COMMUNICATION-
ETRANGER- PRESSE ECRITE FRANCE/ CONCURRENCE NUMERIQUE
© Par Emmanuel Schwartzenberg/www.marianne.net,
17 février 2022
En 2021, en
France, tous les titres de presse ont enregistré à nouveau un effondrement de
leurs ventes papiers. « Le Monde » continue de surclasser ses
concurrents sur son support historique, le papier – l'écart est encore
plus grand en termes d'abonnés Internet. La question des aides à la
distribution se pose désormais.
En France, l’univers des quotidiens
nationaux se rétrécit. Si la tendance se poursuit au même rythme, à la fin du
prochain quinquennat, ils auront quasiment disparu dans leur version papier.
C’est ce qui ressort de la publication des chiffres de l’Alliance pour les
chiffres de la presse et des médias (ACPM) pour 2021.
Avec, chaque jour, 27 566 exemplaires
vendus au numéro, Le Monde distance nettement Le
Figaro (21 700 exemplaires), Libération (9 610
exemplaires), Les Échos (5 969 exemplaires) et La
Croix (2 270 exemplaires). En 2017, ces quotidiens s’ordonnaient de la
même manière avec des ventes respectives de 48 113 exemplaires (Le Monde) , 43 191 exemplaires (Le Figaro), 19 373
exemplaires (Libération) , 10 787 exemplaires (Les Échos) et 3
576 exemplaires (La Croix). En quatre ans, à peine, les ventes ont donc,
pour la plupart, diminué de moitié.
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humilie le Sénat
Le phénomène concerne tous les titres
puisque L’Équipe a également enregistré une forte érosion,
passant de 119 196 exemplaires vendus en 2017 à 68 554 exemplaires en 2021. Le
quotidien régional de l’île de France, Le Parisien, a également
massivement décliné. Ses ventes couplées à celles d’Aujourd’hui en
France, sa déclinaison nationale, sont tombées sur la même période de
185 811 exemplaires à 108 342. Difficile dans ces conditions d’être encore
qualifié de « journal populaire »…
La chute de la vente au numéro n’a pas été
compensée par les abonnements. Le parc des abonnés papier s’est très fortement
rétracté. Celui du Monde (abonnés postés et par portage) est
passé de 89 412 abonnés à 72 676 en 2021 quand celui du Figaro a
régressé de 115 224 à 80 037 et que Libération passait de 21
352 à 14 274 abonnés. Les Échos, quotidien économique qui se vend
essentiellement par abonnement, a vu quant à lui son parc se réduire de 44 631
à 32 366 abonnés. Tout comme celui de La Croix qui est passé
de 67 975 abonnés à 55 331.
REPENSER LES AIDES
L’avenir de la presse quotidienne
nationale se joue donc – c’est un lieu commun de le redire – sur Internet. Là
encore, Le Monde arrive nettement en tête puisque l’ACPM lui
attribue 318 016 abonnés contre 181 066 pour Le Figaro, 64 227
aux Échos, 43 625 à Libération, 40 901 au Parisien et
123 024 à L’Équipe.
Ces bons résultats doivent néanmoins être
pondérés. Les éditeurs comptabilisent par défaut, parmi leurs abonnés Internet,
le lectorat qui est déjà abonné à la version papier. Pour gonfler encore leur
portefeuille sur le Net, certains patrons de presse demandent que soient
intégrés, dans ces statistiques, des abonnés qui ne payent qu’un euro par mois.
La position se défend sur un plan juridique, puisque l’abonnement est
réellement payé, mais elle fausse l’interprétation du marché car elle
additionne des lecteurs bénéficiant d’une quasi-gratuité à des lecteurs
payants. S’interroger, dès lors, sur la pertinence d’un contenu éditorial d’un
titre dont les ventes évoluent à la hausse ou à la baisse devient difficile.
Phénomène de grande ampleur, la
disparition des ventes au format papier des quotidiens aurait dû conduire les
pouvoirs publics à repenser le fonctionnement des aides à la presse pour tenir
compte de la mutation des titres sur Internet. Mais aussi soutenir davantage
ceux qui ont fait le choix de s’installer directement sur la Toile et venir en
aide aux 21 000 kiosques, maisons de la presse et autres diffuseurs menacés
dans leur existence. Cela n’a pas été le cas.
AIDES D'ÉTAT DÉGUISÉES
Le gouvernement a pourtant validé le versement
40 millions d’euros d’aides à la distribution nationale des quotidiens
nationaux sans se poser la question de son efficacité : 19 millions sont
versés au titre des aides d’État et 9 autres millions proviennent d’un fond de
modernisation qui devait bénéficier aux journaux menacés comme L’Humanité.
Les 12 millions restants viennent du fonds de péréquation, cette
contribution obligatoire que toutes les publications doivent payer, depuis
soixante ans, au profit de la presse nationale. Chaque jour, près de 130
000 euros sont donc attribués à la presse quotidienne nationale.
Originaires de plusieurs caisses, ces
fonds atterrissent en revanche dans les comptes de France Messageries, laquelle
a succédé à Presstalis, société de distribution des quotidiens placée en
liquidation judiciaire en 2020. Afin d’éviter que la France ne se retrouve
accusée de fausser le jeu de la concurrence, les MLP [Messageries lyonnaises de
presse], entreprise concurrente qui distribue les magazines et qui reçoit
aucune aide comparable, un curieux mécanisme a été mis au point.
Ce dernier a été révélé par Nicolas Beytout, le président du journal l’Opinion, le
17 janvier dernier, devant la commission sur les concentrations de média
du Sénat. « La majorité des subventions actuelles qui sont versées à la
presse, en tout cas à la presse papier, sont reroutées directement vers
Presstalis : ces sommes qui apparaissent dans les tableaux comme des aides
directes à la presse lui sont directement reversées par les journaux a-t-il
expliqué. C'est tellement vrai que, la veille du jour où nous recevons
ces aides, nous recevons un courrier du directeur général de la Direction
générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), qui nous demande de
nous engager sur l'honneur à reverser immédiatement ces sommes. Pourquoi ces
sommes, qui sont liées au plan de sauvetage de Presstalis, passent-elles par
les médias ? Parce que, si elles lui étaient versées directement, elles
seraient considérées comme des aides d'État et condamnées par Bruxelles. »
SOMBRE AVENIR
Tous les éditeurs de presse sont
parfaitement au courant de ces pratiques occultes mais il ne s’en trouvera
aucun pour saisir Bruxelles. Les MLP n’en ont pas non plus l’intention. Tous
craignent que l’immixtion de Bruxelles ne provoque l’effondrement immédiat du
système tant la situation est tendue.
L’Autorité de régulation des
communications électroniques de la poste et de la presse (Arcep) s’est montrée,
à cet égard, extrêmement pessimiste. Le 15 février, l'organe de régulation
écrivait à propos de France Messageries que « les conditions
techniques, tarifaires et contractuelles proposées par la société pour 2022 ne
sont pas de nature à dissiper les préoccupations exprimées par l’Arcep dans ses
précédents avis concernant l’avenir de l’entreprise ».
L’Arcep appelle « une nouvelle
fois l’entreprise à rechercher les voies d’une meilleure rentabilité, à travers
une amélioration continue de l’efficacité de son outil industriel et, le cas
échéant, d’une augmentation de ses tarifs ». Or, c'est de fait impossible
sauf à précipiter la disparition de la presse papier qui ne peut plus augmenter
son prix de vente au public…