Cette
descente aux enfers n’a pas surpris les gestionnaires de l’entreprise, qui,
malgré les efforts louables opérés pour essayer de redresser la barre, durent
s’avouer désarmés face à l’implacable logique économique qui pousse tout droit
vers l’effondrement quand la courbe des recettes n’arrive pas à compenser celle
des dépenses. Quand, en fait, pour faire plus simple, le résultat des ventes
arrive à couvrir le tiers à peine du budget global de fonctionnement.
sur le fil du rasoir
Dans
cette optique, El Watan a vécu pendant des années sur
le fil du rasoir en s’astreignant aux règles d’austérité les plus drastiques
pour sauver l’essentiel, à savoir la sortie quoi qu’il en coûte du quotidien,
sachant que la perspective restait toujours aléatoire, avec ce stress permanent
de mobiliser le moindre centime, là où il se trouve, pour honorer tous les
engagements financiers, notamment les salaires des 145 travailleurs (rédaction,
technique, administration) qui assurent la fabrication du journal et auxquels
il faut rendre un hommage à la mesure des sacrifices consentis.
Si
la politique d’austérité s’avérait plus qu’indispensable pour éviter la
disparition pure et simple du journal, elle ne pouvait cependant résister
longtemps encore à une loi du marché inique pervertie par le pouvoir qui le pénalise fortement en ne favorisant pas
paradoxalement le produit médiatique le plus fiable, autrement dit le plus
concurrentiel.
C’est
en effet sidérant de voir le quotidien national considéré comme étant parmi les
plus élaborés, parmi les plus performants, en plus d’être le plus grand tirage,
se retrouver dans un tel état de décompression économique alors que la qualité
et la rigueur de son travail et le professionnalisme de son potentiel opérant
devraient le destiner à un rayonnement beaucoup plus cohérent, en tout cas à
une meilleure finalité commerciale si les normes économiques les plus
élémentaires étaient respectées.
Cela
pour dire, ou simplement rappeler que cette fatalité économique qui frappe
aujourd’hui de plein fouet El Watan n’est en
aucun cas due à une quelconque défaillance professionnelle ou à une
démobilisation de l’entreprise, mais relève bien de facteurs exogènes qui sont
connus de tout le monde.
Alors
que l’essentiel de la publicité émanait du secteur privé, en 2014 le pouvoir en
place a décidé d’influencer par la menace et la coercition fiscale des
entreprises privées liées par des contrats de publicité avec El Watan, y compris des sociétés étrangères.
La
direction du quotidien n’a eu de cesse de dénoncer le scandaleux chantage
auquel elle est soumise à propos de sa ligne éditoriale et qui lui coûte d’être
blacklistée durant des années sur la publicité étatique gérée par l’ANEP,
autrement dit sur l’élément de régulation économique le plus déterminant,
pendant que la grande majorité des titres, du plus zélé au plus insignifiant,
est assurée d’avoir confortablement son quota de pages qui lui garantit
pérennité et plus... Tout récemment, en revenant sur les problèmes de la presse
lors de sa rencontre habituelle avec les journalistes, le premier magistrat a
déclaré que pour les besoins de la liberté d’expression, l’Etat va jusqu’à
éviter de faire pression économiquement sur les titres en fermant les yeux sur
les factures d’impression impayées. Il confirme ainsi qu’en plus d’avoir
l’argent de la pub étatique, ces journaux ne s’acquittent pas des créances de
leurs tirages dans les imprimeries publiques.
Étranglement
programmé
Du
tout bénef pour les uns, étranglement programmé pour les autres si tant est que
la privation planifiée de la pub ne peut être considérée que comme une
coercition économique répondant à des objectifs clairs. Mais pourquoi tourner
autour du pot alors que la manœuvre est d’abord de nature politique avec une
caractéristique répressive.
El Watan est parmi ceux qui subissent le plus
violemment cette forme de représailles en raison de son contenu éditorial qui
ne convient pas aux discours officiels.
Notre
journal ne fait pas, en ce sens, dans l’originalité, encore moins dans
l’exclusivité. Depuis sa création, il y a 30 ans, dans l’euphorie de l’ouverture
démocratique, il s’est positionné comme organe défendant les valeurs
fondamentales du processus démocratique, privilégiant la liberté d’expression
en s’ouvrant à la diversité d’opinions, mais en se gardant d’être un journal
d’opposition, une fonction qui appartient aux partis politiques. Cette posture
lui a valu de tout temps de la part du pouvoir politique une proscription
multiforme sans concession, l’obligeant à résister en s’adaptant à chaque fois
aux conjonctures sans jamais dévier de ses principes qui donnent un sens à son
existence.
Régression
de la liberté de la presse
Avec
le phénomène dramatique de régression de la liberté de presse et des libertés
tout court, dénoncée par la majorité des Algériens, le ciblage d’El Watan a pris encore plus d’ampleur, au même titre que tous
les partis politiques et associations qui ont à cœur de revendiquer un projet
démocratique et une société de droit. Il paye donc son positionnement
strictement intellectuel et professionnel (et non politique ni idéologique) alors
que les lois de la République protègent sa liberté de ton, voire sa propension
à incarner en toute humilité le contre-pouvoir médiatique si vital pour la
construction de la démocratie. Il a fini aussi par prendre conscience que ce
type d’espace libre d’expression, orienté exclusivement vers la critique
objective, a de moins en moins sa place dans notre société.
Face
à une adversité féroce, faut-il pour autant se résigner ?
Dans
la mouvance de la résistance populaire dictée par une réelle inclinaison patriotique,
la seule note d’espoir qui a transcendé dans ce décor ombrageux nous est venue
de la fidélité de nos lecteurs et de leur magnifique élan de soutien et de
solidarité à l’annonce des grosses difficultés qu’endure leur quotidien. Ce
sont donc nos lecteurs qui restent les précieux alliés d’une aventure
médiatique ne devant pas s’arrêter brusquement alors qu’il y a encore tant à
faire pour notre pays.
Et
dans cette perspective, nos amis sauront par eux-mêmes que les 10 da
supplémentaires qui leur seront demandés à partir du 1er mars (2022) ne sont
pas un impératif de profit mais réellement un bol d’oxygène pour aérer la
trésorerie.
Mille
mercis d’avance pour votre compréhension.