CULTURE- PERSONNALITES- RACHID MIMOUNI
IL Y A 27 ANS DISPARAISSAIT RACHID MIMOUNI. Ses œuvres sont toujours d’actualité
© Ibaouni Hamoud/Liberté, samedi 12 février 2022
(Extraits)
Issu d’une famille modeste, originaire de Boudouaou,
la ville où il est né le 20 novembre 1945, Rachid, de son vrai nom Mohamed Mimouni, décède le 12 février 1995 à Paris. Il a été
enterré deux jours plus tard dans sa ville natale. C’est à l’école Jules-Ferry
de l’ex-Alma que l’enfant Mimouni entame sa scolarité
dans des conditions difficiles, où il découvre les prémices de l’injustice et
la ségrégation. L’école était divisée en deux. Des classes indigènes et des
classes européennes (cet épisode de sa vie est relaté dans Une paix à vivre).
Mais son plus mauvais souvenir de cet établissement, resté gravé dans sa
mémoire, a été ce jour lorsqu’il apprendra que son fidèle camarade a été exclu
de l’école parce que son père a pris le maquis.
À l’Indépendance, Rachid était à Rouiba où il a
été admis pour poursuivre ses études. Et là, c’est une autre étape de sa vie
qui commence. Elle est plus difficile mais pleine d’enseignements. Les études
exigeaient plus de moyens financiers et Rachid devait compter sur ses propres
moyens pour poursuivre ses études. C’est ainsi qu’il découvre les vendanges, la
cueillette du tabac chez le fermiers Benoît Aloy (Un nom cité dans La Ceinture de l’ogresse lorsqu’il
parle du Poilu). Tout jeune, Rachid étudie et travaille en même temps pour
subvenir aux besoins de sa famille, car son père, cantonnier aux ponts et
chaussées, arrive difficilement à joindre les deux bouts. Une fois grand et
après avoir terminé ses études qui l’ont un peu éloigné de l’ambiance
familiale, il retourne à Ben Adjel, sur les hauteurs
de Boudouaou, pour résider avec sa nombreuse famille
dans la modeste maison familiale.
L’écrivain réussit à poursuivre ses études en arrivant à décrocher une
licence de sciences commerciales qui lui a permis d’intégrer l’institut de l’Inped de Boumerdès. Cet établissement lui a permis
d’obtenir un stage de formation au Canada où il décroche un autre diplôme
commercial à Montréal. Un diplôme qui lui permet d’entamer une carrière
d’enseignant à l’Inped et à l’École supérieure du
commerce de Ben Aknoun (Alger). Et c’est durant cette
période qu’il commence à écrire son premier roman, Une paix à vivre, relatant
une de ces pages douloureuses de l’Algérie. C’est la période de l’OAS, de la
torture et de la République éphémère de Rocher-Noir, où il s’installera
quelques années plus tard dans un logement de fonction.
L’écrivain évoque également les premiers moments de l’indépendance avec
l’enthousiasme d’une jeunesse qui voulait participer à la construction du pays
mais confrontée à la dure réalité. C’est la désillusion. Un sujet toujours
d’actualité. Dans son deuxième roman, Mimouni fait
parler un poète qui relate la destinée de certains personnages vivant pendant
la période coloniale, décidés à se sacrifier pour un idéal : la Révolution
et la patrie. Vient ensuite le roman phare Le Fleuve détourné où l’écrivain
décrit avec un grand talent et une immense sensibilité l’Algérie qui venait de
sortir du joug colonial et qui bute sur une réelle indépendance. Il met en
exergue le fossé qui existe entre les nouvelles institutions du pays et le
peuple.
Parmi les maux entravant la bonne gouvernance, la corruption qui paralyse
le pays et bloque son développement. De nombreux personnages du roman
ressemblent à ceux qu’on continue de rencontrer aujourd’hui dans la vie de tous
les jours. C’est le cas de “Flytox”, un contrebandier
qui se livre, dans l’impunité, au commerce illégal avec ses voisins, profitant
des pénuries pour s’enrichir. Vint ensuite Une peine à vivre, le quatrième
roman de l’écrivain où il retrace la vie d’un dictateur qui, pour accéder au
pouvoir, ne lésine sur aucun moyen. S’ensuit Tombeza,
un roman provocant qui évoque le parcours d’un personnage sans identité, un
enfant illégitime au parcours disparate qui va prendre beaucoup d’importance
dans la jeune République algérienne, laquelle continue de cumuler imperfections
et incongruités.
L’autre roman de Mimouni est L’Honneur de la
tribu, un titre captivant dont le contenu associe histoire et réalité. Un
village “zone d’ombre” attaché à ses racines et à ses habitudes, qui plonge
brusquement dans un semblant de modernité après avoir passé de statut de douar
à une daïra. Ce roman, adapté à l’écran, a été salué au festival de Cannes en
1990, comme il avait obtenu le prix de l’Amitié franco-arabe. Le roman suivant,
intitulé La Ceinture de l’ogresse, est plutôt un recueil de nouvelles où le
romancier souligne de nombreuses dérives ayant entraîné le pays dans une
situation inextricable.
Ce roman a reçu en 1991 le prix de l’Académie française. Cette publication
est suivie par La Malédiction, un roman dédié à l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par les intégristes. Il sera suivi par De
la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, un roman qui établit
un constat sur le mode de gouvernance dans une Algérie infestée par les
islamistes intégristes qui veulent changer la société et instaurer le totalitarisme.
L’écrivain, qui se sentait menacé tout comme les membres de sa famille, a
décidé, la mort dans l’âme, de partir à Tanger (Maroc), où il continuera à
s’exprimer pendant une année dans une émission hebdomadaire diffusée par Medi1.
Une rumeur sur la profanation de sa tombe a circulé quelques jours après son
enterrement. Mais les membres de sa famille ont démenti cette information,
précisant que sa sépulture n’a jamais été touchée.