CULTURE-
POESIE- MESSAOUR BOULANOUAR
© Par Abdelmadjid Kaouah , fb, samedi 19
février 2022 (Le Soir d’Algérie 17 novembre 2015)
Comment Messaour Boulanouar n’aurait-il pas écrit « La meilleure force » (Editions
du Scorpion, France, 1963)
, la seule grande épopée de notre « libération »,
s’exclamait Jean Sénac. La Meilleure force est un long poème de 7000 vers qui
forme, selon Tahar Djaout, « une sorte de cosmogonie
de la souffrance et de la revendication…le reflet de l’univers
concentrationnaire et de l’horreur quotidienne où tout un peuple vivait ».
Messaour Boulanouar, surnommé « El Kheïr » (Le Bien), est né en 1933, quelques années au
lendemain du centenaire de la Conquête coloniale de l’Algérie. Il a donc
grandi, vécu sa jeunesse sous la colonisation. Et très tôt pris conscience de
l’injustice qui était faite aux siens. Quelques personnes et des lectures
surtout ont ponctué son cheminement dans la vie et la création, telle la sœur
de Maurice Audin rencontrée à Sour el Ghozlane, (ex-Aumale), où elle enseignait en compagnie de
son mari. Et il eut pour condisciple la plus jeune. Il se souvenait que de
temps à autre Maurice Audin faisait le voyage à
Aumale.
Malgré le temps, l’âge, les épreuves, Messaour Boulanouar pouvait
encore réciter de mémoire les « récitations » apprises à l’école. Victor Hugo,
il le connaissait mieux que certains chercheurs. Il m’avait confié qu’il avait
été à la fois déçu et fasciné par Hugo. Ce dernier n’était-il pas ainsi
emblématique de tous ces écrivains du XIXe siècle qui avaient applaudi à la Conquête
? Tel son rival, Lamartine qui se déclarait « oriental » à tout jamais et
cependant fervent soutien la conquête de l’Algérie… Mais Hugo a évolué,
d’autres non…Il suffit de lire dans « Les Châtiments », le poème qu’il a
consacré à l’Emir Abdelkader.
A 17 ans, le futur auteur de « La meilleure force »,
pauvre et malade, interrompit ses études secondaires. Et plus tard, il est
éveillé très tôt au nationalisme, mortifié par les exactions de la puissance
coloniale française et édifié sur ses vaines promesses au lendemain de la
seconde guerre mondiale : 8-mai 1945,élections à la Naegelen soldées , notamment, dans la région de Sour El Ghozlane, à Dechmiya , par la
mort de plusieurs algériens . Il fut aussi nourri des poètes de la Résistance
française et des camps de la seconde guerre mondiale - et dont il connaissait
encore par cœur certains poèmes comme il pouvait réciter de mémoire du chir el melhoun à tous vents. N’est-il pas le petit-fils
d’une poétesse du terroir. ? Il ne tarda pas à passer au militantisme actif,
connaîtra ainsi la prison de Serkadji entre
1956-1957.C’est en prison qu’il conçoit dans sa tête « La meilleure force « qui
s’ouvre sur « J’écris pour que la vie soit respectée par tous ». Premières
années de l’indépendance. Années d’enthousiasme après la guerre…Messaour s’engage dans l’action culturelle et poétique.
L’église de Sour El devient un centre culturel. Jean Sénac se déplace pour un
récital mémorable. « La meilleure force », (comme « Algérie, capitale Alger »
d’Anna Gréki), ne connaîtra pas une diffusion
publique. Juste une recension dans une édition d’Algérie-Républicain
introuvable, parue de la veille du 19-Juin… Messaour
et Gréki seront voués à une inexplicable réclusion en
matière d’édition. Et « Dame- Sned » ne fera que
l’aggraver. Seules les éditions L’Orycte à Sour El Ghozlane
ouvriront des brèches dans cette situation par la publication de plusieurs
plaquettes de qui sont devenues aujourd’hui des incunables… » : « Raisons de
dire » (1976); Comme un feu de racines, (1977), « Sous
peine de mort », (1981).
‘’J’écris une poésie d’un autre âge », s’obstinait à
répéter Boulanouar . Ce qui signifiait dans sa en clair : ‘’Je n’écris pas
pour me distraire ou distraire ». Et pourtant s’entassaient recueil sur
recueil, indéfiniment repris sur le métier (sur sa bonne vieille Japy),
splendidement agencés et n’ayant déjà rien à envier à un ouvrage édité ! Et à
faveur d’une commémoration du 1er Novembre, on se rappela de l’ancien Moudjahid
et une somme de ses poèmes fut éditée à l’Anep.
Dans l’un de ses rares entretiens, en 1981, il
déclarait à feu Tahar Djaout : « La poésie se trouve
en danger, dans ce pays même où la magie du verbe accompagnait partout le
peuple dans son travail et dans ses fêtes : chansons de moissonneurs, chansons
de la tonte des moutons, chansons du tissage de la laine, chansons de toutes
les touiza ancrées au plus profond de notre
paysannerie. ». Cri de vigie inquiète. A-t-il été entendu ? Le poète propose…Il
se voulait avant tout « …semeur de conscience/ Au chant brûlé d’avance »
Les années 90 mortifères vont conduire Messaour Boulanouar à sonder un
autre malheur, cette fois- fratricide en « terre triste en l’espoir où nous
parlons de suie/ de mort sauvage en terre ignoble nuit de salpêtre ». Comment
a- t-il- résisté au « long chagrin de fleur ternie de pierre amère » ? Par le
poème ? C’est son secret. Il a longtemps connu et échanger avec Kateb Yacine et
d’autres poète contemporains, voyagé mais n’as jamais quitté ta ville. C’est sa
meilleure force. Sa vie a été vouée à l’écriture poétique. Loin de la capitale
et de ses vernis, il est resté fidèle à sa ville natale où il a écrit
l’essentiel de son œuvre. D’ailleurs, l’un de ses recueils s’intitule : « Je
vous écris de Sour El Ghozlane ». Sour, Le rempart
des Gazelles où non loin se trouve le tombeau de Takfarinas
en déshérence.
Adieu El-Kheir !