CULTURE- MUSIQUE- ARTISTES
PIONNIÈRES
Elles avaient de l’audace :
Ces femmes en avance sur leur temps
©Bari Stambouli/El
Moudjahid, lundi 7 mars 2022
Il y a un siècle ou plus, des femmes ont osé franchir
le pas et accéder au monde de l’art réservé à l’époque uniquement aux hommes.
Ces femmes en avance ne savaient pas ce qu’était le droit des femmes ni celui
des hommes ni l’égalité entre eux. Elles savaient par contre qu’elles étaient
des êtres humains et qu’elles pouvaient s’imposer si elles le voulaient, ce que
beaucoup de femmes ne savent pas aujourd’hui.
Hebba, la première à enregistrer un disque
On est au
début des années 1900. Alors que les femmes n’avaient le droit de chanter qu’à
leurs enfants pour les endormir ou entre elles lors de soirées familiales, une
femme de Djelfa sort du lot en devenant la première chanteuse professionnelle
d’Algérie. Même si d’autres femmes chantaient dans des fêtes familiales au
début du siècle dernier, Hebba qui s’est fait connaitre dans toute la région du Titteri grâce à sa belle voix a fait le premier pas en
enregistrant le premier disque. A cette époque le disque était de forme
cylindrique et tournait dans un phonographe. Ce passage au professionnalisme de
Hebba lui a valu la colère de tout son village qui
aurait décidé de l’exiler. Très audacieuse, la chanteuse Hebba
s’est inspirée de cette réaction pour écrire et chanter une complainte dans
laquelle elle raconte ce rejet de sa famille et de son village. Aujourd’hui, il
n’existerait qu’un seul disque cylindrique de Habba
que détiendrait un collectionneur de Djelfa.
Yamna, la noble qui chante
Au début
du siècle dernier, la capitale vivait aux rythmes de la chanson andalouse et Hawzi ainsi que du Moghrabi qui
portera le nom de Chaâbi après l’avènement de la radio au milieu des années
1940. Alors que Cheickh Sfindja,
Mouzino, Cheikh Nador, Qhiwdji et d’autres
dont le jeune Bachtarzi étaient les stars de
l’époque, Yamna Bent El Hadj El Mahdi, une femme
issue d’une famille noble a osé faire le pas. Elle deviendra la pionnière du Hawzi et aura d’autres disciples directes et indirectes telles Meriem Fekkai
surnommée El Beskria, Cheikha
Tetma, la tlemcenienne
enterrée au cimetière de Sidi M’hamed et la jeune
Fadila Dziria qui participera à la révolution et
chantera à la radio et à la télévision au lendemain de l’indépendance. D’autres
chanteuse ont suivi la voie de Yamna
notamment Fettouma El Blidya
et Soltana Daoud qui fut surnommée Reinette par son
maître Saoud El Medioni, Latifa et Alice Fitoussi qui a animé ses dernières
fêtes de mariage au début des années 1970, avant de devenir voyante à El Biar et repartir en France où elle est morte. Mis à par sa connaissance de la musique andalouse et sa belle
voix, Yamna était une brillante violoniste.
Beggar Hadda,
de la chanson à la mendicité
Dans la
région des Aurès, c’est Beggar Hadda qui a osé forcer
la porte et entrer dans le domaine de la chanson qui était resérvé
aux hommes. C’était au moment où le grand Aïssa Djermouni
était invité à donner un concert à l’Olympia. Même si
sa mère était aussi chanteuse, Beggar Hadda n’a pu
vraiment devenir professionnelle qu’après son mariage avec un flutiste qui
l’avait encouragée. Née en 1920 à Khenchela, elle
finira sa vie dans la misère en tant que mendiante à Annaba. Dommage pour cette
chanteuse avait toutes les capacités pour devenir une star de son vivant
notamment durant sa jeunesse. L’animateur Abdelkrim Sekkar
lui avait consacré une émission et une pièce de théâtre écrite par Djalal Khechab et mise en scène par Sonia et Habal
Boukhari jouée au Théâtre régional de Constantine lui avait été dédiée.
Melhoun :
El Moqrania, une Cheikha
parmi les Chyoukh
Alors la poèsie Melhoun était dominée par des hommes tels que Cheikh
Mohamed Benguitoune, l’auteur de la célèbre Hizya chantée et enregistrée par les plus grands chanteurs
de Bedoui, Cheikh Smati et Abdellah Benkerriou qui avait consacré presque la totalité de ses
œuvres à une femme qu’il n’a vu qu’une seule fois et que Boualem Bessaiah qui lui a consacré un ouvrage a surnommé le Medjnoun Leila du Melhoun, une
certaine El Mokrania est sortie du lot en
déclamant ses beaux poèmes. Par la force de ses métaphores, sa maitrise de la
langue arabe et ses beaux poèmes, El Moqrania a eu le
titre de Cheikha car elle n’avait rien à envier aux Chouyoukh du Melhoun de son époque. L’un des meilleurs
poèmes de Cheikha El Moqrania
est celui où elle raconte l’histoire de son berger ayant décidé de demander sa
main après la mort de son mari.
Un trio
pour sauvegarder le Achwiq
Elles
étaient trois femmes bien en avance. Lla Zina, Lla Ounissa, Lla
Yamina avaient, dès le début des années 1920 créé le trio « Lkhalath » pour mettre en avant un style de chanson Achwiq et des chansons que les vieilles femmes de Kabylie
chantaient pour bercer les enfants et passer du bon temps entre elles. A cette
époque, il y avait Lla Ouiza
qui avait également franchi le pas en devenant
parmi les premières chanteuses. Ces femmes qui étaient en avance ouvriront la
voie de la chanson kabyle féminine à d’autres qui auront l’occasion, avec
l’avènement de la radio de vivre quelque peu la célébrité notamment Cherifa, Hnifa et El Djida Tamoqrant. La
même voie sera suivie par d’autres femmes telles que Djamila, Khedoudja, Anissa et Nouara. A travers leur belle voix et leurs Achwiq ces femmes du
Djurdjura ont réussi à conserver une bonne partie du patrimoine
artistique algérien.
Tabelhout, la
dernière reine de l’Imzad
Tabelhout Akhamouk
était l’une des dernières reines de l’imzad, cet
instrument de musique joué uniquement par les femmes. Née en 1919 à Tamanrasset
et morte le 4 mai 2018 dans la même ville, Tabelhout qui est issue d’une famille noble de Touareg,
était parmi les cinq reines de l’imzad dont
l’association Sauver l’Imzad fondée par Farida Sellal a réussi depuis sa création au début des années 2000
à faire connaître au public et le classer patrimoine mondial. La défunte Tabelhout qui était la fille de Akhamokh
Aguehamma (Amenokhal -grand
chef) de l’Ahaggar et la nièce de Dassine,
une des reines de l’imzad, a consacré sa vie à cet
instrument joué par les femmes du Sahara pour encourager les hommes. Les femmes
du Sahara qui savaient depuis longtemps que derrière tout homme, il y a une
femme qui le pousse, ont choisi la musique pour le pousser.