HISTOIRE-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- COLLOQUE IMA, PARIS JANV 2022/ KADRI AISSA
COLLOQUE
“COLONISATION ET GUERRE D’ALGÉRIE : OPPOSITIONS INTELLECTUELLES” (IMA/Paris,
France, Janvier 2022) : Pourquoi j’ai
refusé de participer
©Par AÏSSA KADRI, professeur honoraire des Universitész/Liberté, samedi 29/1/2022,
Invité à participer
au colloque “Oppositions intellectuelles à la Guerre d’Algérie”, j’ai accepté
d’y intervenir pour parler de l’engagement des enseignants contre la guerre.
Et, après échange avec les organisateurs, j’ai souhaité traiter
particulièrement de trajectoires emblématiques d’universitaires qui avaient
exercé en Algérie avant et après l’indépendance : André Mandouze,
Jacques Peyregua et Jean Leca. Au centre de la
réflexion, je souhaitais aborder les causes et les raisons, les circonstances,
les modalités et formes des basculements du côté des opprimés.
A cet égard, la problématique initiale du colloque, tel d’ailleurs que la
confirme le titre même de ce dernier, me semblait très claire. Il s'agissait en
effet de rendre compte des oppositions des intellectuels, entendus au sens
large, à la Guerre d'Algérie et plus généralement au colonialisme.
Or, l'introduction de personnalités dont les positions ont été, pour
certains, fortement ambiguës (Tocqueville, Urbain, Tillion, Camus, Aron) et
pour d'autres, clairement affichées pour la colonisation et la répression
(Soustelle) a changé la philosophie globale du colloque.
En effet un colloque académique, dont la problématique aurait été plus
claire, proposant par exemple comme titre “Les déchirements intellectuels à
propos de la Guerre d’Algérie” ou prenant en compte plus explicitement, aussi
bien les opposants à la guerre et au colonialisme, que les partisans de la
colonisation et de l’Algérie française, avec un débat ouvert, aurait été sans
doute plus franchement clivant, mais aurait eu le mérite, dans le contexte
délétère actuel, de mieux éclairer les travestissements désinhibés de
l’entreprise coloniale et d’une guerre où la répression a revêtu les formes les
plus intolérables d’atteintes aux droits humains.
Les personnalités dont je souhaitais parler ont défendu l’honneur d’une
certaine France et n’auraient sans doute pas pardonné, pour ceux décédés, que
leurs noms soient associés à ceux qui ont fait de la répression leur seul
argument et arme.
Le colloque envisagé ne me semblait pas pourtant participer, au départ,
d’une volonté de tenir “les deux bouts” ni de se placer à équidistance des
radicalismes, mis au même niveau entre dominants et dominés, mais d’aller
au-delà “du conformisme et du pâle libéralisme” de certains positionnements,
selon le mot de Jacques Derrida, qui expliquait ainsi la complexité de certains
engagements de Français d’Algérie qui n’ont pas été seulement des soutiens,
mais qui se sont impliqués dans la lutte des Algériens.
L'intrusion de personnalités partisanes de la répression dans le programme
complet et définitif, reçu tardivement, change la perspective d’approche et
peut être comprise, par un large public, comme une tentative de révisionnisme
historique qui n'est pas clairement assumée. Sans doute ne suffit-il pas d’un
seul colloque pour parler de certaines figures dont l'engagement contre la
guerre a été incontestable.
Il est vrai que l'on ne peut pas traiter du cas de toutes les personnalités
connues et moins connues. Mais la mise en avant de thuriféraires affirmés de la
colonisation et d’acteurs de la répression et “l’oubli” ou l’absence
d’évocation (même sous la forme de citation de leurs seuls noms en ouverture du
programme et du colloque) de certaines personnalités emblématiques, allant de
l’extrême gauche à la droite libérale en passant par des humanistes, des
chrétiens, des juifs ou de simples citoyens, mobilisés contre la guerre et
contre “l’innommable”, à l’exemple de Monseigneur Duval, de l’abbé Bérenguer, de Pierre Chaulet,
d’Alice Cherki, d’Annie Steiner, de Paul Teitgen, du
général Jacques Paris de la Bollardière, d’Yves Dechezelles,
d’Henri Curiel, de Joseph Claude Sixou
ou des instituteurs – trois “Européens” : Marcel Basset, Robert Eymard, Max
Marchand, et trois Algériens : Salah Ait Aoudia,
Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène – assassinés à la
veille de l’indépendance par les commandos de l’OAS, interroge sur les
présupposés politiques d’une telle rencontre, qui met au-devant de la scène un
des fondateurs de cette criminelle organisation, Jacques Soustelle.
Sans parler de Sartre, grand absent de ce colloque, face à Camus qui y a une
belle place, ce qui remet à l’ordre du jour la fameuse phrase de l’après-guerre
“avoir tort avec Sartre plutôt que raison avec Aron”, formule qui peut être
finalement revendiquée et clairement assumée ici, en perspective des dérives de
ce qu’a été la guerre d’Algérie, sous une nouvelle forme souvent transgressée,
celle de “plutôt avoir tort avec Sartre que raison avec Camus !”.
Aussi bien, chers collègues, je ne peux en toute conscience participer à un
colloque dont les présupposés, les objectifs, les critères de choix des
catégories et des personnalités retenues, n’ont pas été clairement définis –
où, en effet, les différences de situations et de contraintes entre
intellectuels “européens” d’Algérie, “musulmans” et métropolitains, n’ont pas
été toujours du même ordre–, affichés et assumés et qui me semble pour le moins
tenter de faire valoir, in fine, un faux équilibrisme entre des mémoires
profondément antagonistes.
En tout cas, quelque peu en porte-à-faux d’une reconnaissance de
l’engagement de certains acteurs qui ont été à l’égal des “Justes”.