COMMUNICATION- PERSONNALITES
- A. DJAAD, ABDOU B. ET MOUNY BERRAH/ÉVOCATION
©ahmed Cheniki,
in Fb, 16
janvier 2021
Le 18 janvier 2015, décédait l’ami, le journaliste et l’écrivain, Abdelkrim
Djaad
Clin d’œil à Mouny Berrah,
Abdou B., Abdelkrim Djaad et Boudjema
Kareche
Quatre grands paysages humains
Je ne sais pourquoi j’ai voulu en évoquant Abdelkrim Djaad,
l’associer à trois autres grands paysages humains, Mouny
Berrah, Abdou B et Boudjema
Kareche, mais je sais que les trois étaient de
véritables paysages humains. Je sais qu’en parlant de ces quatre artistes, ils
étaient des artistes, cela me permet d’oublier aussi l’impasse actuelle, le
pessimisme teinté parfois d’un brin d’optimisme qui semble m’assaillir. Je sais
qu’ils étaient beaux et qu’ils avaient de l’espoir à en faire crever de rage
ceux qui cherchaient à neutraliser leurs colères.
Parler du cinéma et du « journalisme culturel » en Algérie, c’est évoquer
inévitablement le nom de quatre grandes plumes, quatre grandes personnalités,
certes différentes, mais ô combien magnifiquement bien faits. Ils sont
hypersensibles, mais également la colère saine à fleur de peau. On ne pouvait
jamais en rencontrant Mouny ne pas être séduit par
son extraordinaire sourire, synonyme paradoxale d’une grande maturité et d’une
érudition qui faisait d’elle la femme la mieux à même de conjuguer le cinéma à
l’histoire et aux relents sociologiques. Elle parlait aisément de Barthes, de
Metz, de Lebel, d’Antonioni, de Chadi Abdessalam ou
de Allouache. Elle fut grande journaliste, elle était
là où on parlait de cinéma et de culture, Lacheraf
l’appréciait énormément. Et qui n’appréciait pas cette consœur qui laissa de
fabuleux textes sur le cinéma ? Elle était d’une grande maturité et d’un
charisme naturel. Son sourire illuminait la revue « Les 2 écrans » et
cohabitait si bien avec un autre grand du journalisme et du cinéma, Abdou B,
dont les éclats de rire et de colère ponctuaient tous les bons débats des 2
écrans, d’Algérie-Actualité et de Révolution Africaine.
Abdou respirait la joie de vivre, quel bonheur d’être avec cet homme qui
alternait colères et éclats de rires, envolées lyriques et mots drus ! J’ai eu
la chance et le plaisir de le côtoyer très longtemps à Algérie-Actualité et
Révolution Africaine, nous animions deux pages amicalement concurrentes,
Autrement dit et Fréquences 21, il connaissait tout du cinéma, il avait pour amis
le grand Boudj, celui qui, après Ahmed Hocine, a fait
de la cinémathèque d’Alger un temple du cinéma, Merzak
Allouache, Merzak Meneceur et de nombreux intellectuels. Abdou, c’était une
bonne discussion et beaucoup d’éclats. Même ses écrits associaient une gorgée
ludique et une connaissance encyclopédique des êtres et des choses.
Sous des airs d’un Gavroche repenti, il était d’une rigueur extraordinaire
que venait taquiner une poésie trop volage. Même dans des restaurants ou dans
les cafés, il ne pouvait ne pas élever la voix, cet étudiant des temps anciens
de l’école de journalisme, puis je ne sais pourquoi il alla taper la porte d’un
journal de l’armée, El Djeich, il en a fait un
périodique de qualité, accordant une grande part aux affaires de la culture.
C’est vrai qu’à un moment donné, les casernes et les lieux militaires étaient
très ouverts aux arts et à la littérature. Ainsi, les troupes de théâtre
allaient jouer dans les casernes, Slimane Benaissa en
sait quelque chose, pas uniquement lui, il y avait des activités culturelles
partout, surtout à l’Ecole interarmes de Cherchell. Mais à l’époque, c’était
toute l’Algérie qui portait les oripeaux ludiques de la culture : théâtre
amateur, cinéma, activités artistiques et culturelles à l’université, il y avait
plus de 400 salles de cinéma, des ciné-clubs partout, notre ami Miliani trônait comme un roi aujourd’hui déchu au ciné-pop
d’Oran. Il y avait de tout.
Abdou était au four et au moulin. Jamais une revue de l’armée n’a accordé
autant d’espace à la culture, Abdou qui est resté pendant dix ans (1967-1977) à
la tête de cet organe écrivait, avec une force et une rigueur exceptionnelle,
sur tous les bruissements de la vie culturelle, il réussissait, avec un style
singulier et une langue particulière, à mettre en rapport les faits de l’art
avec les jeux trop complexes de la société. Il ne pouvait ne pas chercher à
changer les choses, à créer une revue consacrée au cinéma, sa raison d’être
peut-être, il le fit à la RTA, donnant vie aux 2 Ecrans où on retrouvait Mouny Berrah, Djamel Eddine Merdaci, Azzedine Mabrouki, Reda Bensmaia et bien d’autres signatures. Mouny
a, avec Abdou, permis au cinéma et à la télévision d’avoir sa revue, mais vite
assassinée par les bouffeurs d’espoirs.
Abdou fut le seul DG de la télévision algérienne à voir osé changer les
choses, malgré l’hostilité ambiante. C’est là où je l’ai connu, j’étais à
l’époque à Algérie-Actualité, c’était un volcan, puis, nous avions,
quelques-uns, en désaccord avec la direction, décidé de changer d’air et d’aller
à Révolution Africaine, il avait dirigé durant quatre années (1985-1989), le
département Culture, média et société. A l’époque, à Alger, deux hebdomadaires
se crêpaient les mots, la direction soutenue par la présidence défendait l’idée
de privatisation et d’infitah alors qu’à Révolution
Africaine, avec Zoubir Zemzoum et Bachir Rezzoug, c’est la quête d’un véritable professionnalisme
associé à la protection du secteur public. Abdou s’y retrouvait comme un vrai
poisson dans son eau à lui, une eau marquée du sceau d’une singulière
transparence. Il aimait, ça, ce sacré bonhomme joyeux. C’est vrai qu’à l’époque
passaient au journal Lacheraf, Bourboune,
Morsli, Belaid, Benhadouga, Bois, Djeghloul et
beaucoup d’intellectuels que comptait Alger.
Abdou avait été appelé, après avoir été conseiller de la télévision, à
occuper le poste de directeur général en 1990-1991 et en 1993-1994. Si la
première expérience était extrêmement riche, l’unique fois où notre télévision
publique a honoré réellement le pays, nos amis Tunisiens attendaient les
débats, il y avait de nouvelles têtes, Kamel Alouani,
Mourad Chebine, Benguenna,
Rabah Khoudri, Karim Sekkar…Il
était, certes, soutenu par le chef du gouvernement de l’époque. C’était une
période faste, mais la seconde fois, c’était dur, trop de pressions, il finit
par jeter l’éponge en 1994. Il partit à Paris pour quelque temps, ne survécut
que grâce à un ami, Merzek Meneceur.
Durant cette période, le président de Reporters sans frontières, Robert Ménard,
l’invita à manger, puis lui fit des propositions d’écrire des textes dénonçant
l’Algérie, Abdou dans tous ses états, rouge de colère, faillit l’étrangler : »
Moi, enfant de Barika, d’une chiée de moudjahidine, je ferais ça, plutôt
mourir, sale engeance de petit merdeux » et il quitta la table. Je ne le fais
pas parce qu’on en parle ces derniers temps, alors qu’il est aujourd’hui maire
de Béziers, c’est tout simplement parce que le propos s’inscrit tout simplement
dans le discours de Abdou B. Abdou a été victime de deux infarctus qui l’ont
sérieusement marqué. Amar Belhimer prépare un ouvrage
sur le parcours de notre ami Abdou. Il rit aux éclats, notre Abdou national, au
moment où le rejoint un autre journaliste d’Algérie-Actualité et de Ruptures,
Abdelkrim Djaad.
Les deux, Mouny et Abdou estimaient énormément ce
journaliste, à la plume alerte et au lexique recherché, Abdelkrim Djaad, un grand enfant, un véritable paysage humain, qui
aimait Taos Amrouche et qui rêvait d’être romancier. Il le fut. Ce n’est
nullement étonnant. Ses romans, « La mémoire des oiseaux » et « Le fourgon »
sont à lire. Il est dommage que les universitaires et les journalistes n’aient
pas parlé abondamment de ces deux beaux textes. Abdou fut le seul DG de la
télévision algérienne à voir osé changer les choses, malgré l’hostilité
ambiante. Abdelkrim connut des misères quand il daigna parler de certaines
choses qui ne plurent apparemment pas à Jean Daniel. Le ciel lui tomba sur la
tête. Mehri fit une lettre d’excuse enfonçant
Abdelkrim, il fut suspendu de ses fonctions et certains de ses collègues
commencèrent à l’éviter, du moins, avant sa « réhabilitation ». Il faut le
dire, Abdelkrim avait tenu bon, il n’avait pas reculé. Abdelkrim aimait
beaucoup plaisanter, lui l’enfant d’Ighil Ali, il
commença jeune à exercer le métier. Il entretenait d’excellents rapports avec
les hommes de la culture. Lui aussi était un amoureux fou du cinéma. Il était
sans complaisance, beaucoup de cinéastes attendaient avec une certaine crainte
ses critiques. Il a longtemps dirigé la rubrique culturelle avant de prendre la
direction de la rédaction d’Algérie Actualité, lui qui, non satisfait de la
situation de l’époque de son ancien journal, décida, avec quelques amis, Djaout, Stambouli et Metref de créer un hebdomadaire, Ruptures, qui devait
donner à lire un autre journalisme fait de réflexion, d’information et de
marques ludiques. Djaad ne pouvait ne pas rencontrer Boudjema Kareche, cet
homme-cinéma qui conjugue la vie à une extraordinaire joie de vivre dont le
cinéma est le lieu central. Tous, Mouny, Abdou et
Abdelkrim approfondirent leur conception du cinéma grâce à ce lieu magique
qu’est la cinémathèque.
Ainsi, découvrirent-ils, comme d’ailleurs de nombreux réalisateurs, le
cinéma novo, le néo-réalisme italien, la nouvelle vague française (Truffaut,
Godard…) à tel à point que de nombreux films algériens reprenaient énormément
de plans, d’images et d'idées de films étrangers qui parcouraient sans cesse la
représentation artistique. L'impact de la cinémathèque sur le fonctionnement de
l'écriture film est patente. C’était paradoxalement un havre de liberté et de
débats dans un pays marqué par les jeux du silence. Ici, la contestation avait
pignon sur films et sur débats. Les responsables du musée du cinéma avaient
pour ambition d’en faire le lieu d’articulation et l’espace documentaire du
cinéma d’Afrique et des pays arabes. Ce n’est pas sans raison que les grands
cinéastes africains (Med Hondo, Sembene Ousmane, Souleymane Cissé, Ouedraogo…) et arabes (Tewfik
Salah, Salah Abou Seif, Souheil Ben Barka, Youcef
Chahine, Mohamed Malass, Tarek Ben Ammar…) étaient
souvent invités à Alger pour faire connaitre leurs films dans ce musée qui,
certes, possède des milliers de copies, mais n’arrive pas encore à conserver
convenablement les films, faute de structures spécialisées dans la conservation
des copies positives et négatives.
Les grands cinéastes du monde animaient des débats à la cinémathèque. Rosi,
Scola, Lattuada, Losey, Chahine, Abou Seif, Tewfik
Salah, Truffaut, Santiago Alvarez et des dizaines d’autres discutaient de leurs
films avec un public connaisseur qui n’arrêtait pas de poser des questions. La
salle de la rue Ben M’hidi devenait le lieu
privilégié de rencontres mettant en avant les mouvements de libération et les
différentes luttes anti-impérialistes. Des cycles, des conférences, des
panoramas de films d’auteurs et de pays étaient régulièrement organisés à Alger
et parfois, à l’étranger. A la cinémathèque de Chaillot (Paris), en 1973, fut
mise en œuvre une rétrospective du film algérien qui fit connaitre le cinéma de
l’Algérie en France et à l’étranger, grâce à une large couverture médiatique.
En 1976, une rétrospective du cinéma arabe intitulée « Quarante ans de cinéma
arabe » fut organisée à Pesaro, en Italie.
Boudjema Kareche marche tout en regardant loin, les silhouettes de Mouny, Abdou et Abdelkrim se métamorphosant en rires et en
anges puisés dans les fonds baptismaux d’un bonheur à venir…Ils rient tout en parlant
à haute voix. J’ai appris avec eux à ne jamais prendre au sérieux les pouvoirs,
à m’en distendre, contraires aux savoirs, dans nos contrées, ils sèment plutôt
le mal-être, ils font les arrogants, les turbanés de la vérité unique. Djaad éclate de rire, j’arrête de parler…