COMMUNICATION-
FORMATION CONTINUE- CONSEILLERS EN COMMUNICATION (FRANCE) (I/II)
Présidentielle. Les conseillers en communication peuvent-ils
encore faire gagner un candidat ?
© Ouest-France.fr / Jeanne NICOLLE-ANNIC/ 22/02/2022
Les
« spin doctors », ou conseillers en
communication, experts en marketing politique, font partie des personnages
centraux des équipes de campagne. Mais quelle est leur influence ?
Sont-ils des faiseurs de présidents ? Peuvent-ils influer sur le résultat
de l’élection ? Éclairage.
Dans l’univers politique, et d’autant
plus en période de campagne électorale, il est une
profession qui semble bien mystérieuse : celle de « spin doctor », ou conseiller en communication et marketing
politique. Parmi les plus célèbres dans l’Hexagone, Jacques Séguéla, qui épaula
François Mitterrand en 1981 ; Jacques Pilhan,
qui théorisa la stratégie du désir entre candidat et
médias, conseiller de Mitterrand lui aussi, puis de Jacques Chirac. Plus
récemment, les projecteurs ont été braqués sur Sarah Knafo,
conseillère et plume d’Éric Zemmour.
Derrière chaque
candidat se trouve un conseiller. Mais celui-ci peut-il influer réellement sur
le cours d’une élection ? Quel pouvoir a-t-il ? Comment a évolué ce rôle lors
des dernières élections ? Conseillers en communication et spécialistes nous
répondent.
« Là où le
candidat est, le spin doctor doit être »
Sans être institutionnalisée comme aux États-Unis, la
profession de consultant en communication en politique s’est progressivement
implantée en France depuis une quarantaine d’années. Cela fait partie des
métiers qui se sont installés depuis les années 80, car le paysage médiatique,
qui s’est très diversifié, demande une maîtrise à part entière , estime
Franck Louvrier, maire de La Baule, qui fût le
conseiller de Nicolas Sarkozy et qui a rejoint
début 2022 l’équipe de Valérie Pécresse.
Et durant les campagnes
électorales, pas de temps mort, pour les conseiller en communication. L’actualité
est rythmée par de nombreuses émissions, les déplacements, mais aussi par les
déclarations des adversaires, qui tombent à toute heure. Tout va tellement
vite qu’il est indispensable d’être au plus près du candidat. À chaque heure,
là où le candidat est, le spin doctor doit être »,analyse Gaspard Gantzer,
qui fût le conseiller en communication de François Hollande. Exit l’image du
conseiller à la Jacques Pilhan, qui
supervise la communication depuis son bureau, qui lit des études, regarde
la presse et communique par écrit avec son candidat.
Car durant les mois
qui précèdent le scrutin, les conseillers en communication doivent s’adapter à
une actualité mouvante, aux nouvelles qui tombent sans cesse et redéfissent les
thématiques de la campagne. Franck Louvrier cite l’interview de Valérie Pécresse face à
Jean-Jacques Bourdin le 18 janvier dernier,
alors que des témoignages de femmes l’accusant de harcèlement sexuel venaient
d’émerger. En introduction de l’émission, la candidate a expliqué son choix de
venir malgré tout, mais a affirmé qu’elle ne laisserait aucune femme avoir
peur de porter plainte. « C’est une émission préparée, mais le
propos introductif est lié à l’évènement qui vient de se produire : il faut, à
un moment donné, s’immiscer dans l’actualité, sinon vous êtes hors jeu, déroule-t-il. Il faut toujours
prendre en compte ce que vous n’attendiez pas. »
Une relation
privilégiée
S’il y a un cliché qui semble se vérifier, c’est que pour être un bon spin doctor durant la campagne, il faut être très proche du
candidat. Gaspard Gantzer développe : « Il
faut avoir une relation privilégiée, être capable de penser presque en même
temps que lui. Quand je travaillais avec François Hollande, je passais
tellement de temps à parler avec lui qu’il y avait une harmonie intellectuelle,
même si nous n’étions pas tout le temps d’accord ». Et de dérouler les
exemples de duo communiquant-politique : Sophia Chikirou
et Jean-Luc Mélenchon, ou encore Claude Chirac et son père… Dans ces
cas-là, il suffit d’un battement de cils pour se comprendre.
S’ils ont des ressources partisanes, une
proximité personnelle avec le candidat, ils peuvent avoir une influence
certaine, confirme auprès de Ouest-France l’historien
Pierre-Emmanuel Guigo, auteur d’un article sur la
question, publié dans la revue Quaderni à l’été 2020. L’image
du publicitaire débarquant en pleine campagne pour coacher un candidat et le
transformer en machine à gagner est, selon lui, fausse : Les seuls
conseillers qui ont vraiment un impact, ce sont ceux qui ont un pied dans la
politique, estime le chercheur. Ce sont les proches,
qui ont les mêmes références idéologiques que le candidat.
Au printemps 2017, Emmanuel Macron était
par exemple entouré d’une jeune garde de communicants lors du lancement d’En
Marche. L’historien énumère : Sibeth Ndiaye,
Benjamin Griveaux, Mounir Mahjoubi…
Ils connaissent bien la communication, mais surtout, ils avaient un parcours
politique de militants. Ils avaient été dans l’équipe fondatrice d’En Marche et
ont créé des liens forts avec le candidat.
Déconstruire
le mythe du « faiseur de président »
En revanche, d’autres idées reçues
semblent éculées. Dans l’imaginaire, à travers des séries notamment, le rôle du
« spin doctor » a pu être vu comme celui d’un
conseiller de l’ombre, un gourou, voire un faiseur de présidents, n’hésitant
pas à manipuler l’opinion publique. Il n’y a pas de mythologie du métier
de communicant, il ne faut pas que les gens “fantasment sur l’ombre”,
estimait sur Public sénat Stéphane Fouks,
qui fût le conseil de Dominique Strauss-Kahn quand le candidat socialiste étant
vu comme favori de l’élection de 2012, dans un document cité par France Info .
Pour Franck Louvrier,
le conseiller en communication est « un collaborateur important »,
certes, « mais collaborateur parmi d’autre » : Chacun
d’entre eux a son rôle qui est essentiel. Le négliger serait une erreur, le
surinterpréter, une autre. Il est incontournable, même si ce n’est pas l’alpha
et l’omega.
« Il n’y a pas vraiment un seul
conseiller qui gère tout, de l’écriture du discours, aux relations avec la
presse, mais plutôt une série de spécialistes qui interviennent dans des
domaines spécialisés », explique
l’ancien conseiller Gaspard Gantzer. Et de citer
l’exemple de la campagne de Valérie Pécresse : outre Jean-Marc Zakhia, qui chapeaute la communication, un « homme
de l’ombre très efficace » avec qui elle a l’habitude de travailler,
la candidate LR s’est entourée de Patrick Stéfanini,
de Geoffroy Didier ou encore de collaborateurs plus jeunes dont Pierre Liscia, 32 ans.