pleine pandémie, la polémique sur la place de McKinsey dans la campagne de vaccination.
Depuis, le phénomène a été documenté par de multiples articles de presse, par
le livre Les Infiltrés, des journalistes Matthieu Aron et Caroline
Michel-Aguirre (Allary, 2022), et,
surtout, par le récent rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur
l’emprise des cabinets de conseil sur la sphère publique. Mais le métier de
consultant reste largement méconnu.
1 – Qu’est-ce qu’une
mission de conseil ?
Il s’agit de missions ponctuelles réalisées par des
cabinets spécialisés chez un client (une entreprise ou une administration
publique), qui estime ne pas avoir les compétences en interne pour répondre à
une problématique, ou avoir déjà tenté des approches qui n’ont pas
fonctionné. « Le plus souvent, le client recourt à un cabinet de
conseil pour répondre à une question », résume Daniela Restrepo, consultante chez EY. Ces questions peuvent être
de différents types :
- Informatique : ces missions de
conception et développement représentent de loin les marchés publics les
plus coûteux. Il s’agit de pallier les carences en matière de logiciels,
d’infrastructures (serveurs, cloud, etc.) et de personnel qualifié.
La Caisse des dépôts, le bras armé de l’Etat, a ainsi conclu en 2018
un mégacontrat de conseil d’un milliard
d’euros avec plusieurs prestataires pour appuyer son département informatique.
- Management : il s’agit de revoir
l’organisation interne du client pour espérer des meilleures performances,
ou pour former les agents à des pratiques plus modernes. En 2015, la
CAF de Bobigny a, par exemple, commandé une mission d’accompagnement à
Capgemini d’un coût de 55 000 euros, afin de gérer plus
efficacement les dossiers traités par les agents.
- Stratégie : si les frontières sont
parfois floues entre conseil en
management et conseil en stratégie, l’idée est plutôt ici de répondre à
des questions de long terme. Dans le privé, cela peut concerner le
développement de l’entreprise à l’international ou la diversification des
activités. Dans le public, il peut s’agir de réfléchir à l’évolution des
missions ou du fonctionnement d’une institution. Ce sont les missions
potentiellement le plus problématiques, car les consultants privés
pourraient influer sur une décision publique.
Quel que soit l’objet de la mission, le cabinet
missionné n’est pas censé prendre une décision à la place de son client, mais
lui fournir une aide à la décision ou des préconisations. Pour cela, « il
adopte une approche à 360 degrés intégrant les enjeux politiques,
environnementaux, etc., en n’oubliant rien », explique Daniela Restrepo. Le cabinet peut, par exemple, évaluer plusieurs
scénarios alternatifs, en exposant les pour et les
contre au client.
2 – Qu’est-ce qu’un cabinet
de conseil ?
Datant pour certains de la fin du XIXe siècle,
les cabinets de conseil sont nés pour la plupart au Royaume-Uni et aux Etats
Unis. Les mieux implantés, surnommés les « Big Three »,
sont américains : il s’agit de McKinsey & Company,
du Boston Consulting Group et de Bain & Company.
Les « Big Four » de la comptabilité et de l’audit (Deloitte, PwC, EY
et KPMG) ont eux aussi très largement développé leur activité de conseil. La
plupart des grands cabinets intervenant pour l’Etat français (A. T.
Kearney, Accenture, Bearingpoint, Eurogroup,
Oliver Wyman, Roland Berger) sont anglo-saxons, même si l’Hexagone compte
quelques cabinets influents, comme Capgemini Invent.Au
côté de ces mastodontes, dont le chiffre d’affaires se compte parfois en milliards
de dollars, une multitude de petits cabinets se spécialisent dans certaines
missions, dont l’évaluation des politiques publiques, à l’image de Citizing (évaluations socio-économiques), Missions
publiques (concertations publiques) ou Pluricité
(accompagnements de projets).Il est courant que les organisations qui manquent
de moyens confient l’analyse stratégique à de grands noms du conseil, mais
préfèrent laisser la mise en œuvre à des cabinets plus modestes ou à leurs
équipes internes pour limiter les coûts. Dans les appels d’offres publics, les
cabinets les plus prestigieux s’associent souvent à des cabinets plus
spécialisés et bien moins coûteux en tant que « cotraitants », pour
pouvoir proposer un prix compétitif.
3 – Comment le
cabinet est-il choisi ?
Dans le privé comme dans le public, c’est généralement
au plus haut niveau que se prend la décision de mandater un cabinet de conseil,
car les missions auprès de cabinets prestigieux sont très coûteuses.Dans les ministères, les hauts
fonctionnaires doivent le plus souvent passer par un appel d’offres pour
assurer une mise en concurrence des cabinets candidats et éviter le
favoritisme. Le ministère formule alors ses besoins, propose un prix indicatif
et invite publiquement les cabinets à déposer des candidatures. Après avoir
examiné les dossiers, il attribue le marché au cabinet ayant fait la meilleure
proposition sur le plan des tarifs et de la qualité.Il est toutefois possible de s’exempter du
système des appels d’offres dans le cas des marchés les moins onéreux (moins
de 40 000 euros) ou si l’urgence le justifie.
4 – Comment une
mission de conseil se déroule-t-elle ?
Une fois un contrat décroché, la direction du cabinet
constitue à sa guise l’équipe qui va réaliser la mission au sein de ses
employés. Le plus souvent, un « manageur » haut placé dans la
hiérarchie est accompagné de plusieurs consultants dont le parcours et les
compétences correspondent à la mission et au client. « Pour une
mission dans le public, les consultants qui ont fait l’ENA [Ecole nationale
d’administration] ou le Corps des mines seront contactés en
priorité », explique Daniela Restrepo.Le
« manageur » décompose alors la mission en tâches réparties entre les
membres de l’équipe, qui permettront de répondre à la question initiale :
synthèse de documents publics, analyse de documents internes du client,
entretiens avec les employés, etc.
La mission peut s’étaler, selon les cas, de quelques
semaines à plusieurs mois. Par commodité, les consultants peuvent s’installer
physiquement dans les locaux du client, afin de faciliter les interactions avec
les employés.
Les consultants peuvent rendre compte régulièrement de
leurs avancées ou présenter leurs résultats en fin de mission. Dans le conseil
en stratégie, ces résultats, appelés « livrables », prennent souvent
la forme d’un jeu de diapositives ou d’un rapport qui compile toutes les
analyses menées, les scénarios envisagés et les préconisations du cabinet.