CULTURE- LANGUE-
ALGERIE/LANGUE FRANÇAISE/RAZIKA ADNANI
L’Algérie, la
CAN et la langue française
©
Razika Adnani/L’Expression,
24 juillet 2019
C’est la Coupe de l’Afrique des Nations, en Algérie,
on ne parle plus que du Nigeria, de la Côte d’Ivoire… et surtout du Sénégal.
Une bonne occasion pour les Algériens de se tourner vers l’Afrique et de se
rappeler que l’Algérie appartient au continent africain. Ce continent qui
compte aujourd’hui environ 200 millions de personnes parlant la langue
française contre 65 millions de Français. Autrement dit seulement 30% environ
des francophones dans le monde sont Français. Selon l’Organisation
Internationale de la Francophonie, en 2050 environ, il y aura 700 millions de
francophones dans le monde dont plus de 80 % seront Africains. La langue
française n’est donc plus celle du colonisateur comme aiment encore la
qualifier certains. Elle est aujourd’hui une langue africaine ; la langue
appartient au peuple qui la parle et la fait sienne.
Mais en Algérie, on s’acharne encore sur elle. Alors que le pays traverse une
étape importante de son histoire, pour certains c’est l’occasion de réaliser
leur projet : mettre fin à la présence de la langue française en Algérie. Ce
sont généralement les adeptes du courant conservateur et des arabophones. Le
clivage entre francophones et arabophones et entre conservateurs et modernistes
a toujours existé en Algérie. Au lendemain de l’indépendance, les opposants à
la langue française s’en sont pris à cette langue au prétexte qu’elle était
celle du colonisateur et qu’il fallait la remplacer par l’arabe, la langue du
Coran et du panarabisme. Cependant, cette position étant purement politique ne
reflétait pas des convictions personnelles étant donné que la plupart de ceux
qui ont fustigé la langue française et arabisé l’école algérienne ne se sont
pas gênés pour envoyer leurs propres enfants dans des écoles françaises. Quant
à leur nationalité française, ils n’y ont jamais renoncé.
Aujourd’hui, alors que l’Algérie est en grande partie
arabisée, ils avancent un autre argument : le français n’est pas la langue des
affaires, il faut donc le remplacer par l’anglais. Or, si la langue française
n’est pas la langue internationale des affaires, elle est bel et bien la langue
des affaires en Algérie, mais aussi chez ses voisins comme le Maroc et la
Tunisie. Ensuite, ne pas être une langue internationale des affaires n’est pas
un argument pour mettre fin à une langue.
Avancer un tel argument revient à dire que ce n’est pas seulement le français
qui doit être remplacé par l’anglais en Algérie, mais aussi l’arabe et le
tamazigh étant donné que toutes deux ne sont pas des langues des affaires ni
sur le plan international ni sur le plan national. Pire, ce sont même toutes
les langues qui existent dans le monde qui doivent mourir pour être remplacées
par l’anglais. Alors qu’avec la mort d’une langue, ce ne sont pas seulement des
mots qui s’envolent, mais une mémoire, une histoire et une manière de penser ;
un peu de notre humanité selon le linguiste Claude Hagège. « Les langues sont
peut-être ce que nos cultures humaines ont de plus vivant » écrit-il dans son
ouvrage Halte à la mort des langues.
Prétendre que l’Algérie doit mettre fin à la langue
française, car elle n’est pas la langue des affaires sous-entend que seul le
domaine des affaires intéresse l’Algérie. Autrement dit au-delà des affaires,
il n’y a rien d’autre d’important pour elle ni science, ni philosophie, ni
littérature, ni art, ni histoire. Si le français n’est pas la langue
internationale des affaires, il est en revanche la langue de la philosophie, de
l’art et de la littérature. Il est la langue de Descartes, de Montaigne et de
Voltaire. Celle des lumières et droits humains dont la liberté et l’égalité.
Autant l’humain en fait des principes de son comportement, autant il va vers sa
maturité. Certes, le développement de l’Algérie passera obligatoirement par le
développement économique, mais il passera aussi, et avant tout, « par la
qualité du facteur humain. Ce sont les femmes et les hommes qui font
l’économie, la politique, construisent la société et en font la réussite. » (Razika Adnani, la nécessaire
réconciliation, UPblisher, Paris, p. 32)
Une langue n’en remplace pas une autre, car chaque
langue a son importance et sa richesse. L’importance de la langue française
pour les Algériens réside également dans le fait qu’elle représente l’une des
trois composantes majeures de leur culture et l’un de leurs lieux de mémoire.
Penser le contraire, c’est aller à l’encontre de la réalité culturelle, linguistique
et historique de ce pays. Une telle attitude serait nuisible pour l’Algérie
d’autant plus qu’elle traverse une période cruciale de son histoire et qu’elle
besoin de se construire. Il est impératif pour cela qu’elle s’appuie sur ses
atouts et ses richesses au lieu de s’appauvrir en se privant d’une de ses
langues, une partie de sa culture. L’Algérie a la chance de posséder trois yeux
pour regarder le monde autour d’elle, pourquoi vouloir lui fermer un œil alors
que les nations cherchent à s’enrichir humainement, intellectuellement et
scientifiquement avec l’apprentissage des langues ? Assurément, un esprit
fonctionnant avec plusieurs langues est plus ouvert, plus riche et plus
flexible que celui qui fonctionne avec une seule langue. Toutefois, en Algérie, hormis l’arabe, on déteste les langues et on
cherche des prétextes pour les exterminer, car chez beaucoup le tamazigh,
langue ancestrale de ce pays, n’est pas plus avantagé que le français.
Quant à l’idée de
remplacer la langue française par la langue anglaise, on ne remplace pas une
langue par une autre telle une veste qu’en enlève pour, en un geste, en mettre
une autre à la place. La langue se construit et prend racine peu à peu. En
attendant que fera l’Algérie ? Le français a presque deux siècles en Algérie.
Faut-il le déraciner et ensuite attendre que l’anglais prenne racine ?
Promouvoir l’anglais est certainement une bonne chose, mais cela ne nécessite
pas la destruction d’une langue qui fait partie du langage des Algériens et
porte une part de leur culture et de leur histoire.
Cependant, les organisateurs de la conférence des
dynamiques de la société civile qui s’est tenue le 15 juin 2019 à Alger et de
celle du dialogue national du 6 juillet 2019 ne sont vraisemblablement pas de
cet avis. Sur leurs affiches seules deux langues, l’arabe et le tamazigh, sont
représentées ; le français est délibérément exclu. Une façon de dire qu’il
n’est pas une langue algérienne ou qu’ils ne s’adressent pas aux francophones.
Alors que ces derniers sont majoritairement des Africains et des habitants des
pays entourant l’Algérie.
Mettre fin à la langue française en Algérie revient à
l’isoler de l’Afrique et de la Méditerranée auxquelles elle appartient,
autrement dit l’isoler de son environnement économique, politique, linguistique
et culturel. C’est la fragiliser davantage.