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A. Djaâd, Abdou. B, et Mouny Berrah/Evocation

Date de création: 14-03-2022 17:55
Dernière mise à jour: 14-03-2022 17:55
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COMMUNICATION- PERSONNALITES - A. DJAAD, ABDOU B. ET MOUNY BERRAH/ÉVOCATION

©ahmed Cheniki, in Fb,  16 janvier 2021

 

Le 18 janvier 2015, décédait l’ami, le journaliste et l’écrivain, Abdelkrim Djaad

Clin d’œil à Mouny Berrah, Abdou B., Abdelkrim Djaad et Boudjema Kareche

Quatre grands paysages humains

 

Je ne sais pourquoi j’ai voulu en évoquant Abdelkrim Djaad, l’associer à trois autres grands paysages humains, Mouny Berrah, Abdou B et Boudjema Kareche, mais je sais que les trois étaient de véritables paysages humains. Je sais qu’en parlant de ces quatre artistes, ils étaient des artistes, cela me permet d’oublier aussi l’impasse actuelle, le pessimisme teinté parfois d’un brin d’optimisme qui semble m’assaillir. Je sais qu’ils étaient beaux et qu’ils avaient de l’espoir à en faire crever de rage ceux qui cherchaient à neutraliser leurs colères.

Parler du cinéma et du « journalisme culturel » en Algérie, c’est évoquer inévitablement le nom de quatre grandes plumes, quatre grandes personnalités, certes différentes, mais ô combien magnifiquement bien faits. Ils sont hypersensibles, mais également la colère saine à fleur de peau. On ne pouvait jamais en rencontrant Mouny ne pas être séduit par son extraordinaire sourire, synonyme paradoxale d’une grande maturité et d’une érudition qui faisait d’elle la femme la mieux à même de conjuguer le cinéma à l’histoire et aux relents sociologiques. Elle parlait aisément de Barthes, de Metz, de Lebel, d’Antonioni, de Chadi Abdessalam ou de Allouache. Elle fut grande journaliste, elle était là où on parlait de cinéma et de culture, Lacheraf l’appréciait énormément. Et qui n’appréciait pas cette consœur qui laissa de fabuleux textes sur le cinéma ? Elle était d’une grande maturité et d’un charisme naturel. Son sourire illuminait la revue « Les 2 écrans » et cohabitait si bien avec un autre grand du journalisme et du cinéma, Abdou B, dont les éclats de rire et de colère ponctuaient tous les bons débats des 2 écrans, d’Algérie-Actualité et de Révolution Africaine.

Abdou respirait la joie de vivre, quel bonheur d’être avec cet homme qui alternait colères et éclats de rires, envolées lyriques et mots drus ! J’ai eu la chance et le plaisir de le côtoyer très longtemps à Algérie-Actualité et Révolution Africaine, nous animions deux pages amicalement concurrentes, Autrement dit et Fréquences 21, il connaissait tout du cinéma, il avait pour amis le grand Boudj, celui qui, après Ahmed Hocine, a fait de la cinémathèque d’Alger un temple du cinéma, Merzak Allouache, Merzak Meneceur et de nombreux intellectuels. Abdou, c’était une bonne discussion et beaucoup d’éclats. Même ses écrits associaient une gorgée ludique et une connaissance encyclopédique des êtres et des choses.

Sous des airs d’un Gavroche repenti, il était d’une rigueur extraordinaire que venait taquiner une poésie trop volage. Même dans des restaurants ou dans les cafés, il ne pouvait ne pas élever la voix, cet étudiant des temps anciens de l’école de journalisme, puis je ne sais pourquoi il alla taper la porte d’un journal de l’armée, El Djeich, il en a fait un périodique de qualité, accordant une grande part aux affaires de la culture. C’est vrai qu’à un moment donné, les casernes et les lieux militaires étaient très ouverts aux arts et à la littérature. Ainsi, les troupes de théâtre allaient jouer dans les casernes, Slimane Benaissa en sait quelque chose, pas uniquement lui, il y avait des activités culturelles partout, surtout à l’Ecole interarmes de Cherchell. Mais à l’époque, c’était toute l’Algérie qui portait les oripeaux ludiques de la culture : théâtre amateur, cinéma, activités artistiques et culturelles à l’université, il y avait plus de 400 salles de cinéma, des ciné-clubs partout, notre ami Miliani trônait comme un roi aujourd’hui déchu au ciné-pop d’Oran. Il y avait de tout.

Abdou était au four et au moulin. Jamais une revue de l’armée n’a accordé autant d’espace à la culture, Abdou qui est resté pendant dix ans (1967-1977) à la tête de cet organe écrivait, avec une force et une rigueur exceptionnelle, sur tous les bruissements de la vie culturelle, il réussissait, avec un style singulier et une langue particulière, à mettre en rapport les faits de l’art avec les jeux trop complexes de la société. Il ne pouvait ne pas chercher à changer les choses, à créer une revue consacrée au cinéma, sa raison d’être peut-être, il le fit à la RTA, donnant vie aux 2 Ecrans où on retrouvait Mouny Berrah, Djamel Eddine Merdaci, Azzedine Mabrouki, Reda Bensmaia et bien d’autres signatures. Mouny a, avec Abdou, permis au cinéma et à la télévision d’avoir sa revue, mais vite assassinée par les bouffeurs d’espoirs.

Abdou fut le seul DG de la télévision algérienne à voir osé changer les choses, malgré l’hostilité ambiante. C’est là où je l’ai connu, j’étais à l’époque à Algérie-Actualité, c’était un volcan, puis, nous avions, quelques-uns, en désaccord avec la direction, décidé de changer d’air et d’aller à Révolution Africaine, il avait dirigé durant quatre années (1985-1989), le département Culture, média et société. A l’époque, à Alger, deux hebdomadaires se crêpaient les mots, la direction soutenue par la présidence défendait l’idée de privatisation et d’infitah alors qu’à Révolution Africaine, avec Zoubir Zemzoum et Bachir Rezzoug, c’est la quête d’un véritable professionnalisme associé à la protection du secteur public. Abdou s’y retrouvait comme un vrai poisson dans son eau à lui, une eau marquée du sceau d’une singulière transparence. Il aimait, ça, ce sacré bonhomme joyeux. C’est vrai qu’à l’époque passaient au journal Lacheraf, Bourboune, Morsli, Belaid, Benhadouga, Bois, Djeghloul et beaucoup d’intellectuels que comptait Alger.

Abdou avait été appelé, après avoir été conseiller de la télévision, à occuper le poste de directeur général en 1990-1991 et en 1993-1994. Si la première expérience était extrêmement riche, l’unique fois où notre télévision publique a honoré réellement le pays, nos amis Tunisiens attendaient les débats, il y avait de nouvelles têtes, Kamel Alouani, Mourad Chebine, Benguenna, Rabah Khoudri, Karim Sekkar…Il était, certes, soutenu par le chef du gouvernement de l’époque. C’était une période faste, mais la seconde fois, c’était dur, trop de pressions, il finit par jeter l’éponge en 1994. Il partit à Paris pour quelque temps, ne survécut que grâce à un ami, Merzek Meneceur. Durant cette période, le président de Reporters sans frontières, Robert Ménard, l’invita à manger, puis lui fit des propositions d’écrire des textes dénonçant l’Algérie, Abdou dans tous ses états, rouge de colère, faillit l’étrangler : » Moi, enfant de Barika, d’une chiée de moudjahidine, je ferais ça, plutôt mourir, sale engeance de petit merdeux » et il quitta la table. Je ne le fais pas parce qu’on en parle ces derniers temps, alors qu’il est aujourd’hui maire de Béziers, c’est tout simplement parce que le propos s’inscrit tout simplement dans le discours de Abdou B. Abdou a été victime de deux infarctus qui l’ont sérieusement marqué. Amar Belhimer prépare un ouvrage sur le parcours de notre ami Abdou. Il rit aux éclats, notre Abdou national, au moment où le rejoint un autre journaliste d’Algérie-Actualité et de Ruptures, Abdelkrim Djaad.

Les deux, Mouny et Abdou estimaient énormément ce journaliste, à la plume alerte et au lexique recherché, Abdelkrim Djaad, un grand enfant, un véritable paysage humain, qui aimait Taos Amrouche et qui rêvait d’être romancier. Il le fut. Ce n’est nullement étonnant. Ses romans, « La mémoire des oiseaux » et « Le fourgon » sont à lire. Il est dommage que les universitaires et les journalistes n’aient pas parlé abondamment de ces deux beaux textes. Abdou fut le seul DG de la télévision algérienne à voir osé changer les choses, malgré l’hostilité ambiante. Abdelkrim connut des misères quand il daigna parler de certaines choses qui ne plurent apparemment pas à Jean Daniel. Le ciel lui tomba sur la tête. Mehri fit une lettre d’excuse enfonçant Abdelkrim, il fut suspendu de ses fonctions et certains de ses collègues commencèrent à l’éviter, du moins, avant sa « réhabilitation ». Il faut le dire, Abdelkrim avait tenu bon, il n’avait pas reculé. Abdelkrim aimait beaucoup plaisanter, lui l’enfant d’Ighil Ali, il commença jeune à exercer le métier. Il entretenait d’excellents rapports avec les hommes de la culture. Lui aussi était un amoureux fou du cinéma. Il était sans complaisance, beaucoup de cinéastes attendaient avec une certaine crainte ses critiques. Il a longtemps dirigé la rubrique culturelle avant de prendre la direction de la rédaction d’Algérie Actualité, lui qui, non satisfait de la situation de l’époque de son ancien journal, décida, avec quelques amis, Djaout, Stambouli et Metref de créer un hebdomadaire, Ruptures, qui devait donner à lire un autre journalisme fait de réflexion, d’information et de marques ludiques. Djaad ne pouvait ne pas rencontrer Boudjema Kareche, cet homme-cinéma qui conjugue la vie à une extraordinaire joie de vivre dont le cinéma est le lieu central. Tous, Mouny, Abdou et Abdelkrim approfondirent leur conception du cinéma grâce à ce lieu magique qu’est la cinémathèque.

Ainsi, découvrirent-ils, comme d’ailleurs de nombreux réalisateurs, le cinéma novo, le néo-réalisme italien, la nouvelle vague française (Truffaut, Godard…) à tel à point que de nombreux films algériens reprenaient énormément de plans, d’images et d'idées de films étrangers qui parcouraient sans cesse la représentation artistique. L'impact de la cinémathèque sur le fonctionnement de l'écriture film est patente. C’était paradoxalement un havre de liberté et de débats dans un pays marqué par les jeux du silence. Ici, la contestation avait pignon sur films et sur débats. Les responsables du musée du cinéma avaient pour ambition d’en faire le lieu d’articulation et l’espace documentaire du cinéma d’Afrique et des pays arabes. Ce n’est pas sans raison que les grands cinéastes africains (Med Hondo, Sembene Ousmane, Souleymane Cissé, Ouedraogo…) et arabes (Tewfik Salah, Salah Abou Seif, Souheil Ben Barka, Youcef Chahine, Mohamed Malass, Tarek Ben Ammar…) étaient souvent invités à Alger pour faire connaitre leurs films dans ce musée qui, certes, possède des milliers de copies, mais n’arrive pas encore à conserver convenablement les films, faute de structures spécialisées dans la conservation des copies positives et négatives.

Les grands cinéastes du monde animaient des débats à la cinémathèque. Rosi, Scola, Lattuada, Losey, Chahine, Abou Seif, Tewfik Salah, Truffaut, Santiago Alvarez et des dizaines d’autres discutaient de leurs films avec un public connaisseur qui n’arrêtait pas de poser des questions. La salle de la rue Ben M’hidi devenait le lieu privilégié de rencontres mettant en avant les mouvements de libération et les différentes luttes anti-impérialistes. Des cycles, des conférences, des panoramas de films d’auteurs et de pays étaient régulièrement organisés à Alger et parfois, à l’étranger. A la cinémathèque de Chaillot (Paris), en 1973, fut mise en œuvre une rétrospective du film algérien qui fit connaitre le cinéma de l’Algérie en France et à l’étranger, grâce à une large couverture médiatique. En 1976, une rétrospective du cinéma arabe intitulée « Quarante ans de cinéma arabe » fut organisée à Pesaro, en Italie.

Boudjema Kareche marche tout en regardant loin, les silhouettes de Mouny, Abdou et Abdelkrim se métamorphosant en rires et en anges puisés dans les fonds baptismaux d’un bonheur à venir…Ils rient tout en parlant à haute voix. J’ai appris avec eux à ne jamais prendre au sérieux les pouvoirs, à m’en distendre, contraires aux savoirs, dans nos contrées, ils sèment plutôt le mal-être, ils font les arrogants, les turbanés de la vérité unique. Djaad éclate de rire, j’arrête de parler…