SANTE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- MÉDECINS
EN FRANCE/EXAMEN EVC 2021
© El Watan/Amel
Blidi, dimanche 6/2/2022
Près de
1200 médecins spécialistes algériens ont été reçus à l’examen EVC (épreuves de
vérification des connaissances), précieux sésame leur permettant d’exercer dans
les hôpitaux français, selon les résultats publiés vendredi 4 février sur le
site du Centre français de gestion des praticiens hospitaliers (CNG). Les
lauréats algériens représentent plus de la moitié des effectifs reçus (soit
1200 sur les 1993 postes ouverts cette année). L’Algérie serait-elle en passe
de devenir le fournisseur principal de praticiens de l’Hexagone ?
Cela fait
des années que les services du CNG français ont noté une prépondérance des
candidatures algériennes à l’examen annuel EVC destiné aux praticiens
titulaires d’un diplôme obtenu en dehors de l’Union européenne et permettant
l’exercice de leur profession dans l’Hexagone. Le nombre de candidats reçus
n’avait néanmoins jamais atteint cette ampleur.
Très
sélectif, l’examen EVC est organisé une fois par an dans un grand hangar en
banlieue parisienne (près de Rungis). Les médecins désireux de tenter leur
chance se donnent une année d’intenses révisions pour espérer figurer parmi les
heureux détenteurs du précieux sésame.
«Sur les 94 nationalités représentées en 2018, près de la
moitié des candidats inscrits (47,64% en 2018, contre 41,73% en 2017) vient
d’Algérie (dont plus de 50,8% de femmes). Pour rappel, les candidats algériens
représentaient 41,81% en 2016, 39,97% en 2015 et 41,6% en 2014»,
peut-on lire sur le bilan réalisé par l’organisme français en 2018.
La même source précise que les candidats
algériens sont suivis par ceux originaires de Tunisie, qui représentaient
19,26% en 2018 (21,11% en 2017, 16,8% en 2016, 12,46% en 2015 et 12,9% en
2014).
Quant aux candidats marocains, ils
représentaient 4,1% du total des effectifs en 2017. Le Conseil national de
l’Ordre (français) des médecins (Cnom), qui a rendu
publique une étude sur les flux migratoires et les trajectoires
professionnelles des praticiens étrangers, table sur l’augmentation inéluctable
des effectifs dans les prochaines années. Dans trois ans, peut-on y lire, la
France comptera 30 000 médecins formés hors de ses frontières.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer la
volonté d’exercer le métier de médecin sous d’autres cieux ? La réponse à
cette question que nous avons soumise à des praticiens en médecine spécialisée
ayant tenté l’examen porte sur deux aspects : le problème salarial et
l’acquisition de compétences nouvelles. «Ce que
j’ai remarqué dans ce concours, c’est que les Algériens, les Tunisiens, les
Libanais sont les nationalités dominantes.
On y croise peu de Marocains. Cela
s’explique peut-être par le fait que les médecins marocains sont les mieux
payés de la région, ils touchent près de 2000 euros par mois, tandis qu’en
Algérie, nous en sommes à près de 400 euros par mois. Le système marocain
permet aussi à ses assistants en médecine spécialisée d’acquérir de nouvelles compétences
à travers un partenariat franco-marocain. C’est sans doute là qu’il faut
chercher la raison de la fuite des médecins», nous
explique ainsi un médecin pédiatre installé depuis près de deux ans en France.
Par ailleurs, nous dit un médecin
rhumatologue ayant été admis au concours au bout de la seconde fois, «rien n’est fait dans les hôpitaux algériens pour
aider les spécialistes à affiner leurs connaissances». «Le
fait est, nous dit-il, qu’il n’y a pas pour les médecins spécialistes de
formation complémentaire ou de formation diplômante supplémentaire. Les
médecins qui choisissent de partir peuvent ainsi se perfectionner dans un
domaine très spécifique. Si tu es médecin spécialiste et que tu as un peu
d’ambition, il te sera difficile d’accepter la situation des hôpitaux en
Algérie car ceux-ci ne t’offrent rien pour te permettre d’évoluer.»
Dans une étude consacrée au phénomène et
réalisée par le statisticien de la santé Ahcène Zehnati, il est noté que la psychiatrie est la spécialité
la plus touchée par le «brain drain» avec un taux
d’émigration de 40,27% (c’est aussi l’une des spécialités les plus dévaluées en
Algérie, ndlr), suivie par la néphrologie (24,85%), la radiodiagnostic-imagerie
médicale (24,69%), la cardiologie (18,21%), l’anesthésie-réanimation (16,11%),
l’ophtalmologie (12,31%), la pneumologie (11,51%) et la pédiatrie
(10,03%). «Au 1er janvier 2019, l’effectif des
médecins en activité en France s’élevait à 226 859.
Selon les projections de la Direction de
la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES, 2017), la
France aura besoin de 280 000 praticiens à l’horizon 2040. Jusqu’en 2025,
les effectifs de médecins devraient augmenter moins rapidement que les
besoins de soins de la population», écrit-il dans une
étude intitulée «L’Emigration des médecins algériens : phénomène normal ou
véritable exode ?» Il tente de donner une explication au phénomène avec
ces mots : «Il est vrai que les salaires des
médecins dans le secteur public ne sont pas à la hauteur du travail fourni.
Cette sous-valorisation a non seulement
entraîné une forte inflexion vers le privé, mais renforcé le désir d’émigration
chez les jeunes médecins algériens. Toutefois, si les incitations financières
demeurent un levier pour garder un personnel médical motivé et productif, leur
impact reste limité en matière de migrations internationales.
Les conditions de travail, les
perspectives d’évolution de carrière, l’investissement (principalement
matériel) requis pour exercer dans le privé (notamment pour certaines
spécialités comme la radiologie, l’anatomie-pathologie…) et les
caractéristiques sociodémographiques des médecins (genre, âge, lieu d’exercice,
situation familiale…) sont autant de facteurs à prendre en considération.»
Néanmoins, les lauréats au concours
devront se faire à l’idée d’avoir un statut de médecins étrangers, bénéficiant
d’un poste intermédiaire, une catégorie inférieure à celle de leurs homologues
français.
Certes, ils ne seront pas aussi bien
lotis que les praticiens de la santé ayant suivi tout le cursus universitaire
en France, mais ils pourront profiter d’un poste plus gratifiant que ce qui est
appelé les FFI, ces praticiens de la santé qui touchent des salaires assez bas
en enchaînant les heures de travail. Au bout de trois ans, après que leur
travail ait été évalué et validé par le responsable de la structure, ils
pourront enfin avoir droit à un numéro au sein de l’Ordre des médecins français
et, par là même, d’évoluer dans le grade.
De manière générale, les salaires
oscillent entre 2500 et 3500 euros. «Nous savons
bien qu’ils se sont partagés les places depuis longtemps et qu’il ne sert à
rien d’entrer en concurrence avec eux», nous dit l’une des lauréates du concours.
Francesca Sirna, chargée de recherche au
CNRS, précise dans une étude intitulée «Les Médecins à
diplôme étranger en France : tous médecins et tous égaux ?» qu’il est
rare de trouver des médecins à diplôme étranger à des postes d’encadrement,
d’enseignement ou de direction au sein de l’administration hospitalière.
«Cette
reconnaissance peut être longue, au terme d’un processus parfois décourageant,
compte tenu des procédures d’autorisation d’exercer. Mais les médecins à
diplôme étranger rencontrés ne s’y opposent pas et ne revendiquent généralement
pas une amélioration de leur statut ou une simplification des procédures de reconnaissance», écrit-elle.
Plus que jamais, une remise en question
du système de santé algérien est aujourd’hui nécessaire afin de garder ses
compétences (tant vantées par le président de la République récemment) et
améliorer la qualité des soins en Algérie.