SANTE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- COVID 19/DR. AHCENE
DJABALLAH HOURIA, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE
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Entretien Liberté/Karim Benamar, mardi 1er février 2022
L’on mesure peut-être mal les séquelles
psychologiques de la pandémie. Professeure de
psychologie, Houria Djaballah décortique, dans cette
interview, les différentes formes de traumatismes autant sur le plan affectif,
émotionnel et social causées par coronavirus. La Covid-19 vient rappeler à
l’homme “certaines vérités élémentaires, mais c'est l'idée de mort proche qui
est la plus insoutenable”, explique Houria Djaballah.
“En revenir, c'est comme Orphée revenant de l'enfer”, compare-t-elle.
Liberté : L'Algérie vit sa quatrième vague épidémique du coronavirus. Au plan
psychologique, comment est ressentie cette crise sanitaire ?
Houria Djaballah : La pandémie de Covid-19 a été un événement traumatique pour
l'ensemble de l'humanité dont l'Algérie. Les vagues successives sont autant de
répétitions de cet événement traumatique, des répliques en quelque sorte, de la
première secousse. Cette crise sanitaire est vécue diversement par les
individus en fonction des ressources psychologiques de chacun, de leur
fonctionnement, de la conscience qu'il ont de la
situation et du niveau de leurs connaissances sur la question. Pour tout le
monde, il y a un changement que la nature nous impose. Schématiquement, si on
adopte le critère de la réaction au changement, nous avons deux grandes
catégories, chacune se déclinant à son tour en plusieurs types. Ces deux
catégories sont la résistance au changement et l'adaptation au changement.
C'est dans la catégorie de "la résistance au changement" que l'on va
rencontrer le type "extrême" de personnes qui mettent en œuvre le
mécanisme de "déni", conforté par la diffusion via les réseaux
sociaux d'informations niant l'existence même de la Covid-19. Dans la
catégorie de "l'adaptation au changement" nous allons trouver le type
"extrême" de personnes qui mettent en œuvre les stratégies de
"recadrage" de l'ensemble de leurs activités et comportements.
Ce qui reste commun à tous, quelle que soit la vague, c'est l'anxiété et le
stress générés par l'événement, avec plus ou moins d'intensité, plus ou moins
de gravité selon les personnes, mais peut-être aussi pour certains hélas, de la
lassitude, voire du découragement, de l'abandon fataliste au sort.
Épargnés au début de la pandémie, les
enfants sont de plus en plus contaminés. Cela laisse-t-il des séquelles ?
Si les enfants ont été grandement épargnés par la maladie lors de la première
vague, ils n'ont toutefois pas été épargnés par l'événement traumatique. Ils
l'ont subi pleinement par le bouleversement de leur vie, la perturbation de
leurs activités sociales, la fermeture des écoles, garderies, crèches, espaces
de loisirs, l’interdiction des visites familiales, la suspension des voyages,
sans compter le ressenti qu'ils n'ont pas tous eu l'opportunité de pouvoir
exprimer. Une "vie en sursis", génératrice d’angoisse, à un âge
précoce, cela risque de laisser des séquelles chez ceux qui, en sus de leur
vulnérabilité, n’ont pu communiquer leur ressenti.
Comment les parents doivent-ils gérer
cette situation exceptionnelle ?
Ce n'est pas facile pour les parents qui doivent gérer à la fois leurs propres
difficultés et celles de leurs enfants. Ils ne doivent surtout pas communiquer
un sentiment d'impuissance à leurs enfants, mais seulement expliquer que c'est
une épreuve qu'ils doivent surmonter. Ils doivent aider les enfants à apprendre
à surmonter les épreuves, en respectant les règles de protection de soi et
d'autrui. L'enfant a besoin d'être rassuré, de se sentir protégé.
La scolarité des élèves vient d'être une
nouvelle fois perturbée par la suspension des cours. Comment cela est-il
ressenti par les élèves ? Quelles sont les conséquences de cette suspension ?
Tant qu'elle ne dure pas trop longtemps, la fermeture de l'école peut être
vécue comme un supplément de vacances par beaucoup d'enfants, mais elle peut
être génératrice d'angoisse chez les plus fragiles. Mais la scolarité est très
importante pour l'enfant, que ce soit pour l'apprentissage, pour les relations
sociales ou pour le développement neuropsychique. Lorsque
l'école ferme, ce n'est pas seulement l'apprentissage qui ralentit, c'est aussi
le lien social extérieur et surtout, si la fermeture est prolongée, et c'est le
plus difficile à récupérer pour certains, le développement neuropsychique, car
il y a des phases à respecter et des périodes critiques à ne pas
dépasser.
L'autre aspect qu'il ne faut surtout pas négliger c'est qu'il faut absolument
expliquer à l'enfant que la fermeture de l’école c’est mal, mais c’est un mal
nécessaire pour protéger sa santé et celle d'autrui, pour combattre l’épidémie,
un peu comme celui que l'on doit supporter pour soigner une dent ou une
blessure, mais à une échelle beaucoup plus grande. Fermer l'école sans
explication signifierait que "l'école n'est pas importante" ou, pire,
que l'on n'a pas de respect pour l'enfant. Le respect que l'on doit à l'enfant
passe par le respect de sa scolarité. Lorsqu'on touche à sa scolarité, on doit
bien expliquer à l'enfant que c'est dans son intérêt, que c'est une mesure de
protection nécessaire.
Beaucoup parmi les personnes contaminées se plaignent de traumatismes. A quel
niveau situez-vous ces traumatismes ? Comment se manifestent-ils ?
Les personnes contaminées par la Covid-19 ont été confrontées à leur
"mort" possiblement très prochaine. L'être humain ne réalise pas
vraiment qu'il est mortel ni qu'il est vulnérable ni qu'il n'est pas le plus
puissant "vivant" sur terre. La Covid-19 vient lui rappeler certaines
vérités élémentaires, mais c'est l'idée de mort proche qui est la plus
insoutenable. En revenir, c'est comme Orphée revenant de l'enfer. Certains
récupèrent vite grâce au soutien social, à leur capacité d’adaptation, à leur
projection dans l'avenir. D'autres sombrent dans la fatigue intense, voire la
dépression, et ne trouvent pas à quoi ou à qui se raccrocher pour remonter la
pente, certains auront recours à la prise toxique pour échapper à la douleur.
D'autres encore vont développer des maladies "connexes" dites
psychosomatiques. Le risque suicidaire n'est pas à écarter dans quelques cas.
En tout état de cause, il faut rester vigilant.
A partir de quel moment faut-il s'inquiéter ?
Il faut s'inquiéter dès que le résultat est "positif" et apporter son
soutien et sa solidarité, en plus des soins à prodiguer. Le lien social à
renforcer et à entretenir, même par écran ou combiné interposé, est très
important. Il faut aider à réorienter la personne vers des objectifs
intéressants pour elle pour qu’elle se projette dans l'avenir, réinvestisse des
domaines et reprenne son élan vital.
Que préconisez-vous pour une meilleure
gestion de cette crise ?
C'est la responsabilité de chacun qui pourrait aider à gérer cette crise. Force
est de constater l'irrespect des mesures de prévention dans les institutions et
espaces publics et privés. Que pouvons-nous penser des parents qui envoient
leur enfant à l’école, bien que testé positif ou confirmé "cas
contact" ? Que penser, sinon que nous pouvons envisager des solutions en
commençant par le respect que nous devons à soi, à autrui, à la loi, à un
animal, à une plante, à la terre et même à une machine ou à un objet, car il a
coûté du temps, de l'énergie et aussi de l'argent. En principe, les
psychologues interviennent en amont, mais face à l'événement traumatique,
l'intervention est toujours en aval.