CULTURE- MUSIQUE- ZENQAOUI (GENRE MUSICAL)
UN GENRE MUSICAL MI-REBELLE, MI-MORALISANT
Le zenqaoui, la voix
d’une jeunesse en colère
© Yasmine Azzouz/Liberté
jeudi 10 février 2022 (Extraits)
Loin des
projecteurs, un nouveau genre musical sort des bas-fonds des quartiers
populaires algérois, comme l’incarne l’appellation qui lui est donnée : “zenqaoui”. En un temps record, ce style mi-rebelle,
mi-moraliste, s’impose sur la scène artistique et impose ses figures. Il séduit
une jeunesse en quête de liberté.
Né dans les quartiers populaires, au
croisement des musiques urbaines et populaires que sont le rap, le hip-hop, le
raï, le chaâbi et les chants de supporters, le zenqaoui,
aussi orthographié “zen9aoui”, cristallise l’effervescence artistique
d’une jeunesse en rupture avec un ordre social oppressif. Mouh
Milano, Didine Canon 16, Fouzi
Torino ou encore Djalil Palermo sont sur le devant de
la scène musicale actuelle, comptabilisant chacun des millions de vues et de streams. Signés chez TCE Production, un label spécialisé
dans les musiques urbaines et Skyprod, label
généraliste, chacun de ces jeunes artistes a son
identité propre, empruntant tout à la fois au chaâbi comme Didine
Canon 16 ; au raï, à l’image de Djalil Palermo, et
aux chants des stades comme Mouh Milano. Même si les
soubassements de cette musique ont pour ancrage les quartiers populaires, c’est
le monde du football qui lui a donné plus de visibilité, en plein Hirak. Trois années en arrière, les stades vibrent au
rythme d’un chant, devenu hymne ; La casa d’El-Mouradia.
Les revendications de ce texte
enflamment les gradins. Les chants de supporteurs sortent des terrains de
football et investissent la rue. À cette même période, un certain Mouh Milano, jeune supporter de l’USMA, sort un titre, Y en a marre. Sans clip, la voix
de Mouh Milano chante la désillusion, les problèmes
de la vie quotidienne, le désespoir… La chanson, produite avec des moyens
dérisoires fait pourtant le buzz. En novembre 2020, le désormais chanteur
revient avec une nouvelle image et le titre de sa carrière Machafouhache.
Près de 350 millions de vues
aujourd’hui, le morceau, aidé d’un clip signé Amine Boumediène,
finit d’asseoir le chanteur et le zenqaoui de manière
générale, comme le nouveau visage de la scène musicale algérienne. D’ailleurs,
des artistes de l’ancienne génération, comme Bâaziz,
collaborent aujourd’hui avec ces nouveaux visages, et le succès n’est jamais
bien loin. Sur la chanson Iweli laman,
sortie en octobre 2021 et comptabilisant près de 30 millions de vues sur
YouTube, la rencontre des univers de Baâziz et Djalil
Palermo, a également participé à populariser le zenqaoui auprès d’un nouveau public. Depuis trois ans donc,
nul ne peut échapper au phénomène zenqaoui. Qu’on y
adhère ou pas, le succès que rencontre ce genre mérite qu’on s’y intéresse (…………….. ). À propos des réalisateurs, il est indéniable que les
clips ont joué un grand rôle dans le succès des titres phares du zenqaoui. Courage, Lwalida, Machafouhache, entre autres clips, sont signés Amine Boumediène. À propos de Machafouhache,
le réalisateur dira “le fait d’avoir grandi dans un quartier plutôt populaire a
certainement joué un rôle dans ma manière de construire le clip. J’ai vécu les
choses qu’on voit dans ces images. La première fois où j’ai écouté Machafouhache j’ai été touché. J’ai essayé de réaliser ce
clip de manière à ce que même ceux qui ne comprennent pas notre langue
saisissent le message derrière le clip.” Et d’ajouter : “Le secret du succès du
zenqaoui tient à plusieurs éléments. Il y a d’abord
les mélodies qui captent l’attention et les paroles qui touchent les franges
fragiles de notre société.” (……….) .À regarder de plus près
les paroles des chansons, Mohammed Zakaria Ali-Bencherif, sociolinguiste à
l’université de Tlemcen et professeur affilié au Crasc
et Cema d’Oran, avance que leurs auteurs font preuve
d’une inventivité linguistique et d’un usage original de la langue. Une mise en
mot particulière des rêves, désespoirs et désillusions. “La nature des
ressources linguistiques mobilisées est l’alternance des langues, emprunts et
néo-codages relevant d’une inventivité linguistique et d’un usage fantaisiste
et original que certains résument en un terme réducteur, ‘semi-linguisme’. N’est-ce pas une discrimination provenant de la
méconnaissance de la dynamique langagière des gens insensibles et souffrant de
la haine de soi ?”. Et Mohammed Zakaria Ali Bencherif de conclure : “Le
français alterné avec l’arabe algérien et des formes de l’arabe classique, est
utilisé pour dire le bien, l’espoir et le rêve, le mal et le désespoir. Cette
manière contrastée de dire/chanter la réalité invite à (re)penser le rêve et
les amène à se repositionner voire à se démarquer et marquer leur territoire,
la rue (zenqa) comme un espace de création et de
réflexion.”
Même si nous ne possédons pas assez de recul sur ce genre musical, il est
indéniable qu’il participe à la transfiguration du paysage musical. Il est une
note d’espoir et un état d’esprit qu’adoptent beaucoup de nos jeunes, car ne
dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ?