Pour en finir avec la "fuite massive des médecins algériens vers la
France"
« Des centaines de médecins
s’installent France. Ils fuient… ! », titre à la Une le quotidien
LIBERTÉ du 6 février dernier. Avec un tel titre, on a l’impression que les
« 1200 médecins » ont fui l’Algérie. De nombreux médias ont disserté
sur ce sujet sans faire l’effort de vérifier les informations, interroger les
concernés et expliquer clairement de quoi il s’agit. Les résultats des Épreuves
de Vérification des Connaissances (EVC) organisées par le Centre National de
Gestion (CNG) publiés la semaine dernière concernent tous les candidats sans
mentionner leur pays d’origine. On peut légitimement se demander d’où sort ce
chiffre de 1.200 et encore plus sur leur lieu de résidence.
La réalité est toute autre. D’une part il faut
souligner que le recrutement des médecins étrangers et particulièrement
algériens, qu’ils soient résidants ou non en France n’est pas nouveau. En
janvier 2017, le conseil de l’ordre des médecins français recensait 4404 médecins
algériens nés et exerçant en
France, et 14 305 médecins si on y rajoute ceux nés en Algérie et exerçant en
France !
Pour ceux qui n’ont pas de diplôme français
ou européen, la législation leur permet d’être recrutés comme FFI (faisant
fonction d’interne) ou de PAA (praticien attaché associé) souvent dans des
hôpitaux publics. Ces PAA, dont le statut prend fin en janvier 2023, exercent
des fonctions de prévention, de diagnostic, de soins, sous la responsabilité
directe du praticien responsable de la structure dont ils relèvent ou de l’un
de ses collaborateurs médecin, chirurgien … Ils font des gardes et assument
leur mission de médecin sans pour autant être reconnu en tant que tel et avec
un salaire de moitié moins que celui d’un titulaire de diplôme français. Ces
médecins assument leurs missions en presque totale autonomie. Cette précarité
fait qu’on leur impose souvent des gardes dont personne ne veut comme celles
des grandes fêtes (Noël, Nouvel an…) ou des week
ends.
Mais pour la majorité de ces médecins, cette
précarité n’est que conjoncturelle. Une fois aguerris à leur poste, et forts de
leur expérience, la majorité d’entre eux postulent pour une reconnaissance non
pas de leur diplôme algérien, mais de leurs compétences afin d’être titularisés
à leur poste. C’est une sorte de validation des acquis de l’expérience pour un
secteur réglementé. Cette reconnaissance des compétences passe exclusivement
par des EVC organisées par le CNG, organisme public chargé de la gestion des RH
médicales.
Ces épreuves écrites ont lieu chaque année
(sauf en 2020 à cause de la pandémie du Covid).
Celles de 2021 ont eu lieu à Rungis (94) en novembre et décembre 2021 et ont
concerné 8.884 admis à concourir mais seuls 4.404 candidats se sont présentés à
ces épreuves après que leurs dossiers soient validés par les agences régionales
de la santé (ARS). La correction des épreuves a débuté en décembre 2021 pour se
finir le 24 janvier dernier. Les résultats de ces épreuves ont été alors
publiés sur le site du CNG début février (1.688 admis)
et c’est de là que la folie médiatique s’est mise en branle avec des
titres fustigeant la « fuite massive » des médecins algériens en
France.
Selon le calendrier du CNG, la
procédure nationale de choix dématérialisée devait avoir lieu cette semaine pour
les lauréats sur liste principale et leur affectation le 25 février prochain.
Lorsque le CNG a publié le résultat des EVC
pour l’ensemble des candidats (dont la plus jeune est âgée de 23 ans et le plus
vieux de 69 ans !), il n’a pas mentionné l’origine géographique des
candidats qui proviennent de plusieurs pays. De ce fait, il est difficile de
les répartir en fonction de leur lieu de résidence. Il nous semble évident que
le médecin algérien résidant en France a beaucoup plus de chance d’aller
jusqu’au bout de son parcours de reconnaissance de ses compétences que le
médecin algérien résidant en Algérie et confronté à de multiples tracas qui
peuvent le décourager à tout moment, en particulier celui de l’obtention de son
visa et le suivi à distance de ses démarches.
De ce fait, il est plus que raisonnable de
penser que la majorité des médecins algériens ayant participé aux EVC sont
domiciliés en France, exercent déjà comme FFI ou PAA, même si aucun organisme
ne peut le prouver en absence de statistiques officielles. Dans les récents
arrêtés fixant la liste des personnes autorisées à exercer en France la
profession de médecin dans la spécialité « médecine générale »
publiés au journal officiel français avec les lieux de naissance des concernés,
il y a très peu d’algériens cités. Et encore moins dans les autres spécialités.
Et donc la « fuite massive des médecins
algériens en France » me semble être excessive voire tendancieuse ce
d’autant que la réussite aux EVC n’est que la première étape d’un long
processus menant à l’autorisation d’exercer comme médecin ou pharmacien en
France. A l’issue des EVC, le CNG affecte les candidats reçus dans un
établissement correspondant au poste obtenu à l’issue de la procédure de choix
pour effectuer un parcours de consolidation des compétences pendant deux
longues années. Là aussi, beaucoup de candidats risquent de refuser une
affectation imposée qui ne leur convient pas pour une raison ou une autre.
C’est à l’issue de cette période de
consolidation, que les postulants peuvent présenter leur demande d’autorisation
d’exercice auprès du CNG qui
donnera un avis sur la base du parcours de consolidation des compétences réalisé
par le candidat. C’est de cet avis que dépendra l’autorisation ministérielle
définitive d’exercice ou un complément de stage pourra être demandé.
La complexité de ce parcours du combattant
pour exercer la médecine en France, dont on a effleuré juste les grandes lignes
s’oppose radicalement à ce raccourci faisant croire que les 1.200 lauréats
algériens sont prêts à exercer en France.
A ma connaissance, aucun média qui a traité
de cette affaire, n’a eu le réflexe d’identifier quelques lauréats de ces EVC et
les interroger sur leurs motivations, les problèmes auxquels ils sont
confrontés et leurs projets professionnels. On aurait vu plus clair …
Que la médecine en Algérie soit un secteur
sinistré, on ne peut que le déplorer. Certains hôpitaux sont devenus des
mouroirs faute de moyens et de ressources humaines compétentes. Ajouté à la
faiblesse des rémunérations du corps médical, on peut comprendre cette
motivation des médecins – qui ne sont pas que des jeunes- à, non pas fuir leur
pays, mais tenter d’exercer leur métier dans un environnement plus favorable
leur permettant de vivre dignement de leur salaire et surtout de se
perfectionner dans leurs spécialités respectives. Mais il ne s’agit en aucun
cas d’une « fuite massive ».
« C’est chez la fausse grandeur que
l’on trouve le plus de petitesse ».